La revue de l’ACE n°158 – La loi climat et résilience : l’émergence d’une responsabilité civile environnementale des acteurs économiques

Par Edith BON, Avocat à la Cour, Co-présidente de la Commission Environnement de l’ACE

Plus que jamais, le dérèglement climatique est au cœur de l’actualité. Pourtant l’arsenal législatif, tout autant que les « injonctions » qui viennent du gouvernement, semblent largement insuffisantes face aux enjeux colossaux d’un des plus grands défis du 21ème siècle. Par ailleurs, la lutte contre le dérèglement climatique nécessite une mobilisation soutenue des populations, des secteurs privé et public mais également, si l’ont voulait être véritablement efficace, de l’ensemble des Etats. Même si le contexte international attire notre attention sur notre dépendance au pétrole et sur les conséquences que cela peut avoir sur les plans économique, diplomatique et climatique, la communication maladroite de notre gouvernement dans et hors du contexte de la pénurie d’énergie ne sont pas signe d’une approche réfléchie à long terme pour lutter contre le dérèglement climatique.

Par ailleurs, bien que certains aient déjà pris de bonnes habitudes, une partie des acteurs économiques ne parviennent pas encore à voir les changements nécessaires comme un facteur de valorisation et de performance de leur entreprise.

Pourtant, l’économie est de plus en plus mise au centre des actions possibles en matière environnementale notamment par le biais du droit. Si l’on a vu naître progressivement, une véritable responsabilité pénale de l’entreprise au niveau environnemental, on peut voir émerger, depuis plusieurs années, une responsabilité environnementale « civile » de l’entreprise.

Parmi les lois qui ont vu le jour ces dernières années en France (Loi Pacte1, Loi sur le devoir de vigilance…) la France a su faire preuve d’un certain « avant-gardisme », notamment par la promulgation de la Loi n° 2021-1104 du 22 août 20213, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « Loi Climat et résilience ». Cette loi, composée de 305 articles – ayant pour but de « permettre à la société et l’économie d’être mieux préparées au monde de demain et plus résilients face aux bouleversements climatiques à venir4» – fera l’objet de nos développements.

1. Une loi innovante et destinée au plus grand nombre

Tout d’abord, le texte de cette loi est issu d’une discussion citoyenne (150 citoyens tirés au sort, expérience inédite en France5), alliant démocratie délibérative et représentative6. Elle traduit une partie des 146 propositions de la Convention citoyenne pour le climat ayant pour ambition de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40% d’ici 2030 , ceci s’inscrivant dans la stratégie nationale bas carbone.

On peut souligner l’originalité de cette loi à plusieurs égards et en particulier dans son contenu. Cette loi concerne aussi bien le secteur privé que le secteur public et met en place des mesures sectorielles tout autant que transversales10.

En effet, cette loi se veut applicable au plus grand nombre. Elle est donc divisée en plusieurs titres « du quotidien » : consommer, produire et travailler, se déplacer, se loger et se nourrir11.

Au sein de ces différents titres, nous retrouvons des dispositions isolées comme l’interdiction des avions publicitaires ou la mise en place menus végétariens hebdomadaires12 à la cantine13 mais également des mesures bien plus ambitieuses, techniques et d’une certaine ampleur.

Le but étant entre autres de « verdir » l’économie, tous les marchés et commandes publics devront désormais prendre en compte des critères écologiques. Ce levier important (8% du PIB14) doit en effet être utilisé pour contribuer à la transition écologique. Par exemple, l’article L. 2141-7-1 du Code de la commande publique dispose désormais que l’acheteur peut exclure de la procédure de passation d’un marché, les personnes soumises au devoir de vigilance qui ne satisfont pas à leur obligation d’établir ledit plan de vigilance. Un pas en avant.

Cette loi a la volonté d’inclure réellement l’Etat dans l’accompagnement des entreprises pour lutter efficacement contre le dérèglement climatique.

Concernant les mesures transversales : nous noterons par exemple le Titre IV « Se déplacer16 » qui concerne l’interdiction des vols domestiques quand une alternative en train existe en moins de 2h30 et la compensation carbone obligatoire des vols intérieurs par les compagnies à partir de 202217. Puis un titre entier (Titre V) « Se loger », consacré à l’accélération de la rénovation écologique des bâtiments pour faire la chasse aux « passoires thermiques » à la diminution de la consommation d’énergie, en passant par la lutte contre l’artificialisation des sols.

