Juliette Halbout, avocate, co-présidente de l’ACE-JA
L’ACE a toujours prêté une attention particulière au développement de l’IA pour les avocats. Aujourd’hui, la maturité du marché et la pléthore d’outils à disposition des confrères justifient que ce sujet soit mis à l’honneur dans la Revue.
Vous êtes peut-être déjà conquis, encore en réflexion, ou plutôt réfractaire à l’usage de l’IA dans votre pratique quotidienne… Dans tous les cas, ce sujet ne laisse personne indifférent.
Et si, au-delà des mythes, l’intelligence artificielle était un outil puissant au service de la performance, de l’organisation des cabinets… et du bien-être mental des avocats ?
Oser l’IA, ce n’est pas renoncer à son rôle d’avocat : c’est au contraire se doter des outils disponibles et accessibles pour mieux exercer sa mission, dans le respect de la déontologie.
Concrètement, quels sont les besoins de l’avocat auxquels peut répondre l’IA de façon pertinente ? Nous en avons répertorié quatre.
Les besoins auxquels répond l’IA
Améliorer l’image de marque du cabinet
La communication est devenue un pilier incontournable du développement de l’activité de l’avocat : présence en ligne, publications d’articles, réponses aux avis, newsletters… autant de nouvelles activités qui peuvent paraître chronophages, mais qui sont aujourd’hui incontournables pour attirer l’œil des clients et des futures recrues du cabinet.
De nombreux outils d’IA sont à la disposition des avocats pour les aider à améliorer leur image de marque à travers la communication, et notamment :
- des IA génératives grand public (type ChaGPT), qui permettent de produire rapidement des contenus de qualité, tels que des posts pour les réseaux sociaux type LinkedIn ou des communiqués de presse ;
- des outils d’infographie utilisant l’IA (type Caneva ou Napkin), qui permettent de réaliser facilement des visuels impactant à des fins de communication interne et externe au cabinet (présentations clients, carrousels pour les réseaux sociaux, supports de formation, etc.).
Ces tâches, lorsqu’elles sont partiellement automatisées, permettent à l’avocat de proposer une communication régulière sans alourdir sa charge mentale.
Naturellement, chaque contenu doit systématiquement être vérifié, validé, et adapté par l’avocat : l’IA n’écrit pas à sa place, elle propose une base à affiner.
Recherche juridique : mieux chercher, plus vite
L’IA transforme également la recherche juridique.
Des moteurs de recherche adossés à des éditeurs juridiques fiables permettent de trouver rapidement des réponses pertinentes, de croiser des sources (textes, jurisprudence, doctrine) et de souligner des points d’attention tout en ouvrant la réflexion.
En facilitant l’accès à l’information, l’IA permet aux avocats de gagner du temps et de consolider leurs arguments, tout en limitant les risques d’erreur ou d’oubli.
Encore une fois, l’humain reste maître de l’interprétation et de la stratégie : l’IA est un outil d’appui, pas un substitut à l’analyse juridique.
La prudence reste naturellement de mise pour des outils grand public qui ne citent pas systématiquement leur source, sans oublier que l’intégralité des solutions IA sont a priori sujettes à hallucinations.
Production juridique : gagner du temps sans renoncer à la rigueur
L’IA peut également améliorer l’efficacité de l’avocat en termes de production juridique, notamment en matière de rédaction d’actes (contrats, clauses, requêtes, conclusions etc.).
Des outils de traitement du langage naturel spécialisés dans le domaine juridique permettent ainsi de générer des trames à partir d’éléments factuels renseignés par l’avocat.
D’autres solutions dotées de l’IA prônent la dématérialisation de process auparavant très chronophages (signature électronique, registres dématérialisés pour les avocats en droit des sociétés, etc.).
Cette assistance ne remplace en aucun cas l’analyse juridique humaine, mais elle accélère les phases de rédaction initiale. En pratique, cela signifie plus de temps pour la réflexion, l’analyse stratégique et l’accompagnement du client, qui restent au cœur du métier.
