Thomas ZALAI, Étudiant en Master 2 Propriété intellectuelle et nouvelles technologies à la Faculté de droit de Grenoble
« La guerre économique est l’expression majeure des rapports de force non militaires. La survie d’un pays ou d’un peuple tout comme la recherche, la préservation et l’accroissement de puissance en sont les principaux éléments déclencheurs.».
Christian HARBULOT
Crise sanitaire, crise économique, crise géopolitique auxquelles s’ajoute une crise environnementale grandissante, le contexte mondial est extrêmement alarmant ces dernières années.
Cette période d’instabilité a incité les états à réaffirmer leur puissance d’un point de vue militaire, industriel et commercial. Néanmoins, à l’heure où l’espionnage économique est omniprésent, les états sont également contraints de lutter contre les menaces extérieures afin de conserver leur propre souveraineté économique et commerciale, et pour cela, ils doivent puiser dans leur arsenal législatif.
Dans de nombreux pays, mais particulièrement en France, il existe un cadre législatif protecteur de cette souveraineté économique qui est le contrôle des investissements étrangers (alias IEF).
Le contrôle des investissements étrangers en France est un contrôle ex ante prévu aux article L.151-1 et suivants et R.151-1 et suivants du code mode monétaire et financier ( ci-après « CMF » ) et ce dernier impose à un investisseur étranger de se soumettre à un contrôle préalable du trésor public s’il souhaite investir dans un secteur stratégique en France. Comme l’a à juste titre expliqué Marie-Anne LAVERGNE « le contrôle des investissements étrangers en France vise uniquement à protéger les activités en France qui participent à l’exercice de l’autorité publique ou sont de nature à porter atteinte à la sécurité publique, l’ordre public et aux intérêts de la défense nationale »1.
Ces activités sont concentrées dans des secteurs sensibles ciblés qui sont notamment : « les entreprises appartenant aux secteurs de l’aérospatial et de la protection civile, les jeux d’argent à l’exception des casinos, les activités de R&D portant sur des agents pathogènes, les activités portant sur des matériels techniques permettant les interceptions de sécurité ou la captation de données, la sécurité des systèmes des technologies de l’information, les biens et technologies à double usage, la cryptologie, la défense nationale, les infrastructures et services de réseaux dont l’intégrité, la sécurité, et la continuité sont jugées essentielles (énergie, eau, transports,…), les entreprises qui mènent des activités de recherche et de développement en matière de cybersécurité, d’intelligence artificielle, de robotique, de fabrication additive, de semi conducteurs, les hébergeurs de certaines données sensibles. »2.
Dans le dernier rapport annuel du contrôle des investissements étrangers en France, il est précisé qu’en 2022, 131 opérations ont été éligibles au contrôle, dont 70 ayant reçu une autorisation conditionnée.
Par ailleurs, 23,7% de ces opérations visaient des activités sensibles par nature, 51,9% visaient des infrastructures essentielles et 24,4% étaient des opérations mixtes3 . Ces statistiques démontrent bien l’extrême vigilance du trésor vis-à-vis des investisseurs étrangers et l’importance de ce contrôle.
Concrètement, il faut donc se demander quels sont les investissements étrangers qui sont soumis à ce régime de contrôle préalable.
En effet, tous les investissements ne sont pas soumis à ce régime. Pour rappel l’article L.151-1 du CMF dispose que « les relations financières entre la France et l’étranger sont libres ». Cette disposition reprend l’idéologie de l’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne qui pose le principe que « toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdite ». Cependant, l’article L.151-2 du même code assoupli cette règle en précisant que le gouvernement peut soumettre à déclaration, autorisation préalable ou contrôle « b) La constitution, le changement de consistance et la liquidation des avoirs français à l’étranger ».
Par ailleurs, l’article L.151-3 du CMF vise spécifiquement les IEF et prévoit que ces derniers soient soumis à l’autorisation préalable du ministre chargé de l’économie si :
- L’activité participe à l’exercice de l’autorité publique ;
- L’activité est de nature à porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale ;
- L’activité est de recherche, de production ou de commercialisation d’armes, de munitions, de poudres et substances explosives.
L’article R.151-3 du CMF indique une liste exhaustive des activités qui participe à l’exercice de l’autorité publique. Néanmoins, il ne suffit pas que l’investissement porte sur un secteur « sensible » pour que le régime des IEF soit applicable, il faut également prendre en compte la qualité de l’investisseur et la nature de l’investissement. L’article R.151-1 du CMF dispose que constitue un investisseur les personnes physiques et morales étrangères mais également les personnes françaises ne possédant pas leur résidence fiscale en France.
Quant à la nature de l’investissement, il faudra se tourner vers l’article R.151-2 du CMF qui explique que constitue un investissement le fait :
- D’acquérir le contrôle d’une société de droit français ;
- D’acquérir tout ou partie d’une branche d’activité
de droit français ;
- D’acquérir plus de 25% des droits de vote d’une
entité française ou plus de 10 % des droits de vote
d’une société de droit française dont les actions
sont admises sur un marché règlementé.
Pour être soumis au régime des IEF, il faut donc 3 critères cumulatifs : un investisseur étranger souhaitant réaliser un investissement dans un secteur sensible ou stratégique du territoire national.
L’investisseur devra réaliser une demande d’autorisation (par courrier ou par internet) au ministre de l’Économie qui aura un délai de 30 jours ouvrés pour répondre. Lors de ce délai, le ministre examinera la demande en faisant une mise en balance entre économie et sécurité publique et, à posteriori, 3 situations se présenteront :
- Le ministre de l’Économie accepte sans condition;
- Le ministre de l’Économie accepte sous condition
d’un examen complémentaire (qui ouvre un nouveau délai de 45 jours) ;
- Le ministre de l’Économie refuse.
Il faut également souligner que la loi PACTE4 a conféré au ministre de l’Économie un large panel de pouvoirs et notamment en matière de sanction car ce dernier peut, à titre d’exemple, infliger une sanction pécuniaire à l’investisseur du double du montant de l’investissement irrégulier ou de 10 % du chiffre d’affaires annuel hors taxes de l’entreprise qui exerce les activités définies au I de l’article L. 151-3, ou encore de cinq millions d’euros pour les personnes morales et un million d’euros pour les personnes physiques.
Récemment, nous avons pu observer des exemples concrets de l’utilisation de ce régime avec l’opposition de Bercy sur l’achat de photonis par l’entreprise Teledyne ou encore dans la célèbre affaire de la vente d’Alstom à General electric avec le décret dit « Montebourg ».
La France est un excellent pôle industriel doté d’un savoir-faire de renom. Afin de pouvoir survivre à l’écrasante guerre économique qui est déjà bien établie, il est indispensable de protéger en priorité les secteurs sensibles pour ne pas perdre nos avantages compétitifs et stratégiques. Le contrôle des IEF participe donc à la préservation de notre patrimoine économique et la protection de notre compétitivité à l’échelle internationale.
- Dalloz actualité, édition du 16 février 2023 « contrôle des investissements étrangers en France : entre souveraineté économique et attractivité aux investissements
étrangers » - Le journal de l’économie « Les investissements étrangers réalisés en France (IEF) : la citadelle capitalistique », le 13 mai 2020 par ODMR
- Contrôle des Investissements Etrangers en France Rapport annuel 2023, page 6
- Contrôle des Investissements Etrangers en France Rapport annuel 2023, page 6 4. LOI n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises