Claude Revel, présidente du GIE France Sport Expertise, ancienne déléguée interministérielle à l’intelligence économique
Mars 2024
La France organisera les jeux olympiques et paralympiques (JOP) en 2024, du 26 juillet au 11 août d’abord puis du 28 août au 8 septembre. Ce grand événement se déroule dans un pays où le sport est devenu une industrie à part entière, ayant d’ailleurs suscité la création en 2016 d’une Filière Economie du Sport, renouvelée en mars 2024 au niveau de sa gouvernance et de sa composition mais toujours d’essence publique-privée. Le code du Sport dispose dans son article L.100-1 que « [les activités physiques] constituent un élément important de l’éducation, de la culture, de l’intégration, et de la vie sociale. Elles contribuent également à la santé » mais il associe le mouvement sportif à la mise en œuvre de cet objectif. Ce modèle est singulier dans un secteur du sport très concurrentiel au niveau international en termes économiques et financiers mais aussi très sensible politiquement, le sport étant devenu un marqueur de cohésion sociale et potentiellement objet de toutes sortes d’influences. Le Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (COJOP) établi par l’État en 2018, en lien avec le Comité international olympique (CIO) est au cœur de ces enjeux publics-privés. Ils sont nombreux et nous en choisirons trois.
L’importance de la gestion stratégique de la commande publique
Selon l’Observatoire du sport de la BPCE, la filière sport génère en 2022 71 milliards d’euros dont 51 milliards de chiffre d’affaires des entreprises. En 2021, les administrations ont dépensé 14,3 milliards d’euros en faveur du sport. La part de la commande publique est donc importante. Concernant les JOP, le montant prévisionnel des achats du COJOP s’élève à 2,372 milliards d’euros. Soulignons aussi le budget de la Solideo en charge des infrastructures, à savoir 3,7 milliards dont 1,7 provenant de l’Etat et des collectivités.
Un premier sujet d’intelligence économique réside donc dans le fléchage de la commande publique pendant les JOP. Si 32% des achats sont fléchés vers les entreprises partenaires des Jeux, 52,5% passeront par la commande publique classique. Or comme le soulignent le sénateur Stéphane Mazars et le député Stéphane Peu dans leur Rapport d’information n° 1505 de juillet 2023 sur les retombées des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 sur le tissu économique et associatif local, « une part des retombées économiques échappera in fine aux entreprises françaises ». Rappelons que lors des Jeux olympiques de Londres en 2012, les entreprises britanniques s’étaient vu attribuer 94% des contrats (source rapport du CIO de mai 2022), dont 86% à de pures entités britanniques (le reste étant des joint-ventures de droit britannique avec des non Britanniques), et de manière parfaitement légale, notamment en préparant les PME à répondre aux appels d’offres dès quatre ans avant les Jeux. Nous ne connaissons pas encore le pourcentage définitif de marchés des JOP attribués à des entreprises françaises car les informations pour l’instant délivrées par le COJOP ne sont pas complètes.
Néanmoins, d’une manière générale, il faut attribuer à la commande publique des objectifs stratégiques, qui devraient être entre autres de soutenir les industries nationales. Cela peut déjà se faire dans le cadre actuel, en utilisant toutes les possibilités déjà introduites il y a quelques années, mais devrait être accentué.
Toujours dans ce cadre, il devrait être évité de passer des marchés sensibles avec des entreprises étrangères dont on ne sait pas -ou on sait trop bien- les liens avec leurs gouvernements. En outre pourquoi fournir -et en outre en les payant- des données à des entreprises qui vont les utiliser pour alimenter leurs propres modèles d’intelligence artificielle ? Le sport français regorge de données en général plutôt bien organisées (sur les sportifs de haut niveau, les pratiques sportives, les performances des matériels, etc.). Bien entendu le sujet des données soulève aussi celui de la cyber sécurité, qui n’est pas liée qu’aux hackers et pirates.
Les JOP, lieu de concurrence des règles et modèles
Selon l’analyse de Laurence Folliot, Professeur de droit à l’université de Nanterre et spécialiste de la commande publique, le Code de la commande publique 2019 via son article L. 2512-2 permet d’appliquer « la procédure propre à une organisation internationale » lorsque celle-ci finance entièrement l’opération ou bien une procédure dite « convenue » « entre l’organisation internationale et l’acheteur lorsque le marché public est cofinancé majoritairement par cette organisation internationale ». Dans un avis de 2019, le Conseil d’État a considéré que cette exception pouvait s’appliquer au CIO.
Ce sujet va bien plus loin que la commande publique. Le CIO a ses propres règles, ses valeurs, dont la neutralité politique, que nul ne critiquera. Néanmoins il s’agit d’une entité internationale qui exerce une influence juridique certaine sur nos propres règles et sur nos pratiques. Si le CIO est dans l’ensemble respectueux des droits nationaux, le sujet est plus diffus et sans doute plus important avec les fonds et entreprises étrangers qui accroissent actuellement leur intérêt déjà grand pour acquérir au moins partiellement des acteurs économiques français du sport et y introduire leurs méthodes.
Ainsi, via le droit et les acquisitions en série, des modèles différents peuvent entrer en concurrence avec le nôtre sur notre territoire. Il nous appartient de gérer cette situation, notamment en utilisant mieux nos instruments de financement nationaux publics ou privés.
Les deux sujets qui précèdent, commande publique sensible et investissements, relèvent de la sécurité économique. Le GIE France Sport Expertise a proposé que le sport soit intégré dans les secteurs soumis aux investissements étrangers. D’une part pour éviter de laisser partir des savoir-faire uniques et une recherche et développement avancée, d’autre part pour parer aux influences portées par certains fonds quand ils rachètent des clubs ou des entreprises français.
Les JOP, outil d’influence exceptionnel à exploiter sur le long termeEn termes d’intelligence économique et stratégique liées aux JOP, on ne saurait enfin ne pas traiter les questions d’influence. Ce grand événement va nous l’espérons démontrer les grandes capacités et le savoir-faire français public et privé. Il nous faut absolument l’exploiter et le capitaliser, pour ne pas en faire un one shot. C’est ce que les entreprises appellent l’Héritage. En termes concrets, il s’agit de faire que cette vitrine des Jeux soutienne l’effort des entreprises sur les marchés internationaux du sport, certes en croissance mais de plus en plus concurrentiels. Pour cela un effort collectif public-privé est nécessaire, à l’instar à nouveau de ce qu’ont fait les Britanniques pour 2012 et après, qui reste un modèle en termes d’influence : par la norme d’abord, puisqu’ils ont su faire mettre en place une norme ISO 20121 sur les événements responsables, reprenant leurs pratiques et dont leurs entreprises peuvent aujourd’hui se prévaloir sur les marchés ; par le récit ensuite, en lançant une campagne GREAT juste après les Jeux, valorisant l’ensemble du pays à l’aune de la réussite des Jeux de 2012. En France, nous devons nous atteler à d’ores et déjà construire un récit et des éléments de langage à diffuser dans tous nos relais diplomatiques et privés à l’étranger, sur nos capacités techniques mais aussi sur notre modèle. Cela doit être fait en co construction publique-privée, les prémisses sont posées. Nous devons transformer l’essai.