Gestion de cabinet : une IA au service de l’organisation administrative
Tous les avocats le savent, la gestion administrative du cabinet peut se révéler un vrai casse-tête, notamment pour les petits cabinets qui ne sont pas dotés de personnel salarié.
Là encore, l’IA propose des outils performants qui permettent de gagner du temps.
Création de dossiers en un rien de temps, facturation facilitée, comparaisons, analyse de documents, comptes-rendus… autant de micro-tâches allégées, pour une charge mentale réduite et une meilleure capacité à se concentrer sur le cœur du métier : défendre, conseiller, plaider le cas échéant.
Un impact direct sur la santé mentale de l’avocat
Le quotidien de l’avocat est souvent marqué par l’urgence, la complexité, voire l’isolement et la pression psychologique. Comme on l’a vu, l’automatisation partielle de certaines tâches répétitives ou chronophages peut permettre de libérer du temps, diminuer la fatigue cognitive et favoriser un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.
Utiliser l’IA de manière judicieuse, c’est aussi se protéger : protéger son temps, sa concentration, sa disponibilité émotionnelle. En un mot, c’est prendre soin de sa santé mentale, sans compromettre ni la qualité ni la déontologie de son travail.
Oser l’IA, avec prudence : l’impératif de la déontologie
Toutefois, oser l’IA ne signifie pas tout accepter, ni tout déléguer. L’usage de ces technologies doit se faire dans le strict respect des règles déontologiques, et en particulier :
- Le secret professionnel : l’avocat doit s’assurer que les outils qu’il utilise garantissent une totale confidentialité des données. Cela implique de vérifier les conditions d’utilisation (notamment pour les IA gratuites ou “grand public”), de privilégier des solutions sécurisées, et de ne jamais intégrer d’informations sensibles dans des outils non maîtrisés.
- La modération et la vérification : les IA génératives peuvent produire des textes convaincants, mais parfois inexacts ou approximatifs. Il est impératif de relire, vérifier, sourcer, et ajuster toute production issue d’un outil d’IA. Le devoir de rigueur demeure intégralement à la charge de l’avocat.
- L’humanité et la responsabilité : l’IA ne doit pas déshumaniser la relation avocat-client. Le discernement, l’écoute, l’éthique ne sont pas automatisables. L’avocat reste pleinement responsable des choix opérés et des conseils donnés, y compris lorsqu’il s’appuie sur une IA.
Enfin, une réflexion nous semble nécessaire sur l’encadrement de l’usage de l’IA au sein du cabinet, le cas échéant à travers l’édition d’une Charte.
Des solutions accessibles à tous
Bonne nouvelle : l’usage de l’IA n’est plus réservé aux grandes structures. Il existe aujourd’hui une multitude de solutions à coûts maîtrisés (voire gratuites) adaptées aux besoins des cabinets de toutes tailles. De nombreux outils sont spécialisés dans la sphère juridiques, d’autres sont généralistes mais peuvent être paramétrés.
L’important est de tester progressivement, en commençant par des cas d’usage simples, et en gardant la main à chaque étape. La courbe d’apprentissage est souvent rapide, et les bénéfices se font rapidement sentir.
Oser, mais maîtriser
L’IA est un outil, pas une fin en soi. Bien utilisée, elle peut devenir un levier puissant pour améliorer l’efficacité, gagner du temps et renforcer la qualité du service rendu aux clients.
Pour les avocats, il ne s’agit pas de se transformer en ingénieur ou de tout déléguer, mais d’oser expérimenter, avec vigilance, en s’équipant des bons outils et en apprenant les bons réflexes.
Enfin, à l’heure où la santé mentale devient un enjeu central dans la profession, une adoption responsable de l’IA pourrait ouvrir la voie à une pratique plus sereine, plus fluide, et, au fond, plus plus humaine.
