Oriana LABRUYERE
Commission numérique
A propos de l’auteur : Le cabinet La Robe Numérique Avocats assiste ses clients face aux enjeux du droit du numérique et notamment de la mise en conformité au RGPD. Sa fondatrice, Oriana Labruyère s’attache à fournir des réponses concrètes aux contraintes opérationnelles et juridiques propres à chaque client.
Les NFT, une application de la technologie blockchain
Cryptomonnaie, Bitcoin, NFT … L’avènement de la blockchain entraîne avec elle son lot d’innovations et sa terminologie propre. Avant de se concentrer sur l’objet NFT en lui-même, essayons tout d’abord de cadrer le sujet. Une blockchain est une base de données par nature infalsifiable : chaque nouvelle opération entraîne la création d’un bloc de données enregistrant les informations que l’on souhaite authentifier. Chaque bloc est relié à ceux qui le précèdent et à ceux qui vont le suivre : c’est le principe de la « chaîne de blocs » qui est essentiel dans l’authentification des opérations. Cet ensemble de blocs étant interconnecté, il est impossible de revenir sur un maillon de la chaine qui est pour ainsi dire « gravé dans le marbre ». Pour faire simple, une blockchain est un registre d’opérations interconnectées dont l’authentification est réalisée de manière décentralisée et irréversible. Cette technologie est le support des NFT.
Les NFT, de quoi parle-t-on ?
Les NFT ou « Non fungible token » (Jeton non fongible) sont des identifiants numériques inscrits dans une blockchain qui permet de les rendre uniques et inviolables. Associé au fichier qui sert de support dématérialisé d’une œuvre, un NFT lui tient lieu de certificat d’authenticité et constitue tant une preuve de sa provenance que des liens de propriété la concernant. Un NFT ne constitue à aucun moment l’œuvre en elle-même ni son support. Il permet seulement d’affirmer qu’à un moment donné, une personne s’est déclarée titulaire de droits sur un objet numérique.
Dans ce contexte, on peut considérer que le NFT ajoute un troisième niveau à la distinction traditionnelle « œuvre/support matériel » : la capacité de se revendiquer propriétaire. Il s’agirait donc d’un nouvel objet juridique pour le droit de la propriété intellectuelle. Si cela semble ne pas soulever de difficulté particulière lorsque le NFT est créé conjointement à l’œuvre nouvelle à laquelle il est associé, la situation est moins évidente dès lors qu’il est créé sur une œuvre préexistante dont les droits d’exploitation voire le support ont déjà pu être cédés.
Le risque de tomber dans la contrefaçon ?
Ce contexte nous invite à nous interroger sur une problématique classique de la propriété intellectuelle, celle de la contrefaçon. Un NFT d’une œuvre peut-il constituer un acte de contrefaçon de cette même œuvre ?
L’article L.122-4 du code de la propriété intellectuelle définit la contrefaçon comme : « Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque. ».
Ici, nous allons nous pencher plus spécifiquement sur la reproduction car plus facile à caractériser que la représentation qui suppose une communication auprès du public.
En fin d’année dernière, le cinéaste Quentin Tarantino annonçait la mise en vente d’une série de NFT liés à des éléments jamais dévoilés tel que des scènes exclusives du film culte « Pulp Fiction ». Or, dans les années 1990, Quentin Tarantino a cédé les droits d’exploitation du film à la société de production Miramax. S’il a conservé certains droits spécifiques à cette occasion, la société de production argue que les NFT ne peuvent être concernés par ces droits car ils n’étaient pas explicitement visés par le contrat en question. Forcément, à l’époque les NFT n’existaient pas.
La troisième chambre du tribunal de grande instance de Paris a rendu une décision qui peut nous éclairer sur la manière dont le droit français appréhenderait cette situation. Dans l’affaire en cause, Google avait numérisé des livres en grande quantité et cet acte de numérisation était considéré comme potentiellement contrefaisant. Google s’est défendu arguant que ces livres n’étaient que des copies sur ses serveurs internes qui n’impliquait aucune communication au public. La cour n’a pas retenu cette argumentation en considérant que la simple copie sur un serveur était un acte de reproduction (TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 18 déc. 2009, n° 09/00540).
En suivant la voie tracée par cette décision, le fait de charger un extrait de film lié à un NFT sur une plateforme de commercialisation de NFT implique sa reproduction et peut constituer une contrefaçon dès lors que le créateur du NFT ne dispose pas du droit de procéder à cette reproduction. En substance, les problématiques en droit de la propriété intellectuelle portées par les NFT sont les suivantes. Qui a le droit de créer un NFT ? Ce droit est-il attaché au support de l’œuvre ? Est-il transmis à l’acquéreur du support ou bien reste-t-il attaché à l’auteur dans le cadre de ses droits d’auteur ?
La réalité juridique du NFT
Le droit français de la propriété intellectuelle ne définit pas stricto sensu le NFT. Néanmoins le droit positif est assez restrictif sur les droits cédés -et ce, quelle que soit la façon d’envisager le NFT- en disposant que seul ce qui est expressément prévu au contrat constitue l’objet de la cession. Deux possibilités se dégagent de cette situation. Soit le NFT est une composante d’un droit spécifique sur une œuvre, auquel cas la cession de ce droit entraîne la cession des droits relatifs au NFT (sous réserve de déterminer à quel droit le rattacher) ; soit le NFT dispose de sa propre existence juridique et doit être spécifiquement mentionné dans l’acte de transfert de droit.
Pour répondre à cette question, une première orientation a été fournie par le législateur en matière fiscale avec la loi PACTE de 2019 qui crée deux catégories d’actifs numériques : les jetons et la monnaie.
Si au premier abord, les NFT peuvent être rattachés juridiquement au régime du jeton, un problème se pose ici aussi. Le nouvel article L.552-2 du code monétaire et financier définit le jeton numérique comme « tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement partage permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien ».
Or, nos chers NFT n’apparaissent pas comme pouvant conférer des droits à leur propriétaire. Ainsi, l’inscription d’une définition légale du NFC au sein du code de la propriété intellectuelle serait la bienvenue tant cette pratique dispose d’un potentiel pratique incontestable.
En effet, bien qu’aucune reconnaissance jurisprudentielle ne soit encore intervenue en ce sens, le NFT a une vocation probatoire indéniable puisque, reposant technologiquement sur la blockchain, il est par essence infalsifiable. Le NFT se présente également comme un outil pertinent pour faciliter la mise en œuvre du « droit de suite ». A savoir, la perception par l’auteur d’une œuvre d’un pourcentage sur le prix de revente de cette œuvre. Dans certains pays ce droit n’est en effet pas garanti, et cela pourrait offrir une forme de sécurité à des artistes dont l’exposition à la précarité est élevée.
Le droit des NFT reste à bâtir, et nul doute qu’ils feront encore couler beaucoup d’encre dans les mois à venir. Si les pouvoirs publics s’en donnaient les moyens, les travaux sur ce sujet seraient l’occasion d’offrir un semblant d’homogénéité juridique à un secteur où l’asymétrie crée de nombreux problèmes pour les ayants droits. Affaire à suivre donc.
Chiffres clés :
- 24 Milliards de dollars de vente de NFT en 2021 contre 94 Millions en 2020
- 28,6 millions de portefeuilles de NFT échangés en 2021 contre 545 000 en 2020.
- The merge est l’œuvre dont les NFT ont généré le plus d’argent : 91 millions de dollars. Cette œuvre a été découpé en plus de 250 000 unités numérique partagées entre 28 000 acheteurs