La revue de l’ACE n°158 – Sommes-nous vraiment empathiques ?

Par Sophie LAPISARDI, Avocat au Barreau de Paris, Lapisardi Avocats, Présidente de Lexclair Legal Design, co-présidente de la commission Croissance et Innovation de l’ACE

Le thème général de cette revue m’a conduit à m’interroger sur notre capacité à porter attention à notre environnement. Par environnement, j’entends ici nos clients. C’est pour moi l’occasion rêvée d’évoquer la première étape du Legal Design : l’empathie. Avons- nous de l’empathie pour nos clients ?

L’entrée en matière m’a été livrée par Larry Richard. Ce psychologue, docteur en psychologie et ex-avocat américain, s’appuie sur des décennies de recherches en sciences cognitives et s’est spécialisé dans le conseil aux avocats. Ses tests psychométriques sur une large population révèlent que les avocats sont non seulement réticents au changement, mais en pole position des professions les moins empathiques (étude notamment évoquée par Droit-Inc).

Comment est-ce possible ? Nous qui passons notre temps à défendre nos clients, comment pourrions-nous ne pas être empathiques ?

J’aborde ce thème de l’empathie depuis maintenant 7 ans et j’ai constaté qu’il était souvent mal compris par les avocats.

Tout d’abord, être empathique et défendre notre client n’est pas le même exercice. Ensuite, le concept donne souvent lieu à des contresens.

Beaucoup d’avocats considèrent qu’ils sont empathiques par nature, que c’est une évidence. J’entends alors la remarque suivante : « Mais je connais très bien mon client ! » parfois suivie du récit d’une amitié née à l’occasion d’un dossier.

Plus fréquente encore est la confusion entre empathie et bienveillance ou même compassion.

Or, être empathique ne consiste ni à être ami avec son client, ni à être bienveillant avec lui ou à compatir à ses problèmes.

Qu’est-ce que l’empathie ?

Être en empathie, c’est se mettre à la place de son client pour comprendre ses besoins, ses freins, ses attentes, ses contraintes… Pour paraphraser l’expression américaine, cela consiste à se mettre dans ses baskets, à percevoir ce qu’il ressent. Être emphatique, c’est la capacité à comprendre l’expérience que vit notre client et ses réactions à celle-ci.

Pourquoi la développer ?

Ce n’est pas un hasard si l’empathie est considérée comme l’une des compétences les plus recherchées des entreprises (les fameuses soft skills). Elle est même la compétence de leadership la plus importante.

« L’un des secrets du succès, c’est la faculté de se mettre à la place de l’autre et de considérer les choses de son point de vue autant que du nôtre. » disait Henri Ford.

L’empathie est la pierre angulaire de l’innovation. Pour notre communication tout d’abord : se mettre en empathie est le gage de rédiger des documents plus clairs, plus accessibles et plus engageants. Ensuite, c’est en se mettant en empathie avec notre client que nous pouvons lui offrir de nouveaux services, une nouvelle expérience. Peu importe que le client soit juriste ou non.

Prenons quelques exemples :

Cette directrice juridique qui consulte son avocat pour revoir les conditions générales d’achat de son entreprise. Quel est réellement son besoin ? Est-ce qu’il s’arrête à la rédaction d’un document ou bien souhaite-t-elle également disposer d’arguments pour faire changer les pratiques de ses commerciaux ?

De même, ce directeur juridique qui missionne son avocat pour négocier un gros contrat ; qu’attend-il de lui en termes de livrable ? Est-ce que le contrat de 100 pages avec des mark-up lui permettra de communiquer en interne les avancées de la négociation à la direction et aux opérationnels ?

Enfin, ce patron de PME qui nous demande de lui rédiger un contrat. Qu’attend-il réellement ? Le contrat n’est qu’un moyen pour lui de développer son activité. Est-ce que son avocat pourrait lui proposer d’autres outils juridiques ou astuces liées à son expérience et à sa connaissance du secteur d’activité pour lui permettre d’atteindre son objectif, voire d’élargir son horizon ?

Comment développer son empathie ?

Le premier réflexe doit consister à écouter. Souvent, nous entendons plus que nous écoutons.

Voici 3 astuces pour écouter… vraiment.

1°) Laisser son client s’exprimer tranquillement sans se focaliser d’entrée sur les questions à poser

Trop souvent, nous avons tendance à nous précipiter sur les questions à poser avec déjà une solution en tête. Nous créons ainsi nos propres œillères.

2°) Ne pas immédiatement penser au droit

Nous avons été formés à requalifier les problématiques de nos clients en questions juridiques, qui nous permettent de faire des recherches et de trouver la solution. Mais si nous nous focalisons d’entrée sur le droit, nous réduirons notre capacité à entrer en empathie avec notre client. Nous passerons à côté de ses préoccupations et de ses attentes.

3°) Prendre le temps

Ecouter prend du temps et nécessite d’être présent, d’être concentré sur son client, y compris sur son langage non verbal. Quelques outils peuvent ensuite aider à travailler son empathie telle que la carte d’empathie.

Les avocats formés à la médiation connaissent la puissance de l’empathie dans le cadre du règlement d’un litige. Elle est identique dans notre pratique quotidienne et nous ouvre de nombreuses perspectives d’innovation.

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