Olivier de Maison Rouge, Avocat et rédacteur en chef de la revue de l’ACE.
Jamais sans doute l’article 11 de la DDHC ne fut autant consacré : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ».
En effet, depuis l’avènement d’Internet, la libre circulation des opinions et des idées prévaut largement et n’a sans doute jamais été aussi prégnante. L’information est devenue des plus accessibles, à telle enseigne qu’elle se nourrit désormais d’intelligence artificielle qui devient « conversationnelle » à l’instar de ChatGPT qui en vient à donner ses propres conclusions aux requérants.
Ce n’est donc pas tant le manque d’information qui fait défaut, mais peut-être davantage un trop-plein d’informations qui alimente le doute à défaut de permettre de se forger un jugement personnel pertinent et éclairé sur des éléments fondés. On parle d’ailleurs « d’infobésité », avec toutes ses dérives. L’internaute n’est plus seulement « récepteur » d’information, il est également devenu acteur, voire « émetteur » d’informations. Ce faisant, l’information officielle est diluée, voire dévoyée par les cybercitoyens parfois autoproclamés « lanceurs d’alerte ». Les accusations de complotisme ont ainsi largement fusé et la tentation est grande pour le pouvoir de vouloir réguler la parole.
En réalité, l’information s’est heurtée à ce qui est perçu comme la post-vérité. Et les réseaux sociaux forment une gigantesque caisse de résonance que ne parviennent plus à contenir les pouvoirs publics, en général, et la Justice, en particulier. Tandis que la loi de 1881 a fait son office, sous l’œil attentif du Juge, la tentation est grande pour les institutions de s’en remettre à une Anastasie 1 électronique pesant dorénavant sur les opérateurs numériques. Tel est le sens qui leur est assigné par les textes, à l’instar de la loi sur la désinformation électorale ou le règlement (UE) Digital service act.
La voie médiane est donc une ligne de crête et repose sur un équilibre fragile.
Cela reviendrait à laisser Gutenberg juger a priori de la qualité des écrits des auteurs, et confondre édition avec diffusion des idées. Et cela sans l’intervention du juge. Autant un éditeur est responsable aux yeux de la Loi, l’imprimeur voit pour sa part sa responsabilité limitée.
Si le prétoire est une tribune, l’expression ne doit pas être vidée de l’intervention de la Justice, précisément à l’heure où les réseaux deviennent le tribunal de l’opinion. Prenons garde à sauvegarder précieusement la cyberliberté d’expression et à ne pas céder à la tentation de s’en remettre aux acteurs privés, juges de l’opinion.
Ce n’est qu’in fine que le dernier mot revient au Juge, la bouche de la Loi selon Montesquieu.
- Du nom de la censure ainsi familièrement rebaptisée pendant la guerre de 14-18 ↩︎