« Il n’y a rien de permanent sauf le changement » HERACLITE
Il est une évidence : le métier d’avocat, notamment dans le domaine civil, évolue.
De plaidant à accompagnateur de son client, la palette de son intervention s’élargit au fil des réformes et de la mise en œuvre de la politique de l’amiable au cœur de la justice civile, où le juge ne s’impose plus comme la seule option pour laisser la place à d’autres modes de résolution du litige.
Ainsi que l’a rappelée Madame La Professeure, Soraya Amrani Mekki, le décret n°2025-660 du 18 juillet 2025 consacre le principe de coopération entre le juge – d’appui- et les justiciables, acteurs à part entière de la résolution de leurs différends[1].
Au centre de ce changement de paradigme, l’avocat doit désormais réfléchir avec son client, ses confrères, et ses équipes à des solutions qui répondent au plus près des intérêts de chacun. C’est une conception renouvelée de la fonction d’avocat, qui requiert l’acquisition de nouvelles compétences relationnelles et comportementales, empruntant autant aux ressources humaines qu’à la communication, tout en intégrant la négociation raisonnée.
A l’ère de l’amiable, de la consécration du principe de mise en état conventionnelle et de l’audience de règlement amiable, le rôle de l’avocat est central. Il doit pouvoir s’approprier ces « soft skills » afin de s’adapter à ce nouvel environnement, en comprendre l’esprit aussi bien dans sa relation avec son client, ses équipes, les tiers et ses confrères.
Lors de l’atelier organisé lors du colloque de l’ACE à Dijon, les 25 et 26 septembre 2025, cette question a été abordée de façon ludique et interactive, afin de mieux comprendre et intégrer ces outils.
Les outils de l’amiable : une nouvelle approche
« Ecouter l’autre, c’est encore la meilleure façon de l’entendre » Pierre DAC
L’écoute active, art ô combien délicat, suppose une attention sincère à l’autre, un savoir-être en authenticité. L’écoute active s’appuie autant sur le verbal que le non-verbal, notamment le regard, et constitue le fondement même de la communication efficace. Apprendre à écouter s’avère simple pour celui qui en a la volonté, mais demande un véritable travail intérieur : les bénéfices dépassent de loin ce que l’on peut attendre ou percevoir.
Une visualisation pertinente pour illustrer l’approche amiable est celle de l’iceberg : lors d’un conflit, seul 30 % du problème relève de la dimension juridique. Les 70 % restants—croyances, ressentis, malentendus, besoins non exprimés, valeurs touchées—sont essentiellement émotionnels. Comprendre cette réalité aide à adopter une posture d’écoute attentive et empathique.
Ecouter totalement est l’essence même de la communication.
L’écoute totale s’appuie sur des outils tels que la reformulation qui permet de s’assurer que le message a été compris, et le questionnement réfléchi (chaque question doit produire des réponses utiles pour affiner l’éclairage sur le problème).
L’écoute implique aussi de laisser toute la place à celui qui parle. Et le silence, temps de pensée active, fait partie intégrante de l’écoute.
Ecouter pour créer la confiance et identifier les besoins réels au-delà des positions affichées.
L’expression des besoins « immergés » pour reprendre l’image de l’iceberg n’est possible que dans la mesure où « l’écoutant » va favoriser la libération de la parole pour permettre à « l’écouté » de prendre conscience que coopérer et devenir partie prenante de la résolution de la problématique qui la lie à l’autre partie, peut-être une clé de déverrouillage puissante d’une situation altérée.
A partir de là, il devient possible de poser les bases tangibles de la négociation raisonnée[2], qui repose sur quatre principes fondamentaux :
- Différencier la personne du différend et déterminer l’origine du désaccord ;
- Se concentrer sur les intérêts/besoins et non sur les positions ;
- Imaginer un grand éventail de solutions susceptibles de satisfaire les besoins de chacun (solutions gagnant/gagnant) avant toute prise de décision ;
- Faire en sorte que le résultat repose sur des critères objectifs.
Repenser le « vouloir » en réflexion sur le « besoin », c’est sortir du cadre et se poser la question de notre approche du conflit et des objectifs poursuivis par ceux qui sont en situation de conflit.
En 1974, les professeurs de gestion Kenneth Thomas et Ralph Kilmann, de l’université de Pittsburgh, ont conçu un outil innovant pour la gestion et la résolution des conflits. Cet outil aide chaque individu à identifier son style de gestion des différends (le compromis, la collaboration, la compétition, l’évitement et l’accommodation). Cette méthode permet également de comprendre comment ce style influence le processus de résolution du différend. En outre, cette méthode facilite la prise de conscience de la manière dont les intérêts personnels et ceux des autres peuvent être conciliés afin d’aboutir à un compromis satisfaisant pour toutes les parties[3].
En conclusion, intégrer le réflexe de l’amiable c’est aussi se former et garder à l’esprit que la stratégie de l’amiable est une des voies de résolution du litige qui a aujourd’hui toute sa place dans le procès civil en ouvrant aux justiciables, aux avocats et aux magistrats un horizon élargi du règlement des différends.
Gabrielle Planès, Présidente d’honneur de l’ANM
Mélanie Germain Hayek, Optimizoo, Formatrice, conseil aux entreprises, Médiatrice
Antoine Juaristi, Président Commission REL
Hedwige Caldairou, Vice-Présidente Commission REL
Pour aller plus loin, n’hésitez pas à nous contacter à la Commission (REL) Résolution Extrajudiciaire des Litiges : antoine.juaristi@hsf.com et hcaldairou@carlara.com
[1] La semaine juridique – Edition générale n°35 – 1er septembre 2025
[2] On se réfèrera utilement à l’ouvrage de référence en matière de négociation raisonnée « Getting to Yes , Negociating Agreement without giving in » de Roger Fischer et William Ury (membres du Harvard Negotiation Project)
[3] Et vous, quelle est votre approche du conflit ? N’hésitez pas à faire le Test Thomas Kilmann
