
Emmanuel RASKIN, Président d’Honneur de l’ACE
« Mon petit…Je voudrais pas te paraître vieux jeu, ni encore moins grossier. L’homme de la Pampa parfois rude reste toujours courtois, mais la vérité m’oblige à te le dire : ta procédure civile commence à me les briser menu. »
Le 5 janvier 2023, le garde des sceaux Eric Dupont-Moretti a présenté son plan d’action issu des Etats généraux de la justice, lancés par l’exécutif fin 20211.
Il s’agissait de répondre au « délabrement avancé » de la justice et à la « perte de sens » dénoncée par les professionnels.
Ce discours était très attendu, l’annonce du plan ayant été reportée à la dernière minute pour des raisons de calendrier, alors qu’un volumineux rapport avait été remis au président de la République en juillet 2022 et qu’en novembre 2021 magistrats, avocats et greffiers étaient redescendus dans la rue pour clamer leur colère, malgré un nouveau rehaussement du budget de la justice et à l’heure où la surpopulation carcérale battait tous les records2.
En quelques phrases choc, le ministre a dressé le bilan : « Que nous ont dit nos concitoyens ? D’abord : – que la justice est trop lente, – Qu’elle est trop complexe. Il faut les entendre et cela nous oblige ». « Que nous ont dit les professionnels ? – Qu’ils manquent de moyens, – Qu’il y a eu ces dernières années une inflation législative qu’il convient d’endiguer et, – Que, de façon générale, les procédures sont devenues trop complexes. – Ils nous ont dit aussi que l’organisation de la justice n’est pas optimale. Il faut les entendre et cela nous oblige ». Dans ce cadre, le plan d’action se positionna sur tous les fronts de l’institution judiciaire et reposa sur un budget de 11 milliards d’euros à la fin du quinquennat.
Le garde des sceaux procéda à un constat sans appel : les décrets Magendie n’ont pas rempli leur office et ont même contribué à pénaliser avocats et justiciables, par la rigidité des délais qu’il convient donc de « desserrer ».
Cette proposition fut cependant très vague…
Il fut regrettable de s’en tenir à une seule modification de délais, sans une refonte de la procédure d’appel par la suppression des dispositions « couperets » et favorables à la seule voie de l’appel réformation, lesquelles n’ont strictement servi qu’à allonger les instances, à alourdir les stocks et à éloigner le justiciable du juge en ne lui permettant pas de voir ses prétentions tranchées.
Rien ne fut fait, enfin presque, une réformette…
La Chancellerie avait, en effet, promis une réelle simplification de la procédure d’appel avec une vraie réforme attendue pour réformer les délais couperets de cette procédure.
Qu’en est-il ?
Le décret n°2023-1391 du 29 décembre 2023, dit décret « portant simplification de la procédure d’appel en matière civile »,
➡ dont les dispositions entrèrent en vigueur le 1er septembre 2024, applicable aux instances d’appel introduites à compter de cette date et aux instances reprises devant la cour d’appel à la suite d’un renvoi après cassation lorsque la juridiction de renvoi est saisie à compter de cette même date, est en réalité un pansement sur une jambe de bois…
Rien ne change réellement, à part quelques points sur la déclaration d’appel, les conclusions et ce qu’elles doivent contenir pour que la cour soit saisie, les pouvoirs du conseiller de la mise en état (CME) mais rien sur la suppression des délais couperets 908, 909 et 906-1 et suivants du code de procédure civile,
➡ à part l’allongement de certains d’entre eux
(articles 906-1, 906-2 pour la procédure à bref délai)
et
➡ la possibilité pour le CME, à la demandes parties ou d’office, allonger ou réduire les délais prévus aux articles 908 à 910 !
Cela peut donc être pire qu’avant et sans recours car la décision de réduction d’office est une mesure d’administration judiciaire !!!
« Le conseiller de la mise en état peut, à la demande d’une partie ou d’office, allonger ou réduire les délais prévus aux articles 908 à 910. Cette décision, prise par mention au dossier, constitue une mesure d’administration judiciaire. » Sic !
Projet de réforme de la procédure civile en première instance ?
