M. François SUREAU, Avocat, ayant été élu à l’Académie française à la place laissée vacante par la mort de M. Max Gallo, y est venu prendre séance le jeudi 3 mars 2022, et a prononcé le discours suivant :

pp. 7-8 « Une nature sensible ne contemple pas l’histoire de son pays sans douleur. C’est vrai d’abord de l’histoire de France, dont la violence dément notre réputation de mesure. La France est un pays où rien n’est jamais acquis, ni la paix, ni la vérité, ni même la liberté. Nous connaissons en moyenne une révolution, franche ou larvée, tous les soixante ans depuis plusieurs siècles. Les juges américains et anglais se servent de textes qui datent du XVIIe ou du XVIIIe siècle pour définir les droits du citoyen. Chez nous, chaque nouveau gouvernement ou presque, non content de réformer le Code pénal tous les dix-huit mois, prétend améliorer la Déclaration des droits. Et par bien des côtés, la France ressemble à une immense cour de justice criminelle où l’alternance au pouvoir permet simplement aux protagonistes d’échanger leurs rôles, procureur, juge, jurés, défenseurs et publics. Max Gallo a fixé son regard sur cette histoire tourmentée, et sans jamais faiblir. Ce pays qui était devenu le sien par l’effet d’un hasard auquel il n’avait eu aucune part, il en a assumé le passé tout entier, à la manière de Marc Bloch, y mettant la rigueur d’un amour exceptionnel. » (…)

pp. 22-23 « La liberté est une étrange chose. Elle disparaît dès qu’on veut en parler. On n’en parle jamais aussi bien que lorsqu’elle a disparu. Elle semble, pour les écrivains en particulier, n’avoir qu’une seule et même source, qui se divise aussitôt en rivières aux cours différents, et souvent opposés. (…) Je ne sais ce que Max Gallo aurait pensé du moment où nous sommes, où la fièvre des commémorations nous tient, pendant que d’un autre côté le sens disparaît des institutions que notre histoire nous a léguées : une séparation des pouvoirs battue en brèche, les principes du droit criminels rongés sur leurs marges, la représentation abaissée, la confusion des fonctions et des rôles recherchée sans hésitation, les libertés publiques compromises, le citoyen réduit à n’être plus le souverain, mais seulement l’objet de la sollicitude de ceux qui le gouvernent et prétendent non le servir mais le protéger, sans que l’efficacité promise, ultime justification de ces errements, soit jamais au rendez- vous.

Non, je ne crois pas que ce disciple de Voltaire et de Hugo se réjouirait de l’état où nous sommes, chacun faisant appel au gouvernement, aux procureurs, aux sociétés de l’information pour interdire les opinions qui le blessent ; où chaque groupe se croit justifié de faire passer, chacun pour son compte, la nation au tourniquet des droits de créance ; où gouvernement et Parlement ensemble prétendent, comme si la France n’avait pas dépassé la minorité légale, en bannir toute haine, oubliant qu’il est des haines justes et que la République s’est fondée sur la haine des tyrans. La liberté, c’est être révolté, blessé, au moins surpris, par les opinions contraires. Personne n’aimerait vivre dans un pays où des institutions généralement défaillantes dans leurs fonctions essentielles, celle de la représentation comme celles de l’action, se revancheraient en nous disant quoi penser, comment parler, quand se taire. En un siècle d’histoire constitutionnelle, nous aurons vu se succéder le système des partis, le système de l’État, le système du néant. Gallo l’avait pressenti. Et comme il voyait bien que nous en étions à la fin responsables, et non les seuls gouvernants, il a cru que le patriotisme, dont il s’était proposé de ranimer la flamme, nous garderait d’un tel déclin en nous rendant en quelque sorte à nous-mêmes. J’aimerais pouvoir partager cette conviction. »

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