La revue de l’ACE n°158 – Le droit du travail en mouvement : entre hier et demain (compte-rendu de l’atelier de la Commission sociale – Congrès ACE 2022)

Préambule

Ce congrès d’anniversaire, au cours duquel l’ACE fêtait ses trente années d’existence et entendait se donner pour cap 2030, était une excellente occasion pour l’atelier de la Commission sociale de prendre un peu de recul et de faire rimer rétrospective avec prospective.

D’une part, en remontant le temps pour dérouler le fil des mutations qui ont modelé le droit du travail depuis les trente années ayant précédé le tournant du siècle : des années 70 à aujourd’hui, les change- ments et même les bouleversements qui ont trans- formé la société et fait évoluer le monde du travail à son image ont de quoi donner le vertige à l’observa- teur. Pour autant, les choses ont-elles complètement changé ? La réponse est assurément affirmative… mais doit être nuancée.

D’autre part, en identifiant quelques-unes des pistes empruntées par le droit du travail – progressant entre révolution numérique, crise sanitaire et quête de sens à la découverte de nouveaux métiers (les travailleurs des plateformes), de nouvelles approches du statut de salarié (moins de subordination, plus d’indépen- dance), de nouvelles exigences d’origine sociétale (l’environnement, l’égalité homme-femme), de nou- velles méthodes (le travail à distance) -, pour tenter d’appréhender ce que 2030 réserve au travailliste.

C’est plus particulièrement au travers du prisme du temps de travail et de l’organisation du travail que l’atelier s’est articulé.

Sous la modération de Nathalie Attias (cabinet Wan, co-présidente de la Commission sociale) :

  • Guy Martinet (avocat honoraire, co-président de la Commission sociale) s’est chargé d’apporter l’éclairage de l’histoire et Arnaud Pilloix (cabinet Ellipse avocats, Barreau de Bordeaux) s’est inté- ressé à l’analyse des nouvelles formes d’organisa- tion du travail (statut salarié vs. statut d’indépendant),
  • tandis qu’Annabelle Sevenet (cabinet Jane, Barreau de Paris) et Stefan Nerinckx (cabinet Fieldfisher, Barreau de Bruxelles) se sont placés sous les feux de l’actualité tant juridique que médiatique et po- litique pour traiter tour à tour de l’instauration de la semaine de quatre jours en Belgique (autori- sant une comparaison avec l’expérimentation en cours en Grande Bretagne) et des mécanismes de réduction du temps de travail,
  • et que Ludovic Blanc (cabinet Blanc, Barreau de Paris), s’était proposé de commenter un accord de réduction du temps de travail (accord conclu par la société LDLC et prévoyant un horaire hebdo- madaire ramené à 32 heures en 4 jours sans perte de salaire -).

Partie 1 : L’organisation du travail dans le temps (par Guy Martinet, avocat honoraire)

Entre les années 1970 et aujourd’hui, l’univers du travail tout entier a basculé

L’univers du travail a en effet basculé :

  • du modèle taylorien conçu pour des activités ma- nufacturières, dont l’exercice était soumis à une double unité (i) de lieu (l’usine ou l’atelier, le bu- reau) (ii) et de temps (selon une opposition binaire temps de travail v. temps libre), où l’employeur contrôlait étroitement l’exécution d’un travail dont les risques étaient de nature physique…
  • … vers un modèle centré sur des activités de pres- tations de service, où les lieux de travail sont indifférenciés voire dispersés et les références temporelles abolies, où le travail est confié à des équipes ouvertes, horizontales et participatives, chargées de la réalisation d’une mission en mode projet, réunies en fonction de l’agilité (capacité à improviser et à innover) et, du degré de spécia- lisation de leurs membres, où les risques sont d’ordre psycho-social.

L’organisation du temps de travail a dû à son tour s’adapter

Songeons à cette aventure rapportée par le journal Le Monde entre octobre 1978 et mars 1979, lequel a suivi les tribulations d’un audacieux chef d’entre- prise, poursuivi par l’inspecteur du travail pour avoir (pourtant avec le plein assentiment de son person- nel) osé instituer la semaine de quatre jours (déjà !), faisant fi de la réglementation de l’époque, issue des décrets d’application de la loi du 21 juin 1936 rela- tive à la durée légale de 40 heures, qui ne permettait la répartition de la durée légale de 40 heures que de manière égalitaire sur cinq ou six jours, sans déroga- tion possible1.

