Olivier de MAISON ROUGE, Avocat (Lex-Squared) – Docteur en droit

Ce propos sera consacré à l’examen de la communication commerciale et de la réputation négative.
Si la mise en oeuvre demeure toujours une action sur l’esprit, nous souhaitons regrouper ci-après les comportements qui conduisent à vicier le consentement du grand public, cette information négative largement véhiculée générant un rejet dans l’esprit du consommateur.

1) LA DIFFAMATION & L’INJURE

C’est dire si le législateur du XIXe siècle a été judicieux dans les mots pesés et choisis en son temps, car la loi du 29 juillet 1881 demeure toujours en vigueur après tant d’années passées, pour tout ce qui concerne la diffusion des idées et de leur mode d’expression.

En cela, cette loi constitue toujours un référentiel indépassable, qui a su parfaitement évoluer et traverser les époques, en s’adaptant à toutes les nouvelles formes de communication.

La diffamation est un artifice pénal, mais également civil ce qui est plus souvent méconnu1, permettant de sanctionner des propos destinés à jeter l’anathème sur un tiers directement ou directement nommé (il s’agit de l’évocation ou de la supposition). Plus précisément, l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 assimile à la diffamation toute allégation ou imputation portant atteinte à l’honneur d’une personne morale ou physique. Dès lors, ce texte souvent porté devant les juridictions, constitue une forme d’atteinte légale à la liberté d’expression, ou tout du moins en constitue une limite judiciaire2.

Signalons à cet égard que la 17ème chambre correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Paris est un « théâtre » judiciaire célèbre, dans la mesure où elle est spécialisée dans la diffamation, sous toutes ses formes. Or, c’est une pratique courante en politique, et l’action judiciaire sert parfois également de tribune, certains avocats et hommes politiques, souvent orateurs et plébéiens, étant devenus de véritables acteurs en ce domaine, sinon des comédiens.

Si cela nous éloigne a priori de notre sujet, cela ne signifie pas pour autant que la diffamation de droit commun n’a pas non plus vocation à s’appliquer au secteur économique puisque les personnes morales peuvent également voir réparer les atteintes à leur réputation. De même, les joutes judiciaires par une forme « d’instrumentalisation de la Justice » autour de propos diffamants, sont monnaie courante, et constituent une arme de la guerre économique.

La diffamation, pour être constituée, repose sur l’association combinée de quatre éléments :

  • L’évocation d’un fait précis ;
  • La mise en cause d’une personne visée, directement ou indirectement 3;
  • L’atteinte à son honneur ou à sa réputation ;
  • Un propos rendu public, quelque soit le support ou le procédé utilisé.

La procédure est complexe et contient de nombreuses spécificités, qui en fait un droit particulier pratiqué par des experts.

À la différence de l’insulte, la diffamation est un propos visant une allégation précise, tandis que l’injure se distingue par le fait que si le propos vise une personne précise, elle ne lui impute pas un comportement particulier. Ainsi, en insultant une personne en la traitant de péripatéticienne, cela ne signifie par pour autant que la personne incriminée se livre au plus vieux métier du monde … L’injure se situe sous le même article 29 de la loi du 29 juillet 1881, sous l’alinéa 2 ; cela signifie donc que le législateur du XIXe siècle lui a toutefois trouvé une grande proximité avec la diffamation.

En matière procédurale, la victime, par citation directe, mais également le Parquet peut être à l’origine des poursuites. L’auteur des propose incriminés est présumé de mauvaise foi. En effet, en matière de diffamation, il existe une dérogation juridique spécifique en ce que de la présomption d’innocence ne bénéficie pas véritablement au prévenu. En effet, son propos blessant constitue un délit instantané, l’imputation de faits précis constituant la gravité de l’infraction. Et, dans ce même ordre d’esprit, il n’appartient pas à la victime d’apporter la preuve contraire du propos poursuivi. A l’inverse, la seule excuse que pourra invoquer l’auteur du message, est de rapporter la véracité des faits imputés. Il s’agit de l’exception de vérité ou « exceptio veritatis »4. Néanmoins, cet artifice ne trouve pas à s’appliquer dans les cas suivants :

  • Lorsque le propos incriminé a porté sur des faits relevant de la vie privée de la personne visée ;
  • Lorsque l’imputation porte sur des faits ou condamnations depuis plus de 10 ans (une forme de droit à l’oubli qui tend à se développer avec l’usage d’Internet).

L’auteur du propos peut également s’exonérer de sa responsabilité, en rapportant sa bonne foi. Dans les faits, cette exception est difficilement rapportable mais pas impossible – dans la mesure où la bonne foi repose sur l’articulation de quatre conditions cumulées : l’auteur doit avoir tenu le propos diffamatoire en croyant en toute légitimé à la vérité des faits évoqués, que le message était destiné à informer le public (et non à porter atteinte à l’honneur de la personne visée), qu’il existe une proportionnalité entre le préjudice et le droit à l’information nécessaire et que l’expression employée l’a été de manière prudente, à tout le moins tempérée (par l’emploi du conditionnel)5.

