Par Emmanuel RASKIN Président de l’ACE

L’article 58 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, dispose que : « Les juristes d’entreprise exerçant leurs fonctions en exécution d’un contrat de travail au sein d’une entreprise ou d’un groupe d’entreprises peuvent, dans l’exercice de ces fonctions et au profit exclusif de l’entreprise qui les emploie ou de toute entreprise du groupe auquel elle appartient, donner des consultations juridiques et rédiger des actes sous seing privé relevant de l’activité desdites entreprises. » 

Ce texte est issu de la loi n°90-159 du 31 décembre 1990 et régit d’ores et déjà depuis plus de 30 ans le juriste d’entreprise. Ne peut-on déjà y voir la base d’une profession réglementée puisque prévue par la loi ? 

Pourtant, l’avocat est encore en vie, plus que jamais. En réalité, ce que notre profession craint, ce n’est pas l’existence d’une profession réglementée, mais celle d’une profession réglementée concurrente de l’avocat. L’ACE confirme cette position depuis toujours. 

Le projet de loi parlementaire dit « TERLIER » (projet de loi n°2033) relative à la confidentialité des consultations des juristes d’entreprise, à l’examen le 30 avril 2024, ne le prévoit pas puisque le juriste d’entreprise n’est pas et ne peut être concurrent de l’avocat. De grâce, cessons les invectives et les échanges polémiques. Non, il ne s’agit pas d’un clivage PARIS-PROVINCE. Non celles et ceux qui sont favorables à ce texte ne sont pas que des avocats insanes d’esprit et/ou assoiffés de capitalisme affairiste et/ou promoteurs de l’absence de transparence dans l’entreprise et/ou de discrimination entre entreprises. L’ACE revêt une dimension nationale et rappelle que celles et ceux qui ont porté leurs élus en première place au sein de l’instance nationale du CNB en qualité de syndicat par le biais des listes de ses collèges parisien et province, sont issus, pour 5 sièges sur 10 sièges (total des élus ACE), de province.

Cela signifie que bon nombre de confrères entendent, hors PARIS, le message de notre syndicat et que ces mêmes confrères ont tout autant qu’à PARIS un lien avec la clientèle de l’entreprise, quelle qu’en soit la taille. D’éminents confrères ont fait valoir des craintes. Il n’y a pas lieu de critiquer le principe de l’émission de craintes dès lors que l’on ne veut pas voir, à juste titre, notre profession affaiblie ou « déshabillée » de ce qu’elle incarne. Il n’en demeure pas moins que ces craintes doivent se dissiper à la lumière de la réalité du texte qui est proposé. Il en est de même quant à sa portée très réduite. 

Ces craintes n’existaient pas lorsque les détracteurs de l’avocat en entreprise promouvaient le « legal privilege ». Ils décrient aujourd’hui ce qu’ils ont appelé de leur vœu… Alors que s’est-il passé ? 

  1. La confidentialité des avis des juristes ne peut se confondre avec le secret professionnel attaché à la personne de l’avocat. 

Elle va enfin apporter une sécurité juridique au sein des entreprises françaises, renforcée par le secret professionnel de l’avocat lorsque les consultations ou avis protégés seront échangés sur la base d’une consultation juridique émanant d’un avocat. Les deux ne se confondent pas. La confidentialité n’a aucune vocation à concurrencer ni affaiblir le secret professionnel. Le secret professionnel de l’avocat est un droit fondamental pour son client. Les juridictions de l’Union européenne l’ont plusieurs fois rappelé. 

Pour l’avocat, le secret professionnel n’est pas un bouclier destiné à le protéger, mais une obligation. Indissociable de son indépendance, le secret fait de l’avocat le confident nécessaire de son client. Ce lien de confiance a pour fondement un intérêt général, celui du bon fonctionnement de toute société démocratique dans le cadre d’un État de droit. Le secret professionnel est d’ordre public, général, absolu et illimité dans le temps. Il ne cède que devant des intérêts généraux supérieurs. La violation du secret professionnel est sévèrement sanctionnée, pénalement et disciplinairement, ce qui garantit, notamment au client, son respect. Le respect du secret professionnel est à la fois un droit et un devoir pour l’avocat et il s’applique quel que soit le support, la situation, le type d’acte accompli par l’avocat ou la matière concernée. Il couvre en effet toutes les confidences que l’avocat a pu recevoir à raison de son état ou de sa profession. Les correspondances entre l’avocat et son client, même si elles ne sont pas revêtues de la mention “confidentiel”, sont couvertes par le secret professionnel et le client peut en demander le retrait des débats.

Ce secret explique et justifie également l’inviolabilité du cabinet et du domicile de l’avocat, ce qui entraîne le régime spécial des perquisitions. La violation du secret professionnel ne concerne que l’avocat, unique débiteur de cette obligation, tandis que le client conserve une plus grande liberté. En effet, la confidentialité des correspondances ne s’impose pas au client qui peut l’utiliser contre son avocat. De même, il ne s’impose pas au destinataire non lié par le secret professionnel.