Il faudra attendre la loi n° 79-3 du 2 janvier 1979 relative à la durée du travail et au travail de nuit des femmes puis l’ordonnance n° 82-41 du 16 jan- vier 1982 relative à la durée du travail et aux congés payés (qui a instauré l’horaire hebdomadaire de 39 heures) pour assouplir la réglementation en autori- sant les dérogations à la semaine de cinq ou six jours – sur avis conforme des représentants du personnel avec le premier texte, par convention ou accord col- lectif étendu ou par accord collectif d’entreprise ou d’établissement avec le second -.

La semaine de quatre jours est donc une innovation… ancienne (et dont le dispositif a survécu dans l’actuel article L. 3121-68 du code du travail) !

C’est cependant la loi « quinquennale n° 93-1313 du 20 décembre 1993 relative au travail, à l’emploi et à la formation professionnelle » qui amorce le mouve- ment vers de plus en plus de flexibilité en jetant les bases de l’annualisation du temps de travail associée à une réduction de celui-ci en dessous de 39 heures ainsi qu’en aménageant un mécanisme d’incitation à la réduction du temps de travail par le biais d’une compensation partielle des cotisations sociales pa- tronales.

Soucieuses d’accroître l’emploi et de réduire le chômage, la loi de Robien n° 96-502 du 11 juin 1996 ten- dant à favoriser l’emploi par l’aménagement et la réduction conventionnels du temps de travail et ensuite la loi Aubry I n° 98-461 du 13 juin 1998 d’orientation et d’incitation relative à la réduction du temps de travail reprendront ce principe d’une incitation soit à augmenter les effectifs soit à éviter des licenciements en contrepartie d’allègements de cotisations patronales…

… avant que la loi Aubry II n° 2000-37 du 19 jan- vier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail ne réduise la durée légale du travail à 35 heures en favorisant la recherche par les entreprises des gains de productivité et en faisant reposer sa ré- forme sur des dispositifs innovants destinés à des- serrer le cadre du temps de travail (création d’un régime unique de modulation annuelle, journées et demi-journées de RTT, restructuration du statut de cadre assortie de la mise en place de systèmes de forfaits en heures – sur une base hebdomadaire, men- suelle ou annuelle – ou en jours sur l’année).

Ces 35 heures sont toutefois apparues par la suite comme un nouveau carcan dont il convenait à son tour de relâcher la bride de manière à allonger le temps de travail selon le credo, dont on oublie qu’il remonte aux années 2003 : « travailler plus pour ga- gner plus ».

Vont s’y employer, successivement :

  • la loi Fillon n° 2003-47 du 17 janvier 2003 relative aux salaires, au temps de travail et au développe- ment de l’emploi,
  • la loi Fillon n° 2005-296 du 31 mars 2005 portant réforme de l’organisation du temps de travail dans l’entreprise,
    et surtout la loi Bertrand n° 2008-789 du 20 août
    2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, laquelle a réfor- mé durablement une partie significative des dis- positions du code du travail consacrée à la durée du travail, afin non seulement d’en simplifier les règles mais d’assouplir encore les modalités de recours aux heures supplémentaires, notamment en introduisant la possibilité – par accord d’entre- prise ou d’établissement – de repousser la limite de hebdomadaire et de répartir les horaires sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l’année.

Les relations de travail enfin ont accompagné cette progression et lui ont même servi de support

Comment ? En sortant par étapes du moule de la hié- rarchie des normes dans lequel il ne peut être dérogé à la norme supérieure (par les accords d’entreprise aux conventions et accords de branche, et, au som- met, par la négociation de branche à la loi) que dans un sens plus favorable.

Dit autrement : comment rapprocher les acteurs au sein des entreprises de la réalité du terrain à laquelle ils sont confrontés, quitte à déroger au principe de faveur ?

