Delphine BASTIEN, Avocate spécialisée, Déléguée à la Protection des Données, Chargée de cours à l’EGE

Forts risques de contrefaçon et de parasitisme des propriétés olympiques et de violation de droit à l’image des sportifs

Lors des J.O. de Londres en 2012, un gestionnaire de bars a été condamné pour avoir reproduit sur 200.000 sous-bocks de bière, ainsi que sur son site web, les cinq anneaux olympiques entrelacés soi-disant pour informer sa clientèle de la retransmission des épreuves dans ses établissements1. Lors des J.O. de Rio de 2016, une société a été condamnée pour avoir commercialisé une collection de vêtements portant un logo composé de cinq cœurs de couleurs entrelacés et associé à la mention « Polo Rio 2016 Collector »2. Lors des J.O. de Pyeong Chang – Corée du Sud en 2018, la société Sixt a été condamnée pour avoir utilisé les marques « Jeux olympiques » sous différentes formes dans le cadre d’un jeu sur les réseaux sociaux3. Lors des J.O. de Londres, la société Le Coq Sportif a été condamnée pour avoir présenté sur son site web, sous la dénomination « Joakim Noah 3.0. le rêve olympique », une paire de baskets reproduisant les couleurs des anneaux olympiques et portant la mention « Le rêve olympique »4. À chaque manifestation sportive, et en particulier au cours des J.O., l’histoire se répète et un grand nombre d’acteurs économiques est poursuivi en justice…

  1. Gestion des droits de propriété intellectuelle du Comité 

Les « propriétés olympiques », qui appartiennent au C.I.O. (Comité International Olympique), sont composées du symbole olympique et paralympique, du drapeau olympique et paralympique, de la devise olympique, de l’hymne olympique, des identifications (y compris « Jeux olympiques », « Jeux paralympiques », « olympiades », « olympisme », « olympien », « olympienne » etc.) , des sigles J.O. (Jeux Olympiques) et J.P. (Jeux Paralympiques), du millésime des éditions des Jeux olympiques (Ville + année), de la flamme et des flambeaux olympiques ainsi que de toutes les œuvres musicales et audiovisuelles, créations et objets en relation avec les Jeux Olympiques et Paralympiques (logo, mascotte, slogan, affiche des J.O.).5

Les marques sportives, et en particulier les propriétés olympiques ainsi que l’image de certains sportifs de haut niveau ou professionnels, ont une fonction éminemment publicitaire, car elles ont un pouvoir d’attraction exceptionnel notamment en raison des valeurs qu’elles véhiculent et de leur rayonnement international. Elles sont donc exploitées dans le cadre de contrats de publicité, de sponsoring, d’image.

Pour les J.O. Paris 2024, les organisateurs attendent de leurs partenaires officiels pas moins d’un milliard et demi d’euros pour aider à financer l’évènement6. Mais en contrepartie de cette manne financière, les partenaires officiels attendent une protection renforcée de leurs droits d’exploitation de ces propriétés olympiques et de l’image des sportifs.

Les marques sportives sont protégées le plus souvent sur le fondement du droit de la propriété intellectuelle (droit des marques, droit d’auteur, droit des dessins et modèles) et sur celui du parasitisme. Le législateur français a adopté des lois pour assurer une protection renforcée aux propriétés olympiques7 en vue des J.O. 2024. Celles-ci instaurent un régime autonome, par rapport au régime du droit des marques, qui établit une interdiction légale et générale de leur utilisation commerciale sans autorisation.

Il appartient au CNOSF (Comité national olympique et sportif français) et au CPSF (Comité paralympique et sportif français) de prendre les mesures nécessaires afin de protéger ces propriétés olympiques et le cas échéant d’agir en justice pour les défendre8. Et entre le 1er janvier 2019 et le 31 décembre 2024, le COJOP (Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024) pourra également agir en justice pour son propre compte.9

Ne pas reproduire ou imiter les propriétés olympiques ne suffit pas à éviter un carton rouge. Ainsi, l’ambush marketing est une stratégie publicitaire de certains acteurs économiques qui cherchent à associer leur image à un évènement sportif ou culturel, sans l’autorisation de l’organisateur et sans payer le prix du partenariat. 

Par exemple, à l’occasion des J.O. de Londres 2012, la société Jaguar Land River a été condamnée pour avoir diffusé une campagne publicitaire mettant en scène l’un de ses modèles, à proximité d’une piste d’athlétisme laissant apparaître une haie d’obstacles. Ce visuel était accompagné du texte : « Defender, le seul athlète qui sera plus performant à Londres en 2012 qu’en 1948 », « champion de l’épreuve de franchissement », « Londres 1948 », « Londres 2012 ». C’est la concomitance de cette communication publicitaire avec la période des Jeux qui caractérise ici l’ambush marketing.10

Un faisceau d’indices permet de savoir à quel moment l’annonceur risque d’être sanctionné sur le terrain soit de la contrefaçon soit du parasitisme : concomitance avec l’évènement sportif, usage des propriétés olympiques, recours directement ou indirectement à la mention « partenariat officiel », recours à une personnalité connue dans le monde sportif ou culturel laissant penser à un partenariat avec l’évènement, etc. 

