Par Anna LEPREVOST, Elève-avocate
Tour à tour décriée par son activité destructrice, d’une part, et approuvée par son côté régulateur (qui avait été maintenu pendant les périodes de confinement administratif de Covid19), d’autre part, la chasse laisse rarement indifférent.
Il est incontestablement que cette passion dite « cynégétique » est désormais strictement encadrée par le droit (Code de l’environnement), et a accentué ses efforts sur la sécurité, participant à la baisse progressive des accidents de chasse.
La chasse demeure un droit substantiellement attaché au droit
de propriété, et ce depuis la Révolution française, cette réclamation étant inscrite dans les cahiers de doléance de 1789. Ceci permet de distinguer le droit de chasse, associé au territoire, et le droit de chasser, qui relève d’une règlementation administrative sur permis individuel.
A ce jour, la France compte près d’1 million de pratiquants de la chasse et le poids économique de ce secteur est estimé à 2,2 milliards d’euros. Il existe de nombreuses pratiques de chasse qui ont chacune leur rite, leur implantation locale, leurs particularités techniques à prendre en compte dans la réglementation.
La question du partage de l’usage de l’espace naturel a fait l’objet d’évolutions législatives et est toujours au cœur de débats sociétaux, à la suite de récents accidents de chasse.
I- Chasse, droit de propriété et liberté de conscience
Le droit de chasse est indissociable du droit de propriété. Plus précisément, le droit de chasse et le droit de chasser sont deux droits distincts, l’un tenant à la disposition d’un fonds, l’autre tenant à la personne. Il est de jurisprudence constante que « le droit de chasse est un attribut de la propriété ». Selon l’article L.422-1 du Code de l’environnement « Nul n’a la faculté de chasser sur la propriété d’autrui sans le consentement du propriétaire ou de ses ayants droit. ». Consubstantiel au droit de propriété, l’exercice de ce droit doit également répondre à des exigences de sécurité, tout en prenant en compte le respect des convictions des opposants à la chasse.
L’évolution législative entre intérêt général et liberté de conscience
En premier lieu, la loi dite « VERDEILLE » du 10 juillet 1964 obligeait les propriétaires d’un terrain inférieur à 20 hectares, à adhérer à une association communale de chasse agréée (ACCA). Néanmoins, dans l’affaire CHASSAGNOU CONTRE FRANCE, la Cour Européenne des droits de l’Homme a eu l’occasion d’examiner si l’obligation pour un propriétaire foncier de tolérer la chasse sur ses terres était compatible avec les principes consacrés par l’article 1er du Protocole n°1. En l’occurrence, dans cet arrêt la CEDH a sanctionné la France, dans la mesure où sa législation ne permettait pas aux propriétaires de re-user de laisser leurs terrains aux ACCA.
La « clause de conscience » offerte aux propriétaires
Par la suite, en vue de se conformer au droit au respect des biens prévus par la Convention, un droit d’opposition à la pratique de la chasse a été institué par la loi n°2000-698 du 26 juillet 2000, lequel peut être invoqué par les propriétaires, et ce, au nom de leurs convictions personnelles. A ce propos, le Conseil Constitutionnel a précisé le 20 juillet 2000 qu’aucune demande de justification ne pouvait être sollicitée auprès des propriétaires opposants. Le Conseil d’Etat a ajouté que les préfectures doivent se contenter d’enregistrer la demande sans s’attarder sur la sincérité des convictions du demandeur (CE, 3 avril 2014).
La responsabilité financière du propriétaire du fonds en l’absence de régulation
La loi n°2012-325 du 7 mars 2012 a prévu à son tour de nouvelles dispositions et en particulier l’article L. 425-5-1 du Code de l’environnement lequel dispose que « lorsque l’équilibre agro-sylvo-cynégétique est fortement perturbé autour de ce territoire, le représentant de l’Etat dans le département, sur proposition de la fédération départementale ou in- terdépartementale des chasseurs ou de la chambre interdépartementale d’agriculture […] peut notifier à ce détenteur du droit de chasse un nombre d’animaux à prélever dans un délai donné ». De surcroit, cet article ajoute également que « lorsque le détenteur du droit de chasse d’un territoire ne procède pas ou ne fait pas procéder à la régulation des espèces présentes sur son fonds et qui causent des dégâts de gibier, il peut voir sa responsabilité financière engagée pour la prise en charge de tout ou partie des frais liés à l’indemnisation ».
Une QPC récente sur la liberté de conscience
Une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a été déposée à l’encontre des dispositions de l’article L. 425-5-1 du Code de l’environnement issues de la loi de 2012. En effet, la société requérante considérait en l’espèce, que cet article méconnaissait le droit à la liberté de conscience consacré à l’article 10 de la Déclaration des droits de l’Homme, en ce qu’il oblige un propriétaire à réguler ou à faire réguler le gibier sur sa parcelle, en dépit du droit d’opposition à la chasse.
Toutefois, le Conseil Constitutionnel le 20 janvier 2022 a considéré en premier lieu, que la notification du nombre d’animaux à prélever au détenteur de
droit de chasse n’aurait lieu qu’en cas de forte perturbation de l’équilibre agro-sylvo-cynégétique autour de son territoire. En second lieu, Les Sages ont ajouté que les dispositions citées ne remettaient pas en cause le droit d’interdire au nom de ses convictions personnelles la pratique de la chasse sur son territoire. La responsabilité de financière du propriétaire ne serait engagée qu’en cas de dégâts causés par le grand gibier provenant de son fonds.