C’est à partir de ces interrogations que pratiquement les mêmes lois que celles qui viennent d’être men- tionnées se sont attachées à faire progressivement prévaloir le dialogue social en entreprise :

  • les premiers textes (qui remontent donc à l’ordonnance précitée de 1982 ainsi d’ailleurs qu’à la loi Auroux n° 82-957 du 13 novembre 1982 relative à la négociation collective et au règlement des conflits collectifs) en offrant la possibilité aux branches ou aux entreprises de signer des accords dérogatoires et en substituant ainsi la négociation à la loi ;
  • les suivants (en particulier à partir de la loi quinquennale) en ouvrant la faculté de définir les conditions de mise en œuvre des dispositifs relatifs au temps de travail « par convention ou accord collec- tif étendu ou par convention ou accord d’entreprise ou d’établissement » – sans toutefois soumettre cette alternative à une hiérarchie -.

C’est la loi Aubry II de 2000, suivie par la loi Bertrand de 2008, qui donnent définitivement la pri- mauté à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche et la loi Fillon n° 2004-391 du 4 mai 2004 relative au dialogue social qui opère une distinction entre les thèmes (au nombre de quatre) qui ne peuvent rele- ver que de l’accord de branche et les autres thèmes pour lesquels l’accord d’entreprise peut contenir des dispositions dérogatoires, y compris dans un sens moins favorable, mais uniquement pour l’avenir et à condition que cette liberté n’ait pas été prohibée par une clause de verrouillage dans l’accord de branche.

La loi Travail n° 2016-1088 du 8 août 2016 élargira à six et l’ordonnance Macron n° 2017-1385 du
22 septembre 2017 à treize la liste des thèmes qui relèvent du ressort exclusif des branches, ce qui si- gnifie que les accords d’entreprise priment désormais pour tous les autres thèmes y compris dans un sens moins favorable que l’accord de branche (à l’excep- tion de quatre thèmes complémentaires nommément désignés pour lesquels les branches peuvent encore prévoir un verrouillage pour l’avenir).

Partie 2 : Les nouvelles formes d’organisation du travail (Arnaud Pilloix, avocat au Barreau de Bordeaux)

Désaffection pour le travail salarié : une soif d’indépendance ?

Si l’Homme a toujours travaillé (des chasseurs-cueil- leurs jusqu’aux micro-entrepreneurs), le contrat de travail est une innovation récente mais qui a signifi- cativement structuré notre société.

De l’empire romain jusqu’à la Révolution française, le travail se conçoit en France de manière collective ainsi qu’en attestent les corporations chargées de la défense des intérêts de la profession.

La loi Le Chapelier du 14 juin 1791 les abolit, libé- rant au passage les artisans et ouvriers qui y étaient attachés, avant que le code civil ne consacre en 1804 le louage d’ouvrage hérité du droit romain et présen- té par l’article 1710 comme « le contrat par lequel l’une des parties s’engage à faire quelque chose pour l’autre moyennant un prix convenu entre elles » : c’est l’acte de naissance d’une fiction juridique qui va connaître un essor considérable, le contrat de travail.

Tandis que les canuts de Lyon ou les mineurs de Germinal sont rémunérés à la tâche ou au poids, la révolution industrielle (le taylorisme évoqué précé- demment ou le fordisme) s’emploie à cadrer l’exécu- tion du contrat de travail, assujettie à une hiérarchie pyramidale, décomposées en gestes mesurables et mécanisés, enfermée dans un horaire dont le taux constitue la base de la rémunération.

Dans le cadre de ce compromis sociétal, les salariés perdent en indépendance ce qu’ils gagnent en « jus- tice sociale », caractérisée par le CDI, les congés payés et la protection sociale.

Le contrat de travail atteint son apogée lorsque le législateur rattache « artificiellement » certains mé- tiers (Partie VII du code du travail) afin de leur accor- der le bénéfice d’une présomption de salariat (VRP, journalistes, artistes de spectacles, mannequins), voire de les assimiler à des emplois salariés (gérants de succursales, travailleurs à domiciles, portés).

