Dominic JENSEN et Maxime WARNEYS, avocats au Barreau de Paris, JENSEN & SCHWEBLIN.
L’Ordonnance du 8 février 2023 est entrée en vigueur le 1er septembre 2024. Alors qu’expire le délai d’un an prévu par son article 134 pour « se mettre en conformité », nous avons souhaité faire un point sur ce qu’apporte ce texte à l’exercice en société des professions libérales.
Des attentes fortes … pour un résultat mitigé
L’ordonnance du 8 février 2023 avait un objectif annoncé qui était clair : simplifier et rendre plus lisibles des textes épars et souvent critiqués pour leur complexité. En effet, depuis la création des SEL par la loi du 31 décembre 1990, nous avons droit à un empilement législatif qui a conduit à rendre illisibles les règles applicables aux sociétés d’exercice libéral. La confusion est arrivée à son paroxysme en 2005 avec l’introduction par la loi Macron de l’exercice des professions libérales dans les sociétés de droit commun. Pendant des années, nous nous sommes interrogés sur les différences réelles ou supposées entre l’exercice en SEL et l’exercice en société de droit commun avec un objet social « avocat ». Il était temps de faire le ménage.
Les apports de l’Ordonnance sont réels mais parfois plus subtils que ce que les professionnels pouvaient espérer. L’ordonnance a introduit la société en participation (SEP) et aménagé certaines dispositions pour les SCP mais l’impact de ces nouveautés reste marginal pour les avocats. C’est donc sur les SEL et les SPFPL que l’attention se concentre.
La fin de l’exercice en société de droit commun
C’est la question qui a fait couler le plus d’encre : la fin annoncée des sociétés de droit commun. L’ordonnance précise que toutes les dispositions applicables aux SEL s’appliquent aussi aux sociétés de droit commun, à la seule exception de la dénomination sociale. En clair, une SAS ou une SARL d’avocats est aujourd’hui une SEL qui ne porte pas son nom. Pourquoi maintenir cette fiction ? Probablement pour préserver la possibilité d’utiliser des sigles comme SAS ou SARL. Mais dans les faits, la bascule est faite : une société de droit commun est désormais traitée comme une SEL. La forme est définie par l’objet social.
C’est précisément sur ce terrain que surgit la controverse fiscale. L’administration a imposé aux associés de SEL de déclarer leurs revenus dans la catégorie des BNC, faisant perdre l’abattement de 10 % réservé aux revenus assimilés à des traitements et salaires. La question est de savoir si cette nouvelle doctrine s’applique aussi aux sociétés de droit commun. Certains (courageux ?) soutiennent que non, au nom du principe d’interprétation stricte du droit fiscal : seule la SEL est visée par les textes. D’autres estiment que puisque la société de droit commun est identique à une SEL, sauf pour le nom, elle doit logiquement être soumise au même traitement. Le débat reste ouvert et alimente l’incertitude.
SEL : quelques clarifications, peu de nouveautés
Le premier apport de l’ordonnance est d’avoir tenté de clarifier les règles de détention du capital des SEL. La question de savoir qui peut être associé d’une SEL d’avocats n’a pas changé dans le fond par rapport à la loi de 1990. En revanche, l’insertion des notions de « famille des professions juridique ou judiciaire », de « professionnel exerçant » et l’ouverture plus lisible aux ressortissants européens apportent une facilité de lecture qui manquait cruellement. Hélas, le nettoyage est imparfait. Le dirigeant doit être un associé exerçant dans la société, mais l’ordonnance a maintenu les exceptions issues de la loi de 1990 : lorsque la société est détenue majoritairement par une SPFPL ou par des professionnels de la même famille juridique, la règle s’efface. Faut-il alors appliquer sans limite le droit commun des sociétés, qui permet à une SAS d’avoir pour président une personne morale ou même un tiers étranger au cabinet ? … des doutes subsistent.
L’aberration de la limitation des comptes courants d’associés est enfin supprimée. La loi de 1990 fixait un plafond, rarement appliqué dans les faits, mais que de nombreux statuts reprenaient mécaniquement. L’ordonnance l’a effacé. En pratique, cela signifie qu’il devient prudent de purger les statuts de cette clause désuète. Faute de quoi, la limitation pourrait paradoxalement redevenir applicable… par la seule force des statuts.
La possibilité d’insérer dans les statuts une clause de retrait capitalistique est sans doute l’un des points les plus sensibles. Le mécanisme n’est pas nouveau, il existait déjà pour les SCP, mais l’ordonnance en consacre la légitimité. Concrètement, un associé peut exiger des autres le rachat de ses parts. Cela paraît simple, mais dans un cabinet où la valeur des parts intègre celle de la clientèle, le danger est évident : si l’associé retrayant part avec une partie de la clientèle, il pourrait néanmoins exiger un prix de rachat tenant compte de cette clientèle « perdue ». Le contentieux nourri des SCP à ce sujet montre combien la clause doit être maniée avec précaution. La différence, essentielle, est qu’elle reste facultative en SEL, quand elle était de droit et d’ordre public en SCP. La réintroduction de cette notion résulte plus vraisemblablement d’une incompréhension entre les représentants des professions et les pouvoirs publics lors de la préparation du texte que d’une intention délibérée.
Un dernier changement mérite l’attention : l’ordonnance a renforcé le contrôle des Ordres. Les sociétés (y compris les SPFPL) doivent désormais communiquer chaque année, avant le 1er mars, la composition actualisée de leur capital, les droits de vote mais aussi « les conventions contenant des clauses portant sur l’organisation et les pouvoirs des organes de direction, d’administration ou de surveillance ayant fait l’objet d’une modification au cours de l’exercice écoulé ». Il reste à voir comment ceci peut être mis en œuvre par les barreaux.
SPFPL : déception pour l’objet social
Du côté des SPFPL, l’Ordonnance a revisité l’objet social. L’article 110 prévoit que ces sociétés peuvent détenir, gérer et administrer des biens et droits immobiliers, mais uniquement si ces activités sont destinées au fonctionnement des sociétés dans lesquelles elles détiennent des participations. Certains y voient une avancée, l’immobilier professionnel étant expressément admis. D’autres considèrent au contraire que l’ordonnance a restreint le champ par rapport à la loi de 1990, qui autorisait déjà les activités accessoires dès lors qu’elles étaient destinées aux sociétés détenues, sans mentionner aussi directement l’immobilier. La question est pratique : une SPFPL peut-elle détenir un immeuble et le mettre à disposition d’un cabinet d’avocats dans lequel elle n’est pas associée ? La réserve introduite par le texte laisse entendre que non. On comprend que la SPFPL peut investir dans l’immobilier, mais seulement pour ses filiales. Ceux qui espéraient que la SPFPL pourrait jouer un rôle de holding patrimoniale pour l’avocat resteront sur leur faim.
Toilettage recommandé
Une mise à jour des statuts reste recommandée même si son absence ne serait pas sanctionnée. Pour ceux qui exercent (encore) en société de droit commun, la mise en conformité n’est pas une transformation. A Paris, les services de l’exercice professionnel insistent sur la précision des éléments de langage dans le procès-verbal votant la mise à jour des statuts.
