Olivier de Maison Rouge, Avocat (Lex-Squared) – Docteur en droit

« Aujourd’hui, la véritable richesse n’est pas concrète, elle est abstraite. Elle n’est pas matérielle, elle est immatérielle. C’est désormais la capacité à innover, à créer des concepts et à produire des idées qui est devenue l’avantage compétitif essentiel. Au capital matériel a succédé, dans les critères essentiels de dynamisme économique, le capital immatériel ou, pour le dire autrement, le capital des talents, de la connaissance, du savoir. »
MAURICE LEVY ET JEAN-PIERRE JOUYET1

S’il semble exister un droit à l’information – et même un droit de savoir2 -, consubstantiel au droit de la presse pour être couramment invoqué par les journalistes devant les tribunaux notamment dans les cas d’atteinte à la vie privée3, le droit de l’information demeure une inconnue du Droit qu’il nous appartient d’identifier.


Qu’est-ce qu’une information ? nous paraît donc à ce stade être une question fondamentale de la présente réflexion.

1) Notion générale d’information

Étymologiquement, l’information, qui provient de la locution latine informatio, contient un double sens. Elle évoque originellement une représentation graphique, tel un dessin, un croquis, une esquisse, d’une part.


Prise dans son sens second qui se veut plus affiné, elle traduit aussi un concept, une idée, une production, une œuvre de l’esprit, d’autre part. Partant de cette dernière approche, elle est ainsi qualifiée de représentation d’une idée par l’image d’un mot ; il s’agit de nation de « carte et de territoire » qui représentent un même lieu par des dimensions distinctes.


Dans un sens moderne, plus précisément dans la pratique courante et de manière très large, il s’agit d’une connaissance, constituée d’un renseignement factuel peu ou prou véritable, mais au-delà c’est aussi la prise en considération des moyens mis en oeuvre pour se renseigner, s’informer. Une information peut également s’entendre comme étant l’analyse des mêmes renseignements.

Ainsi, un même vocable recouvre trois sens convergents.

Toutefois, l’information n’est pas seulement une idée, comme vu ci-dessus, mais aussi, indépendamment de son support, la communication, la transmission et la diffusion de cette idée. Ainsi, le journal télévisé, cette grand’messe du 20h00, est-il un vecteur d’informations. En ce sens, l’information se traduit comme étant le renseignement que l’on porte à la connaissance d’un tiers par voie de divulgation. Il s’agit de la diffusion de l’expression. Cette information suppose une action reposant sur la dynamique quant à la circulation de
l’information. On parlera dès lors de « l’information-communication ».


Enfin, dernière acception du terme, l’information constitue un ensemble d’éléments pouvant être transmis au travers d’un support, suivant un langage connu et reconnu. Cette information suppose un procédé technique. Ce sont ce que l’on nomme aujourd’hui les systèmes d’information (SI) de l’ère numérique que nous traversons. C’est le concept très large de « médiatisation ».


Pour achever cette approche conceptuelle, il convient de poser comme postulat qu’une information n’est jamais vraie en soi, dès lors qu’elle repose sur un mode d’émission, et qu’elle a ainsi été travestie et antérieurement interprétée par son auteur : autrement dit, une information n’est jamais neutre. Cette affirmation vaut, même en l’absence d’intention trompeuse. En effet, l’information repose sur un contenu qui évolue au fur et à mesure qu’il est échangé, communiqué, chacun lui appliquant les résultats de son adaptation et de sa propre perception.

2) Notion juridique de bien informationnel

Après ces digressions quasi sociologiques,4 mais néanmoins nécessaires compte tenu du sujet embrassé, l’autre question essentielle est la suivante : « L’information seule, c’est-à-dire l’information envisagée indépendamment de son support matériel, est-elle un bien ? »5.


S’étant livré à cet exercice, en un temps où le monde numérique n’était pas encore véritablement mature comme il peut l’être de nos jours, le Professeur Jean-Christophe GALLOUX a relevé plusieurs textes de droit faisant état de l’information6.


Il retient ainsi :

  • L’arrêté du 22 décembre 1981 sur l’enrichissement du vocabulaire de l’informatique, définissant l’information comme « un élément de connaissance susceptible d’être représenté à l’aide de conventions pour être conservé, traité ou communiqué ». Dans le fond, cette description règlementaire n’est pas très éloignée de l’appréciation générale ci-dessus.
  • La loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 au sein de laquelle l’information est mentionnée comme revêtant la forme de « sons, images, documents, données ou messages de toute nature ». Ce faisant, le législateur n’a pas défini son contenu, mais son aspect susceptible d’être diffusé.
  • Enfin, l’article 27 de la loi du 29 juillet 1881, relative aux délits de presse, laquelle réprime la fourniture de fausses informations, retenant cette conception quant à son contenu susceptible de porter atteinte à une personne.

Sans avoir poursuivi plus amplement ces recherches depuis les derniers textes collationnés par cet auteur, nous pouvons affirmer que l’information n’est en tant que telle pas définie dans le droit positif français. Or, cette notion précise nous fait cruellement défaut, dès lors que l’information, que nous qualifions tantôt d’essentielle, d’économique, de confidentielle ou de stratégique, constitue notre matériau de base et il est plus que nécessaire de bien appréhender les composantes et les fondations pour bâtir un édifice solide et durable.

Au sein de la doctrine, outre celle exprimée ci-dessus, nous rencontrons plusieurs opinions. Une affirmation pragmatique tout d’abord retenant l’information comme étant « l’action consistant à porter à la connaissance d’un public certains faits ou opinions à l’aide de procédés visuels ou auditifs comportant des messages intelligibles pour le public : l’information est également le résultat de cette action sur les destinataires. »7. C’est le sens de la médiatisation.