Les dérives du capitalisme financier (voir Milton Friedman) à l’origine du chômage de masse et de la complexification d’identifier l’employeur (groupe, business unit, UES), ainsi que la révolution digitale vont toutefois considérablement modifier les équilibres de ce « compromis sociétal » :

  • prospèrent alors le CDD, le recours à la sous-traitance, aux free lance, aux consultants extérieurs ; les outsiders prennent leur revanche sur les insiders ;
  • la mobilité, synonyme de créativité et d’autonomie ainsi que voie d’accès à l’indépendance, de- vient une valeur cardinale ;
  • les frontières s’étiolent entre vie personnelle et vie professionnelle.

Aussi, le monde du travail est aujourd’hui confronté à de nouveaux défis :

  • Comment appréhender le fait que l’indépendance juridique tende à se payer au prix d’une dépendance économique ?
  • Assiste-t-on au déclin du contrat de travail : le lien de subordination est-il à bout de souffle ? quel avenir pour la notion de temps de travail ?
  • Comment porter réponse aux sujets de nature so- ciétale (impact environnemental, quête de sens et de reconnaissance) auxquels les thèmes qui nour- rissaient les combats syndicaux (travail de nuit ou des enfants, durée du travail etc.) cèdent désormais la place ?

De l’attractivité (relative) pour le travail non salarié à la diversification des modes de travail indépendant

Il est certain que le développement de carrières protéiformes depuis le début du 21ème siècle et le déplacement des aspirations («s’épanouir» plutôt que «gagner sa vie») tendent à favoriser un engoue- ment pour le travail non-salarié, lequel attire surtout les jeunes (43 % des 16/19 ans).

De même, la création du statut d’auto-entrepreneur (loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie (LME)) a suscité en France un regain d’intérêt pour le travail non salarié, que la crise sani- taire a contribué à amplifier.

Pour autant, la part du travail indépendant est restée globalement stable en France (autour de 11 % à 12 % des personnes en emploi entre 2013 et 2019).

Bien plus, le marché français du travail salarié se porte assez bien si l’on considère que le nombre de démissions, qui est élevé sans être inédit, se traduit en pratique par un rapport de force favorable aux sa- lariés dans un contexte de recrutement en difficulté, obligeant les entreprises à négocier, à rehausser leur offre de rémunération ou à consentir des conces- sions (télétravail).

Il demeure que les modes d’accès au travail indé- pendant, eux, se sont élargis et diversifiés, trans- formant les caractéristiques des indépendants eux- mêmes.

Telle est en particulier la raison du débat qui entoure le statut des «travailleurs indépendants recourant pour l’exercice de leur activité aux services d’une ou plusieurs plateformes de mise en relation élec- tronique» (selon la définition donnée par l’article L. 7341-1 du code du travail).

Ceux-ci ont, en effet, eu droit à leur tour aux hon- neurs de la Partie VII du code du travail, un Titre quatrième y ayant été inséré (enrichi par la loi LOM n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités) pour imposer une responsabilité sociale aux plateformes et leur assigner un certain nombre d’obligations voisines de celles qui protègent les sa- lariés… mais sans aller jusqu’à qualifier leur rapport juridique avec les plateformes.

D’où un contentieux, source d’incertitude juridique, dès lors que des travailleurs demandent la requalification de ce rapport en contrat de travail, à charge alors pour les juges de déceler dans les modalités concrètes d’exécution de la prestation un faisceau d’indices démontrant que les plateformes exercent un pouvoir de contrôle, de direction et de sanction qui trahit un lien de subordination (la plupart des dé- cisions rendues ayant retenu un tel lien de subordi- nation : arrêts sociétés Uber BV et Uber France c/ Pe- trovic CA Paris, 10 janvier 2019 ; n°18/08357 ; Take Eat Easy Cass. soc. 28 novembre 2018, n°17-20.079 ; sociétés Uber France et Uber BV Cass. soc. 4 mars 2020, n° 19-13.316 ; à l’exception notable d’un récent arrêt Voxtur Cass. soc. 13 avril 2022, n° 20-14.870)2.

À souligner, la cohérence de la Cour de cassation qui conserve sa jurisprudence sur la présence d’un lien de subordination pour caractériser le contrat de tra- vail (arrêt Société générale, Cass. Soc. 13 novembre 1996).

D’où la demande faite par le Premier Ministre à Monsieur Jean-Yves Frouin, ancien président de la Chambre sociale de la Cour de cassation, de for- muler des propositions touchant au statut, au dia- logue social et aux droits sociaux des travailleurs des plateformes, de manière à sécuriser les relations ju- ridiques et protéger les travailleurs sans remettre en cause la flexibilité apportée par le statut.

