Par Marnie FOSSÉ, Corentin DORO et Antoine MOIZAN

La tenue cet été des Jeux olympiques et paralympiques de Paris – dont le financement représente 6.6 milliards d’euros et un impact économique de 9 milliards d’euros sur la seule région Île-de-France – fait craindre un risque infractionnel accru en matière de terrorisme, de droit commun (violences, vols et délits divers, monopolisant la quasi-intégralité des services de police de la région parisienne et justifiant la création de chambres supplémentaires de comparution immédiate au Tribunal de Paris), mais aussi d’atteintes à la probité.

La corruption sportive a été mise en lumière par de retentissantes affaires, à l’échelle internationale (la Chine par exemple avait été remarquée dans les années 2010 pour son intransigeance affichée vis-à-vis de la corruption qui gangrénait ouvertement le milieu du football, notamment à la suite du scandale dit des « sifflets noirs »), comme nationale (l’affaire VA-OM, pour laquelle un dirigeant de club de football avait été condamné en 1995 à 8 mois d’emprisonnement pour tentative de corruption des joueurs de l’équipe adverse).

La corruption « sportive » a été jugée suffisamment spécifique pour que le législateur décide la création d’un délit spécial de corruption, décrié par un certain nombre de praticiens du droit.

Un délit récent. Sous l’impulsion de l’Autorité de Régulation de Jeux en Ligne (ARJEL), la corruption sportive a été consacrée en 2012 aux articles 445-1-1 (corruption active) et 445-2-1 (corruption passive) du Code pénal, réprimant les faits de corruption liés aux manifestations sportives faisant l’objet de paris (et prévoyant les mêmes peines que la corruption dite « générale »).

Nonobstant le fait que certaines situations apparaissaient déjà couvertes par les infractions « générales » de corruption et l’existence de délits de droit commun applicables à la matière sportive (escroquerie et blanchiment par exemple), certains faits et pratiques ont semblé plus difficiles à appréhender pénalement et donc davantage susceptibles d’échapper à la répression. Pour ne citer qu’un exemple, le délit « général » de corruption privée (incriminant les personnes qui n’exercent pas une fonction publique), qui exige que la personne « corrompue » exerce une fonction de direction ou un travail pour autrui dans le cadre d’une activité professionnelle ou sociale, semblait difficilement applicable aux pratiques sportives amateures.

La consécration d’un délit spécifique visait donc à répondre à ce type d’insuffisances, mais répondait surtout à un souhait politique de « prioriser » la répression de mauvaises pratiques au sein du sport, fortement et médiatiquement touché par de nombreux scandales contraires à l’esprit même des valeurs que cette discipline a pour essence d’incarner.

Un régime instable. Les articles 445-1-1 et 445-2-1 du Code pénal ont fait l’objet de plusieurs modifications.

Par exemple, à l’origine, la corruption sportive s’appliquait lorsqu’une personne était corrompue dans le but de « modifi[er], par un acte ou une abstention, le déroulement normal et équitable » d’une manifestation sportive. Cette formulation visait clairement le pacte de corruption conclu avant l’acte litigieux du corrompu (exemple : remise d’une somme d’argent à un joueur afin qu’il simuler une défaite), mais plus difficilement le pacte de corruption conclu après l’acte en cause (exemple : joueur simulant une défaite et « récompensé » a posteriori). Une telle solution (différente de celle retenue dans la corruption de droit commun) a été corrigée par la loi n°2017-261 du 12 mars 2017 : cette dernière a intégré au texte une formulation conjuguée au passé, le délit visant désormais le fait d’accomplir ou de s’abstenir d’accomplir l’acte en cause mais également le fait de l’avoir accompli ou de s’être abstenu de l’accomplir.

En prévision des Jeux 2024, le délit a de nouveau été modifié par la loi n°2018-2020 du 26 mars 2018, afin de l’harmoniser avec le texte du délit « général » de corruption (ce qui interroge de nouveau sur l’intérêt d’instituer une qualification autonome). L’ordonnance n°2019-1015 du 2 octobre 2019 a quant à elle intégré la « course hippique » aux manifestations sportives visées par le délit (ce secteur relevant jusqu’ici de l’infraction « générale » de corruption).

L’article 445-1-1 du Code pénal en vigueur dispose ainsi : « Est puni de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 500 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction, le fait, par quiconque, de proposer, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, à un acteur d’une manifestation sportive ou d’une course hippique donnant lieu à des paris, des offres, des promesses, des présents, des dons ou des avantages quelconques, pour lui-même ou pour autrui, pour que cet acteur, par un acte ou une abstention, modifie le déroulement normal et équitable de cette manifestation ou de cette course ou parce que cet acteur, par un acte ou une abstention, a modifié le déroulement normal et équitable de cette manifestation ou de cette course ». L’article 445-2-1 du Code pénal réprime quant à lui, réciproquement, la corruption sportive passive (pour rappel, la corruption active incrimine celui qui offre un avantage en contrepartie d’un acte anormal, tandis que la corruption passive incrimine celui qui exécute l’acte anormal en contrepartie de l’avantage proposé ; la qualité « active » ou « passive » ne dépend donc pas de l’initiative, prise ou subie, du pacte de corruption).

Des difficultés d’interprétation. La version actuelle des articles relatifs à la corruption sportive souffre encore d’imprécisions.

Par exemple, si la notion de « manifestation sportive » ne semble pas soulever de difficulté, il n’en est pas de même pour la qualité de la personne corrompue. Le texte vise en effet l’« acteur d’une manifestation sportive », ce qui s’applique à l’évidence aux sportifs et compétiteurs (professionnels ou amateurs), mais quid des autres « acteurs » ? Il n’existe pas de consensus doctrinal sur la question de savoir si, par exemple, les arbitres, les sélectionneurs, les entraîneurs ou encore les dirigeants de clubs sportifs entreraient dans cette catégorie. Les travaux parlementaires ne donnent quant à eux pas plus de précisions. L’on pourrait apporter à cette question une réponse favorable, en cohérence avec l’esprit répressif qui a gouverné la création du texte et ses réécritures, et dans la mesure où un « acteur » serait une personne qui prend une « part active » à un évènement. La thèse adverse pourrait toutefois prévaloir en défense, en application du principe d’interprétation stricte de la loi pénale (article 111-4 du Code pénal).

Par ailleurs, à la différence du délit de corruption active « de droit commun », l’article 445-1-1 ne prévoit pas, et par conséquent ne réprime pas expressément, le fait de céder aux sollicitations du corrompu ou le fait d’accepter des propositions du corrupteur. Il y a, là encore, une différence (peut-être souhaitée, mais selon toute vraisemblance fortuite) avec la corruption telle qu’elle est classiquement appréhendée par le droit pénal français. Aucune décision n’est venue, à ce jour, préciser les contours de l’infraction et arbitrer entre les différentions positions : interprétation stricte rendant imparfaite la répression ou interprétation large source d’insécurité juridique ?

C’est là une nouvelle illustration de la multiplication des délits dits « spéciaux », satisfaisant parfois davantage un souci d’affichage que l’amélioration de la répression et, par-là, l’assainissement des pratiques dans des secteurs exposés.

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