Le 11 janvier 2024, la DACS soumis à la consultation du CNB un premier projet de décret qui intègre une série de dispositions afin de :
➡ Fluidifier et sécuriser le circuit procédural de l’intermédiation financière des pensions alimentaires (IFPA)
➡ Simplifier le traitement des fins de non-recevoir
➡ Sécuriser le régime de la péremption d’instance
➡ Améliorer le dispositif de maintien de la mesure d’isolement ou de contention de l’article R.3211-33-1 III du code de la santé publique ➡ L’extension de la procédure de saisine pour avis de la Cour de cassation
L’ACE rappelle le rapport du groupe de travail sur la simplification de la justice civile lorsqu’il a écrit :
« C’est à la qualité d’une véritable offre de justice plurielle que les moyens de la justice doivent désormais être dédiés. Cette politique doit être guidée par l’exigence de qualité et par un certain nombre de principes émergents du procès civil contemporain : principe de coopération loyale des acteurs du procès, principe de proportionnalité procédurale3 (recherche de moyens procéduraux adaptés aux grandes catégories de litiges mais aussi aux spécificités propres à chaque affaire). »4
Pour le garde des sceaux ante législatives 2024, deux voies nouvelles impliquant l’intervention du juge devaient être ouvertes. Elles le furent… La césure et l’audience de règlement amiable.
Attendons le bilan de ces deux nouvelles créations.
Rapidité, et en l’espèce, c’est vite dit, ne rime pas forcément avec justice et il faut espérer que les justiciables qui le souhaitent pourront continuer d’emprunter la voie ordinaire contentieuse, sans être excessivement pénalisés, notamment en termes de délais de justice.
Enfin, l’expérience dira si ces nouveaux MARD seront plus efficaces que ceux qui ont déjà été expérimentés.
« Paroles et paroles et paroles…
Encore des mots, toujours des mots, les mêmes mots…
Caramels, bonbons et chocolats
Par moments, je ne te comprends pas… » (Dalida & A. Delon)
Une énième réforme de procédure civile pour la rentrée 2024 : un nouveau décret n° 2024-673 du 3 juillet 2024 entra en vigueur le 1er septembre 2024 et est applicable aux affaires en cours, à l’exception de son article 10, traitant des procédures disciplinaires des profession réglementées.
- L’audience de règlement amiable est étendue aux litiges relevant de la compétence du juge des loyers commerciaux et du tribunal de commerce, référés inclus pour ce dernier, ainsi qu’aux litiges relevant de la compétence de la chambre commerciale du tribunal judiciaire dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.
Le régime des fins de non-recevoir au sein du livre Ier du code de procédure civile est modifié, enfin…il revient un peu à ce que la procédure était avant le décret n°2019-1333 très contesté du 11 décembre 2019, mais en moins bien : le juge de la mise en état près le tribunal judiciaire pourra, dans certains cas, renvoyer l’examen d’une fin de non-recevoir devant la formation de fond, au bénéfice d’un spectre très large de motivation : complexité du moyen ou l’état d’avancement de l’instruction. Cette décision sera non susceptible de recours car il s’agit d’une mesure d’administration judiciaire.
Pourquoi ne pas avoir enlevé les fins de non-recevoir du champ de l’article 789 du CPC ?
Non ! Trop simple…
- La liste des ordonnances du juge de la mise en état susceptibles de faire l’objet d’un appel immédiat est amendée : sont désormais exclues les ordonnances qui, en statuant sur une exception de nullité, une fin de non-recevoir ou un incident d’instance, ne mettent pas fin à l’instance.
- Ce n’est pas fini, il y également un autre décret (ci-joint) du même jour : le décret n° 2024-674 relatif à l’expérimentation du tribunal des activités économiques (TAE) publié au JO le 5 juillet 2024 et entré en vigueur le lendemain de sa publication.
Il définit les modalités de pilotage de l’expérimentation prévue à l’article 26 de la loi n°2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027.
Les compétences du tribunal de commerce (TC) sont étendues et, dans ce cadre, il est renommé « tribunal des activités économiques ».
L’arrêté du 5 juillet 2024 relatif à cette expérimentation, publié au JO du 6 juillet 2024, fixe la date de début de cette expérimentation et désigne les TC qui seront ainsi renommés.
Il est prévu un début le 1er janvier 2025, pour une durée de 4 ans.
Les 12 TC désignés TAE sont :
Marseille
Le Mans
Limoges
Lyon
Nancy
Avignon
Auxerre
Paris
Saint-Brieuc
Le Havre
Nanterre
Versailles
Post élections, nouveau gouvernement, allez, une nouvelle petite réforme cet hiver, histoire de ?
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