Les mesures sectorielles, quant à elles, sont au nombre de deux et respectivement liées à la politique publique d’aménagement des territoires face à l’érosion du littoral et à la maîtrise de l’impact environnemental des sites miniers. Nous retiendrons donc le droit de préemption des communes et inter-communes pour l’adaptation des territoires au recul du trait des côtes et l’extension de la responsabilité de la société mère en cas de défaillance de sa filiale aux sites miniers.

2. Un rôle accru des acteurs économiques

Si l’État est partie prenante dans la lutte contre le dérèglement climatique de par cette loi, cette dernière vient aussi confirmer le rôle majeur du droit économique comme outil de la transition écologique.

Une information accrue du consommateur sur l’impact environnemental des produits est demandée aux entreprises par le biais d’un étiquetage environnemental. Après le « nutriscore » vient « l’écoscore » pour renseigner les consommateurs sur l’impact environnemental des produits. La publicité est désormais encadrée21 » et l’expression « neutre en carbone » va enfin être réglementée. Cette loi renforce également, à juste titre, les sanctions à l’encontre du « greenwashing » qui pourra être considéré comme une pratique commerciale trompeuse.

Notons également que les enjeux du dérèglement climatique vont pouvoir être pris en compte par le biais des institutions représentatives des salariés. En effet, les salariés pourront s’exprimer sur la stratégie environnementale de leur entreprise au sein de ces organes. L’accent est également mis sur la formation pour les métiers reliés à la transition écologique et un rôle est donné aux OPCO22 afin de relayer cette formation et d’accompagner les PME23.

Sur le renforcement des dispositifs existants, nous soulignerons aussi l’enrichissement de la déclaration de performance extra financière propres aux entreprises chargeurs24. Nous retiendrons également l’élargissement du devoir de vigilance aux risques de déforestation25.

Pour autant, et malgré le travail colossal qui a été effectué et qui reste à faire, cette loi n’est pas tout à fait à la hauteur des enjeux climatiques.

3.Vers l’avènement d’une dictature verte ?

Nous en sommes loin. Tout d’abord, la sobriété énergétique, même si elle paraît évidente, est quasi absente du texte. L’efficacité énergétique nécessite d’être prise en compte dès la conception ou dans le cadre d’une rénovation et fait l’objet d’un titre entier de la loi : on ne peut que s’en réjouir. Néanmoins, la rénovation coûte cher aux entreprises, à l’état et ainsi, directement ou indirectement aux particuliers.

La sobriété elle, consiste à ne pas ou à moins consommer et ne coûte généralement rien ou peu. Elle nécessite néanmoins de la pédagogie et de réelles prises de décisions, parfois impopulaires, mais qui ne sauraient faire l’objet d’une véritable contestation : baisser le radiateur et porter un col roulé, éteindre les

enseignes, limiter la publicité sur des écrans… Commencer déjà par là, serait un premier pas et serait d’une efficacité indéniable, ne serait que pour préparer les consciences à la suite.

Par ailleurs, un des problèmes majeurs du sujet est la mesure d’impact. C’est d’autant plus vrai pour l’efficacité énergétique que pour la sobriété plus facile à mesurer. L’énergie la plus propre reste celle que l’on ne consomme pas. Mais comment va-t-on juger de l’efficacité ? Va-t-on faire des référés expertise environnementaux ? Ou, va-t-on simplement prendre en compte la bonne foi dans les allégations environnementales ?

3. Une approche dynamique

En tout état de cause, si les sanctions sont encore incertaines, nous allons inéluctablement vers un accroissement de la responsabilité civile des acteurs économiques en matière environnementale, en particulier dans le secteur privé. C’est un signe positif.

De surcroît, il faut également souligner que cette loi met fin du débat stérile sur le dérèglement climatique. Elle est la reconnaissance pure et simple, de l’impact avéré de l’activité humaine sur le dérèglement climatique. Si cela paraît évident à certains aujourd’hui, nous en sommes bien loin au niveau international. Nous pouvons tout de même nous en féliciter.

Il est bien entendu un peu hâtif de se réjouir de l’engouement actuel du gouvernement pour la sobriété et l’efficacité énergétiques au regard du contexte actuel. Cependant, nous pourrions tout de même espérer une prise de conscience sur la réalité et l’urgence de la lutte contre le dérèglement climatique. Espérons donc que malgré les lacunes – ou l’absence – d’une stratégie nationale cohérente en la matière, cela aura au moins pour effet de préparer les consommateurs comme les entreprises à des changements profonds et à long terme.

Ainsi, même si cette loi n’est pas suffisamment audacieuse pour aller à l’encontre de l’immobilisme dont font preuve nos dirigeants, il ne faut pas négliger ses apports multiples, techniques et même symboliques sur des aspects importants du droit français.

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