Par Me Antoine MOIZAN, co-président de la Commission pénale de l’ACE et Me Corentin DORO (Feugère Moizan Avocats)
Face au dérèglement climatique et à la nécessité de protéger les espaces naturels, le droit de l’environnement a connu de nombreuses réformes. Une des dernières évolutions majeures est par exemple la consécration du préjudice écologique au sein du code civil par la loi n°2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des 2 paysages.
Le droit de l’environnement est au carrefour du droit public et du droit privé ; de multiples dispositifs juridiques ont été imaginés et instaurés, de nature administrative (contrôles par des enquêteurs spécialisés, mesures de police aux fins de prévention3) et judiciaire (essentiellement via le droit pénal, en pleine croissance dans ce domaine comme dans les autres matières du droit : social, fiscal, etc.).
Il existe de multiples infractions spécifiques en matière d’environnement. Celles-ci sont principalement prévues par le code de l’environnement ou le code pénal et concernent notamment la protection des milieux physiques (eau, air, sols, etc.), des espaces naturels (littoral, réserves naturelles, etc.), la chasse et la pêche, la gestion des produits chimiques, les publicités et enseignes, le traitement des déchets, etc. Le droit pénal de l’environnement a encore poursuivi son expansion avec la loi du n° 2021-1104 du 22 août 2021, dite « loi Climat », portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, laquelle comporte un volet pénal important et innovant.
L’anticipation du « risque » pénal dans cette matière devient indispensable.
1. Constat : Le renforcement du droit pénal de l’environnement
L’arsenal pénal du droit de l’environnement s’est considérablement développé pour s’adapter à la technicité de la matière, régie par de nombreuses réglementations administratives et des principes scientifiques parfois difficiles à cerner pour un juriste.
Des pôles régionaux judiciaires spécialisés en matière environnementale ont ainsi été créés dans le ressort de chaque cour d’appel pour répondre à cette complexité . La compétence territoriale d’un tribunal judiciaire est étendue au ressort de la cour d’appel pour l’enquête, la poursuite, l’instruction et le jugement des délits prévus notamment par le Code de l’environnement . Par ailleurs, la compétence du juge unique a été étendue aux atteintes à l’environnement.
De même, de nouveaux moyens d’enquête ont été prévus pour répondre directement aux atteintes à l’environnement (utilisation de drones6, élargissement des missions de police aux agents administratifs en charge de l’environnement, échange d’informations, etc.).
L’intention des pouvoirs publics est claire : façonner une justice pénale de l’environnement spécialisée, à même de répondre à la complexité de la matière, avec rapidité et efficacité.
En sus de cette spécialisation, les peines prévues pour les infractions existantes ont été alourdies (not. le montant des amendes) et de nouvelles infractions ont été créés par la loi du n° 2021-1104 du 22 août 2021.
Ces nouveaux délits plus larges sanctionnent les atteintes involontaires à l’environnement sur le modèle des blessures et des homicides involontaires commis à l’encontre des personnes physiques. Il y a ici une forme de « personnalisation » de l’environnement, considéré comme une victime directe et personnelle d’infractions d’imprudence jusqu’ici consacrées aux atteintes à l’intégrité des personnes.
Ces nouveaux délits sanctionnent de manière large l’introduction dans l’air, l’eau et les sols, en violation délibérée à des obligations particulières de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, de substances entrainant des effets nuisibles graves et durables sur la santé et sur l’environnement8. Le régime semble ici calqué exclusivement sur la faute délibérée d’imprudence (violation d’une obligation particulière), et non sur la faute caractérisée souvent plus subjective et aisée à établir (prise d’un risque avec la conscience de sa particulière gravité).
Les peines attachées à ces infractions sont très importantes : cinq ans d’emprisonnement et des peines d’amende comprises entre 150.000 euros et 1.000.000 d’euros. Ce montant peut même être porté jusqu’au quintuple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction. L’on constate comme pour la criminalité d’affaires une inflation du montant des amendes pour annihiler les éventuels profits tirés de la commission de ces infractions.
Enfin, un délit spécifique d’écocide a été créé pour réprimer les comportements évoqués ci-dessus lorsqu’ils sont commis de manière intentionnelle9. Dans ce cas, les peines sont portées à 10 ans d’emprisonnement et une amende pouvant atteindre 4.500.000 d’euros (ce montant pouvant là encore être porté jusqu’au quintuple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction).
Aux côtés de la sanction à proprement parler, des dispositifs innovants ont été trouvés. Il est en effet possible d’imposer, par la voie du « référé pénal environnemental », la suspension d’une activité présumée nuisible à l’environnement, le temps de l’enquête pénale. Ce référé doit être strictement apprécié et encadré, puisqu’il a vocation à s’appliquer à une infraction seulement soupçonnée, dont l’éventuel auteur est présumé innocent.
Il est par ailleurs permis de contraindre à la réparation des dommages causés à l’environnement via la décision d’ajournement de peine avec injonction (mécanisme qui permet au tribunal de contraindre l’auteur des faits à l’exécution de mesures spéciales et de proroger le prononcé de la peine dans l’attente de l’exécution desdites mesures)10.