Dès lors, aucune atteinte manifestement disproportionnée à la liberté de conscience, ni aucune violation de l’article 2 de la Charte de l’environnement ne sont retenues par le Conseil Constitutionnel.
En plus de l’articulation entre droit de propriété, régulation et liberté de conscience, se pose également la question du droit de chasse et le partage de l’espace naturel.
II- Chasse, droit de propriété et partage de l’espace naturel
Une question écrite au gouvernement le 28 mai 2019 avait donné lui à une réponse le 5 novembre 2019 à la suite de revendications de certaines associations de citoyens d’un dimanche sans chasse. En effet, une pétition en ligne relative à l’arrêt de la chasse le dimanche avait réunit plus de 200 mille signatures. En France, la chasse est autorisée tous les jours de la semaine en période de chasse. A noter que dans d’autres pays d’Europe de l’ouest, il existe des jours sans chasse.
En pratique, l’activité de chasse est règlementée afin d’assurer la sécurité des riverains, promeneurs et chasseurs les jours de chasse. Néanmoins, demeure la question du partage de l’espace entre les usagers du milieu naturel notamment les dimanches et jours fériés. A ce titre, la loi du 30 juillet 2003 sur la chasse avait abrogé l’interdiction de la chasse à tir le mercredi et ce sur l’ensemble du territoire. Cette interdiction avait été instaurée par la loi du 26 juillet 2000.
L’atteinte au droit de propriété justifiée par l’intérêt général
Le Conseil Constitutionnel, dans sa décision n°2000- 434 du 20 juillet 2000, avait eu l’occasion de considérer que si l’interdiction de chasser un jour par semaine ne porte pas atteinte de manière grave au droit de propriété, en ajoutant néanmoins, que cette atteinte doit être justifiée par l’intérêt général.
A ce jour, les débats parlementaires n’auront pas permis de préciser les motifs d’intérêt général justifiant une telle interdiction, laquelle entrainerait le cas échéant, une atteinte contraire à la Constitution s’agissant du droit de propriété.
De plus, il est important de préciser qu’en vertu de l’article R.424-1 du Code de l’environnement, le Préfet à la faculté de limiter le nombre de jours de chasse dans son département dans le but d’améliorer la protection et de permettre le repeuplement du gibier. En outre, la pratique de la chasse est souvent interdite les jours de forte fréquentation sur les territoires ayant vocation à l’accueil du public et des promeneurs, et ce, en particulier dans les forêts publiques et plus particulièrement dans les forêts domaniales périurbaines. De surcroit, les cahiers des clauses pour la location de la chasse excluent de manière générale les week-ends.
La problématique d’instaurer un jour sans chasse avait notamment fait l’objet de débats lors de l’examen de la loi de création de l’office français de la biodiversité (OFB) en 2019. Pour les raisons sus-évoquées, les parlementaires n’ont finalement pas souhaité mettre en place un jour sans chasse. Toutefois, des mesures ont été proposées pour améliorer la sécurité lors de l’activité de chasse à savoir : la possibilité d’une rétention ou d’une suspension administrative du permis de chasse en cas de manquements graves à une règle de sécurité, une obligation de formation pour les accompagnateurs de jeunes chasseurs, ainsi qu’une obligation pour les chasseurs d’une remise à niveau décennale relative aux règles de sécurité.
Le partage de l’espace naturel, une question toujours objet de débats
Néanmoins, le débat a été relancé à l’occasion d’un accident de chasse en février 2022 dans le Cantal, entrainant le décès d’une jeune femme. La mise en place d’un jour sans chasse a notamment été fortement défendue par Yannick Jadot, candidat EELV lors de l’élection présidentielle. L’ancienne Ministre de la Transition écologique Barbara POMPILI avait pu estimer qu’il pouvait être nécessaire de réfléchir à la mise en place d’un jour sans chasse afin de mieux concilier les chasseurs et les usagers de la nature, mais que la question devait être abordée territoire par territoire.
En effet, Bérangère ABBA ancienne secrétaire d’Etat chargée de la biodiversité avait insisté sur le fait que cette problématique devait se débattre localement dans la mesure où les pratiques sont différentes selon les territoires et les types de chasse.
Dans le bilan des accidents de et incidents de chasse 2020-2021, la Ministre de la Transition écologique relève que « le non-respect de règles de sécurité est la première cause d’accidents de chasse ».
Des opérations de prévention et de contrôle sont notamment effectuées par des Agents de l’Office français de la biodiversité en partenariat avec la gendarmerie nationale.
CONDITIONS POUR CHASSER
Un chasseur doit détenir les documents suivants :
• Un permis de chasser en cours de validité ou une autorisation de chasser accompagné
• Une attestation d’assurance « Responsabilité civile chasse ».
INTERDICTIONS AUTOUR DE LA CHASSE
Il est formellement interdit de chasser :
- Dans un rayon de 150 mètres autour de toute habitation.
- Sur un terrain entouré d’une clôture empêchant complètement le passage du gibier et celui de l’homme.
- Quand des propriétaires ou des détenteurs du droit de chasse ont exprimé leur opposition que la chasse soit pratiquée sur leur terrain (pour une superficie de plus de 20 hectares)
- Quand des propriétaires sont opposés à la pratique de la chasse. Interdisant, y compris pour eux-mêmes, l’exercice de la chasse sur leurs terres.
- Dans les réserves de chasse et de faune sauvage, instituées par le Préfet, qui ont pour vocation de protéger les milieux naturels et sauvegarder les espèces menacées.
- Dans les réserves nationales de chasse et de faune sauvage, instituées par arrêté ministériel qui abritent des espèces menacées ou qui sont le support d’études scientifiques.