Par Sophie LAPISARDI, Avocat au Barreau de Paris, Lapisardi Avocats, Présidente de Lexclair Legal Design et co-auteur de « 52 règles de Legal Design » et co-présidente de la commission Croissance et Innovation de l’ACE.
J’entends régulièrement qu’un contrat ne pourrait pas être conçu selon le mode de pensée du Legal Design. Ce document juridique catalyse toutes les croyances erronées et tous les freins des professionnels du droit au sujet du Legal Design. Pourtant, les contrats sont un formidable terrain de jeu pour innover dans sa pratique.
Non seulement le Legal Design de contrat est possible, mais il est même nécessaire.
La compréhension d’un contrat n’est pas la chasse gardée des professionnels du droit. Les utilisateurs des contrats sont des non-juristes dans la très grande majorité des cas. Ces derniers attendent un document compréhensible auquel ils pourront se référer facilement tout au long de son exécution.
Or, les contrats sont souvent rédigés avec des termes jargonneux et conçus comme une succession de mots et de clauses dans un ordre dicté par une logique juridique.
Soyons honnêtes : même nous, professionnels du droit acceptons des conditions générales de vente ou d’utilisation les yeux fermés. Pourquoi ? parce que nous n’avons pas le temps de les lire ! Le magazine « que choisir » a réalisé une étude l’année dernière, qui met en lumière la disparité dans le temps de lecture des conditions générales de vente. De 3 mn et 2 secondes pour les CGU de la caisse d’allocations familiales, à 6h52 pour les CGV de la SNCF ( !).
Est-ce satisfaisant d’accepter des conditions générales sans les lire ? Assurément non. Pour personne.
La règle est pourtant clairement posée par le code de la consommation : « Les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs doivent être présentées et rédigées de façon claire et compréhensible » (article L211-1 du code de la consommation).
Mais la nécessité de rendre ces contrats clairs, accessibles et engageants va bien au-delà des contrats avec les consommateurs. Le Legal Design participe d’une démarche RSE (responsabilité sociétale des entreprises).
Quant aux bénéfices, ils sont nombreux :
– Diminuer le nombre de contentieux ;
– Susciter la confiance ;
– Véhiculer de la transparence ;
– Faire gagner du temps ;
– Augmenter le chiffre d’affaires.
Voici 3 exemples de sociétés qui ont conçu leurs contrats en Legal Design :
Dans les années 70, face à l’inexécution de ses prêts à la consommation, Citibank a revu la conception de ses contrats. Elle les a rédigés en langage juridique clair et a retravaillé la mise en page pour les rendre plus engageants. Le résultat a été un franc succès puisque la banque a réduit le temps de formation de son personnel de 50 %, à amélioré l’exactitude de l’information transmise au client, à diminué considérablement le nombre de litiges et cerise sur le gâteau, la banque a augmenté sa part de marché (exemple cité dans l’article de Stéphanie Roy, les Cahiers de droit « Le langage clair en droit : pour une profession plus humaine, efficace, crédible et prospère ! », décembre 2013).
De la même manière, la compagnie d’assurance Royale du Canada a vu ses ventes augmenter de 38 % lorsque cette dernière a rédigé ses polices d’assurance habitation en langage simple (même article). Plus récemment, vous avez peut-être remarqué les communications de Microsoft. La multinationale adresse régulièrement un mail à ses clients dont l’objet est le suivant « Votre contrat de services devient plus clair ». S’en suit l’explication suivante :
« Nous mettons à jour le Contrat de services Microsoft, qui s’applique à votre utilisation des produits et services en ligne grand public Microsoft. Nous effectuons ces mises à jour pour clarifier nos conditions et nous assurer qu’elles restent transparentes à vos yeux, et pour couvrir de nouveaux produits, services et fonctionnalités Microsoft ».
Le mouvement est lancé depuis plusieurs années : les sociétés revoient non seulement leurs contrats avec leurs consommateurs, mais également les contrats avec leurs fournisseurs, sous-traitants et autre co-contractants.
En 2019, l’Union nationale des organismes complémentaires d’assurance maladie (UNOCAM) et les
principales fédérations d’organismes complémentaires d’assurance maladie ont signé un engagement pour la lisibilité des garanties de complémentaire santé (https://unocam.fr/presse/).
Les premiers freins des professionnels du droit et notamment des avocats doivent donc disparaitre : il est parfaitement possible de rédiger clairement sans modifier les effets juridiques d’une clause, sans perdre en rigueur juridique.
Comment pratiquer le Legal Design de contrats ?
Avant toute chose, il faut être ouvert au changement et bien comprendre ce que recouvre le mode de pensée du Legal Design. Ce n’est pas seulement cosmétique ; c’est un vrai travail en profondeur qui demande une ouverture d’esprit et une volonté d’innover dans sa pratique.
Il faut ensuite être formé ou accompagné car cette compétence demande une maîtrise de plusieurs techniques dont le design thinking, le langage juridique clair et la visualisation de l’information.
La première étape de la méthode Lexclair est l’empathie. Pour concevoir un contrat en legal design il faut au préalable, oublier le droit pour se mettre dans les baskets des utilisateurs des contrats : qui sont-ils ? quelles sont leurs priorités ? Leurs attentes ? Leurs freins ? Cette étape est fondamentale pour la suite de la conception.
Deux autres étapes sont essentielles :
La structuration : un contrat plus compréhensible est un contrat dont la structure épouse la logique des utilisateurs. Il pourra par exemple s’agir de mettre en exergue les clauses importantes, la chronologie d’exécution du contrat ou bien encore les obligations et droits de chacun.
Ce travail de structure va également permettre delimiter l’effet « boule de flipper ». La grande majorité des contrats renvoie le lecteur de clauses en clauses ce qui l’épuise, saccade l’information et rend le contrat peu compréhensible.
La rédaction en langage juridique clair : il est parfaitement possible de rédiger un contrat clairement, même un contrat d’affaires !
Il ne s’agit évidemment pas de remplacer des termes juridiques et encore moins de supprimer des clauses obligatoires, mais d’adopter une rédaction plus claire. Cette étape permet souvent de détecter des zones d’ombres dans le raisonnement juridique. Le rédacteur peut ainsi être amené à approfondir ses recherches pour clarifier les clauses.
Exemple de rédaction en langage juridique clair pour une clause dans un accord de confidentialité :
AVANT
« Dans le cadre de cet accord, les termes « Information(s) Confidentielle(s) » recouvrent toutes informations notamment celles liées à l’activité de la Société, ainsi que toutes données transmises par l’une ou l’autre des Parties, par écrit ou oralement, et notamment par message électronique, enregistrement, et incluant sans limitation tous documents écrits ou imprimés, tous échantillons, données, cahier des charges, secret des affaires, brevets déposés ou enregistrés, savoir-faire, connaissances, concepts, données, documents financiers, organisationnels, techniques ou commerciaux, programme informatique, base de données, logiciels, droits d’auteur, marque, clients et prospects notamment transmis par tout moyen de divulgation pouvant être choisis par les Parties pendant la période de validité de cet accord ».
Puis, la visualisation permet de rendre le contrat plus engageant. Pour cette étape, l’essentiel est de travailler l’ergonomie du document pour éviter l’effet mur de mots. Des éléments de visualisation peuvent également être ajoutés selon la nature du contrat et la manière dont il sera généré (logiciel, publipostage etc.).
Ensuite, il faut faire tester son contrat par des utilisateurs pour ajuster sa conception.
Et, enfin, vous n’aurez plus qu’à savourer les retours positifs.