
par Benoit Aubert, Directeur Général de l’ESLSCA.
Auteur de l’ouvrage « Les Tontons flingueurs : leçons de management » (éditions de l’Opportun – 2024)
Référence du film : Les Tontons Flingueurs de Georges Lautner (1963). Scénario d’Albert Simonin, dialogues de Michel Audiard et musique de Michel Magne.
Si les noms de Fernand Naudin (Lino Ventura), Raoul Volfoni (Bernard Blier) ou maître Folace (Francis Blanche) ne vous rappellent rien ; si des tirades telles que « les cons ça ose tout. C’est même à ça qu’on les reconnait » ou bien encore « Y va avoir un réveil pénible, j’ai voulu être diplomate à cause de vous tous, éviter que le sang coule» vous échappent, le temps est venu de vous replonger dans le cultissime film de Georges Lautner Les tontons flingueurs (1963). Outre le plaisir de redécouvrir les savoureux dialogues de Michel Audiard, ce film est l’occasion d’entamer une réflexion profonde et sans doute inattendue sur le …. management ! La proposition étonne mais la richesse de la matière vous permettra des progrès rapides et un savoir-faire inédit de la gestion des Hommes et des projets.
Dans cette histoire de gangster, le droit brille par son absence même si de nombreuses situations auraient nécessité un cadre juridique précis et l’appui d’avocats expérimentés. Las, entre gangsters, nul besoin de droit des sociétés ou de droit des affaires pour transmettre les affaires louches du Mexicain (Jacques Dumesnil) à Naudin : une parole suffit « J’viens de céder mes parts à Fernand ici présent. C’est lui qui me succède ». Nul besoin de droit du travail et encore moins de dialogue social, les relations employeur-employé sont régulées à coup de mitraillette, de dynamite et d’intentions musclées : « je vais l’travailler en férocité, l’faire marcher à coups de lattes, à ma pogne j’veux le voir ». L’approche du droit commercial, quant à elle, fait sourire, les créances doivent être remboursées « sous huitaine » tandis que les contrats sont gérés à cours de « bourre-pif ».
La présence de maître Folace pouvait offrir un soupçon de droit notarial, mais l’homme donne la priorité au comptage du « grisbi » en robe de chambre et à l’observation des ses contemporains « c’est curieux chez les marins ce besoin de faire des phrases ». Pour finir, Raoul Volfoni résume à sa façon l’appréhension du droit à la sauce Tontons flingueurs : « je connais qu’une loi, celle du plus fort ». Les professionnels que vous représentez déplorent sans doute cette vue juridique étroite et sans issue. Les faits vous donnent raison. Quelques minutes après le début de film, Fernand déchante : « trois morts subites en moins d’une demi-heure. Ah, ça part sévère des droits de succession ». Même le code d’honneur des gangsters semble mis à mal, offrant une perspective incertaine sur la pérennité de l’entreprise comme le susurre rapidement un des sbires de Naudin à son patron : « les surprises, t’es peut-être pas au bout » !

Vos expertises auraient à l’évidence apporté un cadre apaisé à la gestion des affaires du Mexicain. Que peut vous offrir en échange une analyse fine de ce film ? Étonnamment, une vision très moderne du management. L’histoire des tontons flingueurs décrit une situation critique de repreneuriat. Une cession rapide et sous contrainte d’une entreprise induit des erreurs importantes d’appréciation de Naudin sur la santé et l’organisation des affaires qui lui sont transmises. Découle de ce point de départ malheureux une vérité toute autre que celle exprimée par Louis le Mexicain avant de rendre son dernier souffle « J’ai des affaires qui tournent toutes seules ».
Non, rien ne fonctionne et la trésorerie défaille. Fernand attribue à tort les errances de gestion aux frères Volfoni. Il faudra 1h30 de pellicule pour qu’il comprenne l’origine réelle du mal, assoit son leadership et élabore des solutions de redressement musclées. Les tribulations de l’homme de Montauban favorisent la prise de recul sur des thèmes sensibles tels que la gestion du changement (« ça va changer et vite, c’est moi qui vous le dis »), sur l’appréhension des situations difficiles (« t’essaierais pas de me faire porter le chapeau des fois »), sur l’art de la négociation et la diplomatie (« l’époque serait aux tables rondes et à la détente »), sur les principes d’une communication efficace (« je ferai donc mon panégyrique moi-même »), voire sur des thèmes contemporains comme l’intelligence situationnelle.
De cette interprétation inédite du film, vous adopterez un regard nouveau sur ce qui façonne un leader d’exception, apte à déléguer tout en restant dans l’action, à conduire des équipes difficiles sans trop de heurts et à apprécier les situations de façon objective et sans biais cognitif. Alors replongez-vous dans l’œuvre, savourez sa pédagogie managériale et sortez grandis : « si on rigolait plus souvent, on aurait moins la tête aux bêtises ».