Qu’est-ce que la désinformation ?
Technique permettant de fournir à des tiers des informations générales erronées les conduisant à
commettre des actes collectifs ou à diffuser des jugements souhaités par les désinformateurs. » in V.
Volkoff, Petite histoire de la désinformation, du cheval de Troie à Internet, Editions du Rocher, 1999
Parmi les spécialistes des questions de désinformation, Vladimir VOLKOFF est incontournable. Tout au long de sa vie, il a contribué à décrypter les messages de maîtres faussaires à destination du grand public, en particulier le mensonge d’Etat à l’ère soviétique.
À ce titre, il décrit tout d’abord ce que n’est pas la désinformation1.
En ce sens, il la diffère de la propagande entendue comme « l’action exercée sur l’opinion pour l’amener à avoir certaines idées politiques ou sociales, à vouloir ou soutenir une politique, un gouvernement, un représentant ». La propagande remonterait à la Contre-réforme instituée par le Vatican pour lutter contre les idées protestantes, avec la création de la Congrégation pour la propagation de la foi (ou congregatio de propaganda fide). En ce sens, la propagande est destinée à susciter l’adhésion des foules, et ne sous-entend pas nécessairement l’usage du mensonge institutionnalisé malgré les travers du XXème siècle avec les régimes dictatoriaux. Il s’agit davantage d’un message destiné à l’opinion publié émis par la sphère politique. A cet égard, certains partis politiques utilisent encore le terme de propagande et le Code électoral luimême évoque la Profession de foi des candidats ainsi que le matériel de propagande électorale. Le terme n’est donc pas tant décrédibilisé malgré les excès des instrumentalisations des masses par les pouvoirs autoritaires. Dans ce cadre, les élèves du Dr Goebbels ont usé des ressorts irrationnels et passionnels pour galvaniser des foules, parfois avec bluff ou mensonges d’Etat. Mais l’illusion de la vérité n’est toutefois pas le principal levier de la propagande qui peut relever du populisme par des sentiments exacerbés sans pour autant user de fausses informations.
De même, la désinformation ne s’apparente pas à la publicité, même si cette dernière emprunte parfois des travers destinés à toucher un large public en vue de susciter l’envie d’acheter. Selon le Robert, c’est « le fait d’exercer une action psychologique sur le public à des fins commerciales ». La publicité mensongère est d’ailleurs réprimée à ce titre. Mais la publicité comparative, bien que strictement encadrée, demeure tolérée, même si elle est parfois contre-productive pour son auteur. Elle se doit d’être irréprochable, et par conséquent teintée de sincérité. Le message publicitaire est en lui-même une forme de communication à grande échelle et trouve sa cible parmi les masses. Il reprend à son compte les moyens utilisés parfois en politique, et notamment des éléments de propagande. Pour autant, la publicité ne se fonde pas sur une vérité travestie.
Enfin, toujours selon Volkoff, la désinformation se distingue de l’intoxication (on dira désormais « infox »), assimilée à empoisonnement en matière de champ sémantique, qui peut se traduire comme étant une « action insidieuse sur les esprits, tendant à accréditer certaines opinions, à démoraliser, à dérouler » (Le Robert). Ce procédé s’apparente à la « déception » utilisée par les forces armées, à savoir une opération destinée à tromper l’ennemi. C’est-à-dire user d’une part de vérité pour introduire le doute ou la perte d’assurance chez l’ennemi. C’est une forme de ruse2. Pour Sun Tzu, « tout l’art de la guerre est fondé sur la duperie ». Parmi les exemples les plus célèbres on citera l’opération « Fortitude » destinée à tromper la vigilance allemande et à faire croire à un débarquement allié dans le Nord de la France. Ainsi l’intoxication porte sur le lieu, tandis que la croyance d’un débarquement imminent sur les côtes françaises (en Normandie in fine) demeurait acquise. Ses synonymes sont stratagèmes, subterfuge, mystification etc.
À la différence, notamment, de la désinformation, l’intoxication ne vise pas les foules, mais davantage des acteurs ciblés, pour mieux les tromper. En revanche, cette ruse de guerre emploie le mensonge car précisément c’est la duperie qui est ainsi actionnée. Les agents doubles en sont les meilleurs acteurs.
« Quoique la tromperie soit détestable en d’autres domaines, elle est louable et glorieuse dans la conduite de la guerre, et celui qui triomphe de son ennemi par tromperie est aussi digne d’éloge que celui qui le fait par la force. » ainsi s’exprime Machiavel.
Ce faisant, à l’issue de ces dissociations, Vladimir Volkoff nous livre sa définition de la désinformation :
Elle suppose la réunion de trois éléments3 :
- Une manipulation de l’opinion publique, sinon ce serait de l’intoxication ;
- Des moyens détournés, sinon ce serait de la propagande ;
- Des fins politiques, internes ou externes, sinon ce serait de la publicité.
En conclusion, « la désinformation est une manipulation de l’opinion publique, à des fins politiques, avec une information, véridique ou mensongère, traitée par des moyens détournés »4
Plus récemment, François-Bernard HUYGUE a également repris le concept sous cette approche :
«La désinformation consiste à propager délibérément des informations fausses, prétendues de source neutre, pour influencer une opinion et affaiblir un camp » F.B Huyghe, La désinformation, les armes du faux; Armand Colin, 2016.
Et pour l’auteur d’origine russe qu’est Volkoff, cet héritage de la période soviétique ne s‘est pas perdu et montre combien la pratique d’origine slave prédomine encore et fait de la Russie un pays dominant en matière de désinformation, intégrée désormais à sa doctrine cyber en matière d’influence.
- V. Volkoff, Petite histoire de la désinformation, du cheval de Troie à Internet, Editions du Rocher, 1999 ↩︎
- HOLEINDRE Jean-Vincent, La ruse et la force, Perrin, 2017 ↩︎
- V. Volkoff, Petite histoire de la désinformation, du cheval de Troie à Internet, Editions du Rocher, 1999 ↩︎
- V. Volkoff, Désinformations par l’image, Editions du Rocher, 2001. ↩︎