La particularité de la diffamation est qu’elle se prescrit par trois mois, à compter du moment où le message a été porté à l’attention du public6.

Désormais, de nombreux messages circulant du Internet, la loi du 29 juillet 1881 n’ayant pas connaissance de ce support lors de son adoption, la jurisprudence est donc venue interpréter l’esprit de la loi. Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 6 octobre 2011, qui s’inscrit dans une tendance convergente, reconnaît aux blogueurs la possibilité de se ranger derrière le droit de la presse institué par la loi du 29 juillet 1881. Ainsi, la juridiction suprême a cassé un arrêt de la Cour d’appel d’Orléans du 22 mars 2010 qui avait condamné un blogueur pour des lignes écrites sur son journal, diffamant un élu. La juridiction de second degré avait estimé que les propos querellés étaient de nature à causer un préjudice à la personne visée, sur le fondement de l’article 1382 du Code civil (responsabilité délictuelle). La Cour de cassation, déclare l’action prescrite en application de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 réprimant notamment les abus de la liberté d’expression. En d’autres termes : l’influence – négative – sur un blog peut être sanctionnée, mais dans un bref délai (3 mois).7

Par ailleurs, l’action sur le fondement de la diffamation donne lieu à la saisine du juge d’instruction (article 50), puis d’une formation de jugement (article 51). En considération de cette procédure automatique, il n’est pas rare de voir des rivaux s’affronter au moyen de la diffamation, permettant à l’un de prétendre avoir fait mettre en examen l’adversaire, ce qui peut paraître bien souvent être un fait d’armes (reposant sur cette automaticité).

En matière de compétence territoriale, le tribunal qui sera saisi pourra être soit celui du lieu de résidence (ou siège social) de l’auteur du message, soit celui du lieu de commission de l’infraction, soit ou encore le lieu de constatation de l’infraction. Dès lors, s’agissant d’une publication sur Internet, une telle infraction s’avère être du ressort de tout tribunal correctionnel sur le sol français.

En vertu de l’article 32 de la loi du 29 juillet 1881, la diffamation est réprimée par une amende 12.000€, outre d’éventuelles dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la victime. A titre complémentaire, la victime peut solliciter la publication du jugement.

Par ailleurs, en dehors de toute action judiciaire, il convient de ne pas omettre que la victime qui s’estime diffamée jouit d’un droit de réponse prévu par l’article 13 de la loi du 29 juillet 1881. Ce droit constitue un outil de contre-influence trop couramment sous-estimé.

2. LE DÉNIGREMENT COMMERCIAL

Cette catégorie d’acte relève exclusivement de la responsabilité civile – ce en quoi elle diffère de la diffamation dans la voie de recours plus que dans le contenu du message – et forme un des faisceaux constituant la concurrence déloyale. A ce titre, le dénigrement est défini par la jurisprudence comme étant le fait de jeter le discrédit sur un concurrent, en répandant à son propos, ou au sujet de ses produits ou services, des informations malveillantes8. Ce faisant, le concurrent indélicat tente de capter à son profit une clientèle acquise à une autre marque, en la présentant sous un jour néfaste. Ainsi, le dénigrement vise à déstabiliser l’entreprise rivale, en usant de sa notoriété antérieure, afin d’en tirer un bénéfice sans avoir à démontrer de qualités supérieures, ni à investir et fournir les efforts nécessaires pour le développement de sa propre notoriété.

À la différence la diffamation, qui vise à réparer l’atteinte à l’honneur, l’action en concurrence déloyale au motif de dénigrement vise à sanctionner la captation déloyale de clientèle.

Cela étant, le message satirique ou la moquerie peut ne pas être un acte de dénigrement à condition qu’ils soient diffusés dans le cadre humoristique, et non au sein d’une communication commerciale.

Le dénigrement peut avoir pour cible le concurrent lui-même, personne physique ou morale, mais peut aussi viser l’ensemble d’une profession. Il a encore été jugé que le fait de mettre en cause, et ce quelque soit le moyen ou le support employé, l’honorabilité, l’incompétence professionnelle du concurrent, l’honnêteté, son crédit, son avenir économique ou sa santé financière, constitue un acte de dénigrement.
Cette mise en cause peut être pratiquée en visant nommément le concurrent, mais encore lorsque le
message induit une atteinte indirecte, dès lors que la société visée est indentifiable.

Le dénigrement est reconnu quel que soit le moyen employé, et le support utilisé. Ainsi, le dénigrement peut s’opérer par voie de publicité, de presse, mais encore au travers de propos tenus par un salarié, un fournisseur, …

S’agissant d’un fait de concurrence déloyale, la jurisprudence a longtemps estimé que le dénigrement commercial était admis exclusivement pour des sociétés placées en situation de concurrence directe, c’est-à-dire intervenant sur le même marché. Or, ce critère d’état de concurrence, est de moins en moins nécessaire, les tribunaux sanctionnant l’atteinte, quelle que soit la position économique de son auteur par rapport à la personne visée.

Comme toute action civile, la réparation du dénigrement commercial se traduit par des dommages et intérêts (article 1240 du Code civil).