D’où enfin la réponse donnée par plusieurs Etats européens qui ont pris le parti de créer un statut intermédiaire – entre le statut de salarié et celui de travailleur indépendant – ayant vocation à accueillir des travailleurs dits de la «zone grise», indépendants mais économiquement dépendants, dotés d’un cer- tain nombre de droits identiques à ceux dont béné- ficient les salariés mais non les travailleurs indé- pendants : ainsi en est-il du statut de «worker» au Royaume-Uni, de «trade» en Espagne, de «co-co-co» et de «co-co-per» en Italie.

Vers un travail à la tâche : un contrat spécifique adapté au monde viticole ?

L’emploi de salariés à la tâche constitue un mode d’organisation du travail ancestral au sein des do- maines viticoles (et dans d’autres entreprises agri- coles).

Le travail à la tâche consiste en une organisation spé- cifique, justifiée par des particularités géologiques et climatiques locales, laissant au salarié (dit tâcheron) une responsabilité d’organisation pour effectuer, au cours d’une même année culturale, tout ou partie des travaux de culture de la vigne.

Cette spécificité d’organisation du travail, en ce qu’elle est une exception aux dispositions habituel- lement applicables, impose un environnement ju- ridique spécifique : elle doit être formalisée par un accord de branche ou d’entreprise ; quant au contrat de tâcheron, il est encadré par le code rural (article R. 713-41) et les conventions collectives locales.

Pourrait-on imaginer une extension du travail à la tâche en dehors du monde agricole afin de répondre aux interrogations qui précédent, notamment à celle que pose la mesure du travail par le temps consacré à sa réalisation ?

Un nouveau compromis sociétal doit être trouvé pour que le contrat de travail (qui participe grandement au financement de la protection sociale) conserve toute son attractivité, au-delà de sa rigidité qui ne corres- pond parfois plus aux aspirations des parties.

Partie 3 : La réduction du temps de travail (Stefan Nerinckx, avocat au Barreau de Bruxelles)

Le droit belge vient de franchir le pas en adoptant le 29 septembre 2022 un «deal pour l’emploi» régle- mentant à compter du 1er janvier 2023 la possibilité de travailler quatre jours par semaine.

Ce dispositif se concrétise par une réduction du nombre de jours travaillés par semaine mais pas par une réduction du temps de travail. Il en résulte une augmentation de la durée maximale de la journée de travail, qui est portée à 9,5 heures – ou 10 h (dans le cas du régime de 40 heures effectives par semaine associé à 12 jours de RTT moyennant la conclusion d’une convention collective du travail (CTT) d’entre- prise).

Brièvement résumé, le mécanisme est le suivant :

  • dans un premier temps, il appartient à l’employeur d’adapter le règlement de travail au sein de son entreprise ;
  • dès lors, le travailleur a la faculté de solliciter le passage à quatre jours, sa demande faisant courir un délai d’un mois et entraînant la mise en place d’un régime de protection contre le licenciement ou l’application de mesures punitives ;
  • au terme de ce délai, l’employeur accepte ou re- fuse le changement de durée hebdomadaire du travail mais dans ce dernier cas doit motiver sa décision ;
  • les parties concluent enfin une convention écrite, laquelle est valable pour une période maximale de six mois mais peut être renouvelée (la convention devant intervenir avant la mise en œuvre de la nouvelle durée hebdomadaire de travail).

Cette convention doit comporter les informations fixant les modalités de changement du régime heb- domadaire de durée du travail, telles que les horaires de début et de fin de la journée de travail, la durée des temps de pause, la période concernée. Elle doit être conservée pendant cinq ans.

Enfin, la nouvelle réglementation prévoit égale- ment une possibilité de régime hebdomadaire alterné par cycle de deux semaines – quatre en cas de circons- tances exceptionnelles – sous réserve de respecter la durée hebdomadaire : si par exemple la moyenne de travail hebdomadaire est de 38h, le régime hebdoma- daire alterné sur un cycle de deux semaines pourrait être de 45 h en S1 et 31h en S2.