En revanche, de manière très audacieuse, Pierre CATALA a su parfaitement cerner, avant tout le monde, la véritable problématique et les enjeux, énonçant que : « l’information est un bien en soi, immatériel certes, mais constituant un produit autonome et antérieur à tous les services dont elle pourra être l’objet »8. Poursuivant : « Aujourd’hui comme hier, l’article 1er du Droit de l’information pourrait toujours affirmer : « Tout message communicable à autrui par un moyen quelconque constitue une information » (…) L’information est un bien créé et non pas donné. C’est un produit de l’activité humaine (…) Mais les éléments régulièrement captés ne deviennent information véritable qu’à travers le deuxième terme de l’appropriation : la formalisation qui les rend communicables »9. Ainsi, véritable création de la pensée, l’auteur retient l’information en tant que bien intellectuellement façonné, assimilable à une activité à part entière.

Précédent cette analyse, un autre auteur a auparavant précisé que « l’information est quelque chose de primaire qui, souvent, a une valeur plus par l’exclusivité de sa source que par sa nature, et qui est protégée soit dans son environnement, son circuit de diffusion, soit comme élément de la personne, soit, rarement, comme élément de patrimoine »10.

Michel VIVANT confirme encore cette analyse par un propos sensiblement plus nuancé estimant « que la notion de chose ou de bien est une représentation intellectuelle et que la qualité d’objet de droit peut être attribuée à un bien immatériel pourvu que ce bien soit considéré comme tel économiquement et qu’il soit digne de protection juridique »11. Ainsi, selon cette conception, l’information est incontestablement un bien dès lors que l’on tient compte de sa valeur économique. Nous sommes en adéquation avec ce principe juridique établissant que toutes les informations ne sont pas des biens. Les circonstances et la valeur de l’information font le droit.

Enfin, plus récemment, Jean-Christophe GALLOUX, que nous avons cité plus haut, constate pour sa part que « L’information entre donc dans la catégorie des choses avant de pouvoir être considérée comme bien car toutes les choses qui existent ne sont pas des biens pour le droit » 12Et continuant sa pensée ainsi : « Le droit, et singulièrement le droit des biens, doit s’adapter à ses transformations conceptuelles : moins d’immeuble, plus de meubles, disait-on, voici quelques années pour caractériser le changement de contenu du patrimoine ; moins de corporel, plus d’incorporel, devrait-on dire aujourd’hui »13 (…) Toutes ces choses-informations ont, a priori, la même aptitude à entrer dans la catégorie des biens (…) elles circuleront plus ou moins librement selon que la société éprouvera le besoin d’organiser leur appropriation temporaire par une forme du droit de propriété ».


Il faut garder à l’esprit que ces études parfaitement légitimes, dissimulant parfois des querelles universitaires, ont été réalisées il y a plus d’une dizaine d’années, en un temps où l’information n’étaient pas diffusée sur les mêmes supports, en un temps où ce que l’on nommait encore les « autoroutes de l’information » n’étaient encore qu’un concept émergent, et où, plus largement, la dématérialisation et la numérisation de l’économique n’avait pas la même ampleur qu’à l’heure actuelle. Les défis n’étaient donc pas les mêmes. En outre, notre sujet est confronté à cette évolution technique et il est probable que nos affirmations soient obsolètes d’ici quelques décades, nous l’admettons volontiers à ce stade

En conclusion, même si celle-ci doit être provisoire, il semble acquis que l’information constitue effectivement un bien, fruit d’une réflexion humaine, économiquement valorisable. La doctrine s’étant rangée derrière cette appréciation, la jurisprudence paraît tout autant admettre cette nouvelle réalité.

L’information est donc bien un sujet de droit.

  1. LEVY Maurice et JOUYET Jean-Pierre, L’économie de l’immatériel : la croissance de demain Rapport, Décembre 2006 ↩︎
  2. Comme l’a souligné la Cour de cassation dans son rapport annuel 2010 ↩︎
  3. Mais aussi en matière immobilière, en matière de droit médical et de droit de la santé, en technique contractuelle, en droit de la consommation, en droit bancaire et
    financier … c’est dire si le droit en fait un large usage et une obligation récurrente. ↩︎
  4. Pour poursuivre l’analyse, le lecteur pourra notamment se reporter aux études suivantes : HUYGHE F.-B. L’information, c’est la guerre – Des missiles, des
    émissions, des électrons, in Panoramiques en partenariat avec Marianne, Editions Corlet, 2001 : BULINGE F. Renseignement et analyse d’informations, sur cerad.
    canablog/archives/2010/01/16/16541580.html ↩︎
  5. LUCAS de LEYSSAC M.-P., « Une information seule est-elle susceptible de vol ou d’une atteinte juridique aux biens ? », Dalloz, Chronique, 1985, p. 45 ↩︎
  6. GALLOUX J.-C., « Ebauche d’une définition juridique de l’information », 1994, Dalloz chronique pp. 229-234 ↩︎
  7. AUBY et DUCOS-ADER, « Le droit de l’information », Dalloz 1982, n°1, p.1 ↩︎
  8. CATALA P., « Ebauche d’une théorie juridique de l’information », Dalloz, Chronique, 1984, p. 98 ↩︎
  9. CATALA P., Op. cit., p.99 ↩︎
  10. LECLERCQ P., Essai sur le statut juridique des informations, in « Les flux transfrontaliers de données : vers une économie informationnelle », sous la dir. D’Alain ↩︎
  11. MADEC, La Documentation française, 1982, p. 123 ↩︎
  12. VIVANT M., A propos des « biens informationnels », J.C.P., 1984.I.3132 ↩︎
  13. GALLOUX J.-C. « Ebauche d’une définition juridique de l’information », 1994, Dalloz chronique pp. 229-234 ↩︎

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