La volonté de dénigrement sera évidente lorsque les imputations malveillantes à propos d’un concurrent ne seront pas fondées, cependant, l’affirmation de la vérité elle-même constitue aussi un acte de concurrence déloyale. Le dénigrement est constitué même si le défendeur apporte la preuve de l’exactitude des faits révélés ; l’exception de vérité admise en matière de diffamation ne supprime pas le dénigrement et n’enlève pas à l’acte du concurrent son caractère déloyal la condition toutefois étant que la divulgation présente un caractère fautif.

3. LA PUBLICITÉ TROMPEUSE

Dans son principe, la publicité repose sur une diffusion massive, à tout le moins auprès d’un large public. Elle se définit comme « tout message adressé par un professionnel au public dans le but de stimuler la demande de biens et des services 9».

A l’inverse du dénigrement ci-avant, le procédé de la publicité trompeuse n’est pas de capter la clientèle d’un concurrent, mais de fédérer des acheteurs potentiels ou des consommateurs par des effets publicitaires par trop louangeurs. Ce sont certaines libertés prise avec la vérité qui sont sanctionnées par les tribunaux.

Le législateur a voulu sanctionner deux formes de publicité : celle qui est fausse et celle qui est de nature à « induire en erreur 10». Depuis la loi de modernisation de l’économie (LME) du 4 août 2008, il est plus largement sanctionné les pratiques commerciales trompeuses et publicité.

La publicité fausse est une allégation mensongère, comme de fausses qualités énoncées, une fausse origine, de faux composants …
Mais la publicité est également punissable lorsqu’elle est de « nature à induire en erreur ». Cela se traduit dans par les faits une recherche d’ordre quasi psychologique de l’impression susceptible d’avoir été provoquée sur le consommateur.

De manière constante, la jurisprudence affirme que cette appréciation par les tribunaux doit se faire in abstracto, c’est-à-dire « par référence à l’optique du consommateur moyen et en tenant compte du degré de discernement et du sens critique de la moyenne des consommateurs 11». On retrouve cette approche sous d’autres formulations, la plus courante étant d’évoquer le « consommateur d’attention moyenne ».

En raison de la multiplicité des messages et des supports, répandus sur de nombreux médias, la Cour de cassation a estimé de manière restrictive que « le délit de publicité de nature à induire en erreur, même s’il se manifeste lors de chaque communication au public d’une telle publicité, constitue une infraction unique qui ne peut être poursuivie et sanctionnée qu’une seule fois, dès l’instant où il s’agit d’allégations identiques, contenues dans le même message publicitaire et diffusées simultanément » , sauf si toutefois « les faits délictueux sont distincts dès lors que si les brochures ont une forme et un contenu identiques, elles sont toutes individualisées par la citation et la mise en scène de chacune des personnes à qui elles étaient adressées, en sorte qu’il existe autant d’infractions que de personnes visées »

Dans les faits, ces pratiques trompeuses sont pénalement réprimées sur la base de constatations dressées à l’origine par les officiers et agents de police judiciaire et les agents de la DGCCRF (Direction Générale de la Consommation, de la Concurrence et de la Répression des Fraudes, aussi couramment appelée la « répression des fraudes »). Toute infraction doit donner lieu à l’établissement d’un procès-verbal précisant la nature des griefs invoqués. S’agissant d’un délit, qui se prescrit par période de 3 ans, la pratique commerciale trompeuse dans son message publicitaire est sanctionnée par 2 ans d’emprisonnement et 37.500 € d’amende .

Il convient toutefois de relever que tout consommateur peut également engager une action au civil, indépendamment de toute poursuite pénale.

  1. Cela étant, une action engagée sous le visa de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 est exclusive, l’article 1382 du Code civil ne pouvant être invoqué : Ass. Plén., 12 juill.
    2000 : Bull. Civ., II, n°67 ↩︎
  2. Cass. crim., 10 févr. 1987 : JCP 87, IV, 130 ; Bull. crim., n°68 ; Cass. Crim. 14 févr. 2006 : Bull. Crim., n°42 ; Cass. crim., 12 nov. 2008, pourvoi n°04-83.398 : Bull. crim., n°229 ↩︎
  3. CA Nancy, 9 juill. 1964 : D. 1966, 47, note Mimin ↩︎
  4. Article 55 de la loi du 29 juillet 1881 ↩︎
  5. Cass. crim., 27 janv. 1949 : Bull. crim., n°37 ↩︎
  6. Article 65 de la loi du 29 juillet 1881 ↩︎
  7. Cass. 1e civ., 6 oct. 2011, pourvoi n°10-18.142 ↩︎
  8. CA Lyon, 21 mai 1974, JCP G 1974, IV, p. 336, RTD com. 1974, p. 513, obs. Chavanne A. et Azéma J. ↩︎
  9. CALAIS-AULOY et STEINMETZ, Droit de la consommation, Dalloz, 7ème édition 2006, p.125 ↩︎
  10. Loi n°73-1193 du 27 décembre1973, dite « Loi Royer », article 44 ↩︎
  11. Cass. crim., 21 mai 1984, no 83-92.070, Bull. crim., no 185 ↩︎

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