La semaine s’entend de toute période de 7 jours consécutifs et la durée maximale de travail est fixée à 9h par jour ou 45h par semaine.

Les conditions de mise en œuvre sont identiques à celles exposées précédemment. Si le salarié souhaite sortir de ce régime alterné, il peut y mettre fin moyennant un préavis de de deux semaines avant un nouveau cycle.

L’expérimentation anglaise

À titre de comparaison, la Grande Bretagne teste ac- tuellement pendant une période de six mois ayant débuté en juin 2022, le passage à la semaine de quatre jours mais avec réduction du temps de travail à 32 heures et maintien du salaire selon le principe 100/80/100 (100 % du salaire, 80 % du temps, 100 % de la productivité) qu’illustre le slogan : « travailler mieux plutôt que travailler plus ».

Cette expérimentation, fondée sur le volontariat, est pilotée par une fondation d’origine néo-zélandaise dénommée Four Day Week, conjointement avec le think tank Autonomy. 70 entreprises, occupant environ 3 300 salariés, se sont portées volontaires. D’autres pays se sont déjà engagés dans cette voix : Islande de 2015 à 2019, USA, Canada, Irlande, Aus- tralie, Espagne début 2022.

Son déroulement est suivi par plusieurs universités ainsi que par des chercheurs indépendants chargés d’établir un rapport sur l’impact pour les salariés et les conséquences économiques de ce modèle. Ses promoteurs en attendent une amélioration générale tant pour les entreprises (optimisation de l’organi- sation, meilleure productivité, motivation et perfor- mances renforcées, attractivité et fidélisation) que pour les salariés (meilleur équilibre vie professionnelle/ vie privée, renforcement de l’égalité des sexes et du bien- être au travail, réduction de l’impact environnemental).

Partie 4 : Les mécanismes de réduction du temps de travail (par Anabelle Sevenet avocat au Barreau de Paris)

En France, la semaine de 32h en quatre jours fait certes débat mais sans réel succès pour l’instant, en dehors de quelques rares entreprises – Ypreman, Welcome to the jungle, LDLC -.

En revanche, la réglementation offre d’ores et déjà des outils permettant de réduire le temps de travail :

• Mise en place du travail à temps partiel.
Attribution de jours de repos sur l’année ou sur une période de quatre semaines.

• Ces deux dispositifs d’attribution de jours de repos ont certes été abrogés par la loi Bertrand précitée n° 2008-789 du 20 août 2008 mais la loi Travail n° 2016-1088 du 8 août 2016 a restauré le principe d’un aménagement du temps de travail sur une durée supé- rieure à la semaine, par accord collectif ou par déci- sion unilatérale de l’employeur (articles L. 3121-41 et L. 3121-45 du code du travail) – ;

Institution de la semaine de 4 jours, les salariés continuant à travailler 35 heures, le temps de travail moyen journalier étant porté à 8h45 ; cette faculté n’est pas subordonnée à la conclusion d’un accord de branche ou d’entreprise et relève du pouvoir de direction de l’employeur, lequel est donc libre d’instaurer ce régime par décision unilatérale après consultation du CSE et moyennant une information de l’inspecteur du travail -; la liberté de l’employeur n’est entravée que si les horaires de travail ont été contractualisés ou si l’entreprise est couverte par un décret professionnel ne prévoyant pas une organisa- tion de travail sur quatre jours (cela étant, la quasi-to- talité des entreprises qui ont adopté cette organisa- tion l’ont fait sur la base du volontariat ou par accord collectif).

Chemin faisant, ces derniers développements re- nouent ainsi l’un des fils directeurs de cet atelier, que Jean-Denis Combrexelle évoquait en ces termes dans son Rapport sur la négociation collective (sep- tembre 2015) :

«dans un système économique et social qui néces- site des adaptations rapides et la prise en compte de la diversité des situations, l’organisation du temps de travail en dehors des questions de l’ordre public ne peut raisonnablement relever de la loi. Cela doit être le champ privilégié de la négociation collective et plus particulièrement encore celui de la négociation de l’entreprise».

(Rapport sur la négociation collective, septembre 2015).

LES PRÉSIDENTS DE LA COMMISSION SOCIALE

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