En revanche, l’avocat n’est lui, pas excusé dans le cas où il partagerait son secret professionnel même avec un confrère, sauf dans la relation patron/collaborateur. 

Le client, qui n’est pas débiteur de l’obligation de respect du secret professionnel, bénéficie ainsi d’une liberté dont il doit faire usage avec précaution. La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire, soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende (article 226-13 du Code pénal).

La définition s’attache à la qualité de l’auteur des documents, non à leur seul contenu. Il s’agit d’une protection in personam. 

  1. Craindre une concurrence de secret professionnel par la confidentialité des consultations juridiques du juriste d’entreprise ? 

Assurément non. Ne tombons pas dans le syllogisme imparfait du type : « Le secret professionnel de l’avocat oblige à la confidentialité, or le legal privilege a pour objet la confidentialité des actes qu’il protège, il concurrence donc le secret professionnel de l’avocat… ». La confidentialité, selon le projet parlementaire français, n’a rien à voir avec le secret professionnel : attachée aux seules consultations juridiques des juristes d’entreprise, elle n’a pas le même champ, pas la même force, n’est pas d’ordre public et est attachée à l’acte, donc est IN REM. 

À la différence de l’avocat, le juriste en bénéficie ainsi que sa direction que s’il le précise expressément à l’acte, mais il sera pénalement sanctionné s’il rend confidentiel, de manière frauduleuse, un document qui ne peut l’être. 

Le juriste peut ôter la confidentialité. L’avocat ne peut se délier du secret professionnel et s’il s’en délie, il encourt une forte sanction pénale, celle du faux et de l’usage de faux en écriture privée. Seule la consultation juridique peut bénéficier de la confidentialité juridique et dans un domaine très restreint alors que le secret professionnel s’applique à tous les écrits et échanges de l’avocat avec son client. 

  1. La confidentialité des consultations juridiques ne bloque pas les communications de pièces dans le cadre d’une instance. 

Seules certaines consultations juridiques étant protégées, toutes les pièces d’un dossier sont exclues de la confidentialité. Il n’y a donc aucun danger à ce qu’une confidentialité soit opposée dans le cadre d’un procès à des pièces qui ne sont pas des consultations juridiques émanant de juristes d’entreprise, dans les strictes conditions du texte. Exit donc les craintes en matière prud’homale, commerciale, civile etc. 

  1. Il n’y a aucune discrimination entre les entreprises à confidentialiser des consultations juridiques puisque les entreprises qui n’ont pas de juristes n’émettent pas de consultation juridique (article 58 précité de la loi de 1971). 

Quant aux pièces qui pourront être saisies ou communiquées, peu importe que l’entreprise dispose de juristes ou non, ces pièces ne peuvent souffrir d’une confidentialité. 

  1. Le champ d’application exclut les matières fiscales et pénales.

 Ainsi, vu la transversalité de ces deux matières, le champ d’application de la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise est très limité. Il n’y a, par ailleurs, pas de protection interentreprises, sauf appartenance à un même groupe et dans des conditions strictes à respecter. 

  1. L’avocat conserve toute sa place à côté des juristes d’entreprise. 

Elle va même s’accroître. 

Sa présence est obligatoire : « V – L’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise ou, le cas échéant, l’entreprise membre du groupe destinataire de la consultation juridique est tenue d’être assistée par un avocat dans les procédures mentionnées au IV ». L’avocat a toute sa place, la conserve et se voit renforcé dans son champ d’intervention. 

Enfin, n’oublions pas cet arrêt rendu le 26 janvier 2022 par la chambre criminelle de la Cour de cassation, relatif à l’étendue du secret professionnel. Il intéresse particulièrement les juristes et l’intérêt d’échanger entre eux sur la base des travaux de l’avocat qui assiste l’entreprise ( Cass. crim. 26 janvier 2022, 17- 87.359 ). En l’espèce, les documents saisis n’émanaient pas d’un avocat et n’étaient pas non plus destinés à un avocat : il s’agissait de courriels échangés entre les juristes de l’entreprise sur la base d’une consultation d’avocat. La Cour de cassation approuva le premier président de la cour d’appel d’avoir annulé la saisie des documents litigieux, estimant qu’il a valablement justifié sa décision en constatant « que les données confidentielles couvertes par le secret des correspondances échangées avec un avocat, et contenues dans les documents saisis, en constituaient l’objet essentiel ». Le secret professionnel va s’appliquer là où la confidentialité ne peut s’appliquer et même s’y superposer, grâce à l’indispensable échange du juriste avec l’avocat de l’entreprise en pareille hypothèse.

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