Déborah Fournet est avocate au Barreau de Paris et la présidente de la nouvelle Commission « Bien-être et performance ». A l’heure où la santé mentale et physique sont des enjeux majeurs pour toutes celles et ceux qui exercent la profession d’avocat, Déborah nous a accordé un entretien sur ce qu’elle souhaite apporter à l’ACE à travers les travaux de cette commission.
Cet entretien est aussi l’occasion d’annoncer que la thématique du bien-être au travail est le thème que la rédaction de la Revue de l’ACE a décidé de retenir pour son prochain numéro.
Dominic Jensen : Le nom de la Commission associe les notions de bien-être et de performance. Expliquez-nous en quoi elles sont compatibles.
Déborah Fournet : Il est vrai qu’à première vue, les deux notions peuvent paraître antinomiques.
Dans l’inconscient collectif, être performant signifie nécessairement travailler beaucoup. C’est encore plus vrai chez les avocats qui intègrent souvent, dès le début de leur exercice, qu’être un bon avocat c’est ne pas compter ses heures, travailler sans relâche, être disponible sans discontinuité pour le client. C’était le cas jusqu’à très récemment. Aujourd’hui, les nouvelles générations, par leur rapport au travail qui diffère de celui que l’on a connu, pensent les choses autrement. Et c’est tant mieux.
Les sportifs le savent plus que quiconque, pour être performant, pour être le meilleur, il faut prendre soin de soi, de son corps et de son mental.
Les notions de performance et de bien-être sont donc finalement profondément compatibles pour constituer les deux variables d’un tout qu’est notre équilibre de vie.
Dans notre métier, nous nous devons d’aller bien, de prendre soin de nous pour être performants. Le bien être est capital. Et la performance est nécessaire.
DJ : Comment définissez-vous cette performance ?
DF : Être performant, c’est-à-dire avoir une activité économique qui fonctionne doit être un objectif sans en rougir. On oublie trop souvent qu’en tant qu’avocat nous sommes avant tout des chefs d’entreprise. Et la responsabilité première d’un chef d’entreprise est d’assurer la pérennité économique de son entreprise. D’avoir une offre qui fonctionne, un produit ou un service qui se vend, et un positionnement de prix qui assure sa rentabilité. Il doit aussi prendre soin de ses équipes et de ses outils de production.
Et le premier outil de production d’un avocat c’est sa matière grise. De l’importance d’aller bien.
DJ : Quels sont vos objectifs pour cette Commission que vous présidez ?
DF : Contribuer, humblement mais autant que possible, à un meilleur confort dans l’exercice pour chacun, quel que soit le type de structure dans laquelle nous exerçons, notre séniorité ou la matière que nous pratiquons.
Offrir un lieu d’échange et de partage pour déposer ses doutes ou ses douleurs et trouver des éléments concrets vers un meilleur exercice.
Idéalement, d’ici 3 ans j’aimerais :
- Avoir proposé des ateliers qui apportent des réponses concrètes aux besoins identifiés
- Etre en mesure de fournir régulièrement des livrables décrivant des actions rapidement actionnables sur les sujets de performance et de bien être
- Avoir posé les bases d’un canal d’échange avec les ordres et les écoles pour aider à la mise en place de programme tels que celui qui a été présenté par le barreau de Rouen lors de la plénière sur la santé mentale des avocats.
DJ : Comment allez-vous travailler ?
DF : Concrètement, puisque l’objectif est de répondre aux besoins réels et concrets, tels qu’ils nous remontent des Confrères plutôt que de brainstormer sur des idées préconçues, il faudra d’abord être connu et identifié pour ce que nous faisons.
La première étape sera d’assurer une continuité de la plénière qui s’est tenue à Dijon en organisant, selon un format à définir, un rappel des constats qui ont été faits et la présentation de solutions concrètes, puisque nous n’avons pas été en mesure de couvrir l’ensemble des sujets sur les outils à proposer aux Confrères.
Ensuite je voudrais que l’on propose des ateliers, comme autant de rendez-vous réguliers auxquels les avocats pourront participer en fonction des thèmes et de leurs envies.
Les trois premiers ateliers pourraient être :
- Témoignage de Confrères qui ont trouvé un équilibre en bien être et performance
- Présentation, par les services sociaux de l’ordre, des signaux qui doivent alerter et des outils concrets à disposition
- Sensibilisation aux sujets financiers, car c’est bien trop souvent la détresse financière qui conduit à l’absence de bien être et à une absence de performance.
Je veillerai à ce que cette commission ne devienne pas une centrale de vente de prestations de services.
DJ : Pourquoi vous ? Pourquoi est-ce que ce sujet est si important pour vous ?
DF : J’ai longtemps assimilé réussite et dépassement de soi, fait de ne pas compter ses heures, course aux folles aux time sheets bien remplis et aux trains de 6 heures du matin pour assurer une audience.
Et puis je suis devenue maman et j’ai compris que m’épuiser ne rendrait service à personne et pourrait au contraire conduire à un désastre pour mon activité pro et pour mon enfant.
Alors j’ai revu ma copie.
J’ai réfléchi à ce que pouvait être un exercice heureux et rentable. J’ai rencontré des gens et j’ai constaté à quel point beaucoup étaient bloqués sur l’épanouissement dans la profession et la structuration de leur activité.
J’ai eu la chance d’être formidablement accompagnée par des professionnels attentifs et compétents. Et de l’être encore.
J’ai pris conscience de l’importance de trouver un équilibre, qui est propre à chacun. Il n’est jamais question de livrer une recette magique applicable à tous mais de connaître les clés pour trouver son équilibre personnel. D’identifier les moyens de replacer le cursus, autant de fois que nécessaire. Nos aspirations et nos objectifs changent plusieurs fois au cours de notre exercice. Il faut avoir un minimum de conscience de ces sujets pour s’épanouir pleinement.
Si mon expérience peut permettre de faire gagner du temps à d’autres, alors j’en serai heureuse.
Ce sujet est d’autant plus important pour moi qu’en tant que cofondatrice et dirigeante d’Iris & Thémis, cabinet de recrutement et conseil RH pour les cabinets, je suis confrontée quotidiennement à des retours terrains qui m’interrogent, tant côté collaborateurs qu’associés ou de la part de confrères qui exercent en individuel.