  1. Gestion des droits à l’image des sportifs 

Le droit à l’image d’une personne s’applique à son corps, mais aussi à son nom, sa voix et tout élément renvoyant à ces attributs. Il est protégé sur le fondement du droit au respect de la vie privée.11

Dans le domaine sportif, il existe plusieurs droits à l’image:

  • droit à l’image individuelle : c’est le droit pour le sportif d’autoriser l’association de son image à un sponsor en vue de promouvoir un partenaire (équipementiers sportifs, marques) en contrepartie de revenus conséquents. L’autorisation du sportif sera négociée dans le cadre de contrats de parrainage ou de publicité,
  • droit à l’image individuelle associée à l’activité de la structure sportive : c’est le droit pour la structure sportive dont dépend le sportif d’exploiter son image pour assurer sa promotion, la promotion des compétitions sportives ou la promotion des équipements portés à l’occasion desdites compétitions. Dans ces cas spécifiques, le consentement du sportif est tacitement présumé. Mais en dehors de ces cas, celui-ci sera à nouveau négocié dans le cadre de contrats de parrainage ou de publicité,
  • droit d’image collective : c’est le droit pour les structures sportives, dans le cadre de leurs activités professionnelles, d’associer leur image à celles de plusieurs sportifs (un quorum de sportifs doit être atteint) appartenant à leur équipe ou à leur club. Ici, les sportifs en sont simplement informés, mais ne peuvent s’y opposer. Mais en deçà de ce quorum, le consentement des sportifs est requis et conduira également à la conclusion de contrats de parrainage ou de publicité.

Aujourd’hui, le droit à l’image génère pour ces sportifs, des revenus très substantiels – parfois même supérieurs à leurs revenus tirés de leurs activités sportives – provenant principalement d’équipementiers sportifs, de marques, de structures sportives (ci-après les partenaires).

Lors des J.O., l’image d’un athlète ou d’un membre de la délégation française est réservée aux partenaires olympiques. 

La question qui se pose est donc celle de savoir comment les partenaires non olympiques ou non paralympiques, sous contrat avec un sportif avant les J.O., pourront continuer à utiliser l’image d’un sportif pendant les J.O12

La règle 40 est un article de la Charte olympique qui expose les principes régissant l’utilisation de l’image des participants (concurrents, entraîneurs, instructeurs ou officiels) aux Jeux olympiques, à des fins publicitaires et sur les réseaux sociaux, pendant la période des J.O. 

Ainsi, en 2024, les participants et leurs partenaires non olympiques ou non paralympiques pourront uniquement réaliser des publicités génériques c’est-à-dire dont le seul lien avec les J.O. est l’utilisation de l’image d’un participant aux J.O. dans la publicité. Cette publicité ne doit donc pas contenir une propriété olympique/paralympique. En outre, elle doit être diffusée au moins 90 jours avant la période des Jeux et être adressée au CNOSF, CPSF et Paris 24 (c’est-à-dire le COJOP) sur une plateforme dédiée. Bien entendu, la diffusion de cette publicité générique ne doit pas s’accroître pendant les J.O. 

Autrement dit, les partenaires non olympiques ou non paralympiques sont seulement autorisés à utiliser l’image d’un sportif si l’action promotionnelle ne peut, en aucune manière, être associée aux propriétés olympiques ou à l’évènement sportif.

Lors des J.O. de Rio 2016, une entreprise de prêt-à-porter a été poursuivie pour avoir posté sur Instagram une photo d’un athlète de l’équipe d’athlétisme américaine, également égérie de la marque, au motif que celle-ci avait mentionné en dessous de la photo « #RoadtoRio ». 13

Conclusion : Seuls les médias, sur le fondement du droit à l’information, et les partenaires officiels, en application de leur contrat de partenariat, pourront donc exploiter sereinement les propriétés intellectuelles et/ou l’image des participants aux J.O. de Paris 2024. Leurs utilisations par des acteurs économiques, non-partenaires officiels des J.O, en vertu du droit à la liberté d’expression seront donc extrêmement délicates et augurent de sérieuses contestations de la part du CNOSF, du CPSF, du CIO ou des sportifs eux-mêmes qui useront peut-être de l’I.A. (Intelligence Artificielle) pour vérifier ce qui circule sur Internet.… À vos marques, prêt, partez !

  1.  CNOFS c/ Frogpubs Cass. 17/01/2017
    ↩︎
  2.  CNOSF c/ Master Distribution & UFO, TGI Paris, 07/06/2018
    ↩︎
  3.  CNOSF c/ Sixt, TGI Paris, 29 /05/ 2020
    ↩︎
  4.  CNOSF c/ Le Coq Sportif, TGI Paris, 13/06/2014
    ↩︎
  5. Charte olympique, art. 7.4 et suiv.
    ↩︎
  6. « Les J.O. 2024, enjeux et conséquences en matière de dépôts de marques », Cabinet Beau de Loménie, dernière modification 23/05/2023
    ↩︎
  7.  Loi n° 2018-202 du 26 mars 2018 relative à l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, Loi no 2022-296 du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France ; Art. L. 141-5 et suiv. du Code du sport ↩︎
  8. Charte olympique, pt 1.2 du texte d’application des règles 7-14
    ↩︎
  9. CA Paris, Pôle 5, ch2, 21/01/2011 n° 09/20261, CA Orléans, Ch soc, 2/07/2004 n° 03/00709
    ↩︎
  10.  TGI Nanterre 27 mars 2014 n° 12/05318
    ↩︎
  11. Articles L. 1240 du Code civil et L. 226-1 et L. 226-2 du Code pénal
    ↩︎
  12. Consignes de communication pour l’application de la règle 40 du CIO / règle de sponsoring & publicité de l’athlète de l’IPC pour la délégation française aux jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024.
    ↩︎
  13.  Jeux olympiques de Rio : l’utilisation du hashtag #Rio2016 soumise à restriction, Nathalie Dreyfus, CPI, publiée le 18/11/2016 sur le site web www.village-justice.com
    ↩︎

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