Ali Laïdi, Journaliste, Docteur en sciences politiques, journaliste sur France 24, Auteur d’ouvrages :
« LE DROIT NOUVELLE ARME DE GUERRE ÉCONOMIQUE », ACTES SUD (2019),
DERNIER OUVRAGE PARU : « LA CHINE OU LE RÉVEIL DU GUERRIER ÉCONOMIQUE », ACTES SUD (2023)

ACE : Vous êtes journaliste TV et auteur d’enquêtes et d’ouvrages de recherche. Pierre Péan réfutait le terme de journaliste d’investigation au bénéfice du journalisme d’enquête. Êtes-vous d’accord avec cette affirmation et comment concevez-vous votre métier de collecte et de restitution de l’information à destination du public ?

A.L. Enquête ou investigation ? Ce qui compte pour un journaliste, c’est d’apporter des informations nouvelles et ne pas répéter ce que ses confrères ont déjà dit ou écrit. Il me semble donc que ces deux termes – journalisme et enquête- forment un pléonasme : il ne devrait pas y avoir de journalisme sans enquête. Vérifier systématiquement l’information, ne pas se contenter d’une seule source (même s’il s’agit d’une agence de presse officielle), croiser ses sources, remettre en question ses propres évidences, passer par la fenêtre lorsqu’on ne vous autorise pas à entrer par la porte… sont les méthodes de base d’un journaliste. Quant à la restitution de l’information, il faut dans la mesure du possible donner au public toute l’information recueillie même si, je reconnais, la priorité est de protéger ses sources et ne jamais les exposer. Mieux vaut ne pas publier plutôt que de mettre sa source en danger.

ACE : Selon vous, sur le fondement de la liberté d’expression, le droit à l’information prime-t-elle sur la protection de la vie privée ? Dans quelle mesure ? Pensez-vous que les journalistes puissent être investis d’un droit de réquisition de l’information (droit à l’information) ?

A.L. Je considère que la protection de la vie privée prime sur le droit à l’information. À une exception près : lorsque la vie privée d’une personne qui participe au débat public contredit totalement ses déclarations et son comportement publics. Je considère alors qu’un journaliste peut s’appuyer sur une partie des éléments de la vie privée de cette personne pour étayer son analyse. Quant à un éventuel droit à la réquisition de l’information, il ne doit pas être réservé aux journalistes, mais ouvert à tous les citoyens lorsqu’il s’agit d’informations collectées par les administrations dans le respect du RGPD et de la nécessaire confidentialité des informations liées à la sécurité et à la défense.

ACE : La charte de Munich (1971) dispose : « le journaliste s’oblige à garder le secret professionnel et ne pas divulguer la source des informations obtenues confidentiellement » ; Que pensez-vous du secret des sources ? Doit-il être absolu ?

A.L. Oui, le secret des sources doit être absolu, tout comme le secret professionnel des avocats. Ce sont deux piliers essentiels du bon fonctionnement de notre modèle démocratique.

ACE : Dans la pratique de votre métier de journaliste, comment concilier le devoir d’informer et le risque d’être abusé par ses sources ou de manipuler l’opinion par une présentation subjective ?

A.L. Ne nous leurrons pas. Nous, humains, sommes des sujets, pas des objets. Nous sommes donc forcément subjectifs. L’objectivité n’existe pas, elle n’est pas de nature humaine. Objectivité contre subjectivité. Ce n’est pas la bonne approche. Tout ce que l’on demande à un journaliste, c’est de vérifier ses informations, d’enquêter de bonne foi et de donner la parole à toutes les parties. Certaines sources tentent de vous abuser ou de diriger votre enquête vers telle ou telle piste. J’ai dû faire face à de telles tentatives lorsque j’enquêtais sur le terrorisme ou la guerre économique. Il faut garder la tête froide et toujours croiser ses sources pour éviter ces pièges.

ACE : Dans vos interviews TV, avez-vous été tenté de pousser certains invités dans leurs retranchements pour les contraindre à se livrer davantage et à dire la vérité ? Pensez-vous que cela participe d’une bonne information pour le public ?

A.L. Il m’arrive en effet de pousser mes invités ou mes contacts à aller plus loin. Je les confronte à des éléments obtenus lors de mon enquête. Je réalise des enquêtes, je dois donc tout faire pour m’approcher de la vérité. Dans le respect évidemment de la personne. Je ne suis ni policier, ni juge : heureusement, je ne peux exercer aucune contrainte sur mes interlocuteurs.

Plus d’articles