Enfin, l’arsenal pénal du droit de l’environnement laisse une place à la justice dite « négociée » au travers de la convention judiciaire d’intérêt public11 ou encore de la transaction pénale spécifique au droit de l’environnement12. L’intérêt pourra être ici de contraindre l’auteur d’une infraction à « réparer » l’atteinte portée à l’environnement, ou à la « compenser » par une pratique bénéfique à l’environnement (affections de terres à l’agriculture biologique et durable, engagements à respecter certains objectifs « verts » spécifiques pendant une durée déterminée, etc.).
Assez logiquement, la protection de l’environnement incite à privilégier des peines « utiles » ayant un impact écologique concret, plutôt que des peines plus classiques d’emprisonnement avec sursis ou d’amende simple.
Face à cette pénalisation du droit de l’environnement, l’anticipation du risque pénal est obligatoire.
2. La nécessaire anticipation du risque pénal en droit de l’environnement
Le droit de l’environnement est un droit technique qui relève de plusieurs autorités : ministère de la Transition écologique, ministère de l’Agriculture, ministère de la Justice, préfectures, etc.
La constatation des infractions sera le plus souvent effectuée par des agents administratifs spécialisés comme : l’Office national des forêts, les gardes champêtres des communes, les agents des collectivités territoriales, les inspecteurs de l’Agence française de sécurité sanitaire, les agents de l’Office français de la biodiversité, etc.
Ainsi, l’ébauche d’une stratégie de défense (qui pourra devenir pénale) doit être réfléchie dès les premiers actes du dossier, et même dès les premières questions, parfois informelles, de l’administration, afin d’anticiper le risque d’une transmission du dossier au procureur de la République.
Par ailleurs, certains agents spécialisés et spécialement habilités – les inspecteurs de l’environnement –, ont été institués et investis de certains pouvoirs de police judiciaire propres à la constatation et à la recherche des infractions contre l’environnement (not. l’accès à des locaux professionnels de production, stockage, dépôt15 ou d’habitation dans certaines conditions16). Ils peuvent également recueillir les déclarations des personnes susceptibles d’intéresser l’enquête et peuvent interroger des personnes sous le régime de l’audition libre.
À l’image des autres matières (comme le droit du travail, où la DIRECCTE peut procéder à des auditions pénales), les constatations techniques des agents administratifs et plus encore des inspecteurs environnementaux, constitueront le cœur du futur dossier pénal et l’essentiel des éléments de preuve recueillis contre la ou les personnes poursuivies.
Dès lors, l’assistance d’un conseil pénaliste dès le début de la procédure permet d’anticiper le risque pénal et de préparer sa défense en amont de l’enquête, qui est, rappelons-le, en principe secrète et dont les pièces ne sont pas accessibles pour la personne mise en cause et pour ses conseils (excepté le cas d’une instruction judiciaire). Seuls l’infraction reprochée, le lieu et la date de sa commission seront disponibles.
Il convient dès les premières interrogations ou constatations de l’administration d’identifier avec la personne mise en cause les potentiels manquements qui pourront faire l’objet de la procédure pénale, les questions à charge qui pourront être posées, ainsi que les éléments de réponse et de preuve à fournir.
La préparation d’un contrôle, d’une réponse à l’administration et a fortiori d’une audition libre est indispensable, car elle conditionnera l’ensemble du dossier.
Par ailleurs, il est nécessaire de se montrer proactif durant l’enquête. L’assistance d’un conseil pénaliste permet d’apprécier la nécessité de fournir des pièces, de solliciter des actes d’enquête supplémentaires voire de les faire effectuer soi-même (expertises techniques, audit par un organisme ou contrôleur indépendant et certifié, etc.) pour convaincre les enquêteurs et, derrière eux, le procureur de la République ou le magistrat instructeur, du bienfondé d’un argument en défense.
Il conviendra également et selon les cas d’envisager, avant la fin de l’enquête pénale, les mesures propres à diminuer le préjudice causé ou à le compenser (remise en état de l’habitat naturel, programme de conformité interne pour éviter toute réitération, etc.), afin de pouvoir justifier d’une démarche écologique.
Enfin, cette assistance permet un suivi de la procédure pénale et un échange avec les enquêteurs qui peut être décisif au stade de l’orientation du dossier par le procureur de la République. Les alternatives aux poursuites sont variées en cas de reconnaissance des faits (CRPC, CJIP, etc.) ; et lorsqu’à l’inverse les faits ne sont pas reconnus, il est nécessaire de déconstruire le dossier et de démontrer aux autorités de poursuite, selon les cas, que la procédure est irrégulière ou que l’infraction n’est pas constituée.
En synthèse, tout manquement écologique peut exposer son auteur à une enquête pénale ; l’anticipation du risque pénal et l’élaboration d’une stratégie de défense en amont du dossier sont incontournables.