Par Olivier de MAISON ROUGE
Avocat (Lex-Squared) – Docteur en droit Rédacteur en chef
- Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin II » ;
- Loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.
Existe-t-il une exception française en matière de vulnérabilité à la fraude et la corruption ? C’est en effet ce que semble indiquer certaines organisations internationales qui pointent du doigt la France et ses entreprises qui seraient plus touchées que ses homologues européens.
Même si le législateur français s’évertuer depuis une vingtaine d’années à lutter contre l’opacité et les dérives en entreprise, les dispositifs légaux demeuraient jusqu’ici nettement perfectibles.
Avec les lois du 30 juin 2000 et du 13 novembre 2007 incriminant la corruption publique transnationale, et la loi du 4 juillet 2005 incriminant la corruption privée, le législateur français avait alourdi les pénalités et amélioré le sort des lanceurs d’alerte. Néanmoins, ces dispositions manquaient d’efficacité et certains dispositifs méritaient d’être précisés.
Deux loi d’envergure, récemment adoptées, poursuivent l’objectif de responsabiliser le monde des affaires. D’abord la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin II » vient largement renforcer l’arsenal législatif français, notamment par la création d’obligations et sanctions nouvelles.
Ensuite, la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre soumet les entreprises à un devoir de vigilance accru quant aux pratiques de leurs partenaires économiques et à la conduite des affaires dans leurs filiales françaises ou étrangères.
I – LES MOYENS DE PREVENTION DES RISQUES EN ENTREPRISE
I. 1. Mesures de vigilance et de prévention
Le législateur a entendu responsabiliser les affaires en amenant les entreprises à entretenir une certaine vigilance non seulement quant à leurs pratiques mais également quant à celles de leurs partenaires commerciaux dans le but de prévenir les comportements tombant sous le coup de loi.
Ainsi, les présidents, directeurs généraux, gérants, membres de directoires de sociétés publiques ou privées employant au moins 500 salariés (ou appartenant à un groupe de sociétés dont la société mère a son siège social en France et emploie plus de 500 salariés) et dont le chiffre d’affaires dépasse les 100 millions d’euros, doivent mettre en place en leur sein différents dispositifs, savoir :
- un code de conduite, intégré au règlement intérieur, définissant et illustrant les différents types de comportements à proscrire comme étant susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d’influence ;
- un dispositif d’alerte interne destiné à permettre le recueil des signalements émanant d’employés et relatifs à l’existence de conduites ou de situations contraires au code de conduite de la société ;
- une cartographie des risques prenant la forme d’une documentation régulièrement actualisée et destinée à identifier, analyser et hiérarchiser les risques d’exposition de la société à des sollicitations externes aux fins de corruption, en fonction notamment des secteurs d’activités et des zones géographiques dans lesquels la société exerce son activité ;
- des procédures d’évaluation de la situation des clients, fournisseurs de premier rang et intermédiaires au regard de la cartographie des risques ;
- des procédures de contrôles comptables, internes ou externes, destinées à s’assurer que les livres, registres et comptes ne sont pas utilisés pour masquer des faits de corruption ou de trafic d’influence ;
- un dispositif de formation destiné aux cadres et aux personnels les plus exposés aux risques de corruption et de trafic d’influence ;
- un régime disciplinaire permettant de sanctionner les salariés de la société en cas de violation du code de conduite de la société ;
- un dispositif de contrôle et d’évaluation interne des mesures mises en œuvre.
Une obligation de vigilance accrue est mise à la charge des sociétés mères à la tête de groupes employant plus de 5.000 salariés (ou plus de 10.000 salariés dans le cas de groupes dont les filiales ont leur siège à l’étranger) qui doivent adopter un plan de vigilance comportant, en sus :
- des actions adaptées d’atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves ;
- un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements relatifs à l’existence ou à la réalisation des risques ;
- un dispositif de suivi des mesures mises en œuvre et d’évaluation.
La loi du 27 mars 2017 n° 2017-399 met à la charge de la société mère un devoir de vigilance quant aux pratiques au sein de son entreprise mais aussi au sein de ses filiales et au sein de ses fournisseurs et sous-traitants, élargissant ainsi considérablement le spectre d’action de la disposition.
I. 2. Création de l’Agence française anticorruption (AFA)
La mesure phare de la loi Sapin II consiste en la mise en place d’une institution nouvelle, l’Agence française anticorruption, chargée de lutter contre les faits de corruption et d’atteintes à la probité et se substituant au Service Central de Prévention de la Corruption (SCPC) jusqu’alors en place.
La loi Sapin II définit l’Agence Française anti-corruption en son article 1er :
« L’Agence française anticorruption est un service à compétence nationale, placé auprès du ministre de la justice et du ministre chargé du budget, ayant pour mission d’aider les autorités compétentes et les personnes qui y sont confrontées à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme. »
Elle assure dans un second temps une mission de contrôle et vérifie la mise en place et l’efficacité, au sein de ces entreprises des dispositifs prescrits. Afin de garantir toute l’indépendance que nécessite sa mission, l’Agence française anticorruption n’est soumise aucune autre autorité administrative ou gouvernementale.
II – SANCTION DU DEFAUT DE VIGILANCE ET DE LUTTE CONTRE LA CORRUPTION ET LES MANQUEMENTS A LA PROBITE
II. 1. Manquements aux obligations destinées à lutter contre la corruption
Dans le cadre de son pouvoir de contrôle, l’Agence française anticorruption dispose d’un pouvoir d’investigation lui permettant de se faire communiquer par les représentants de l’entité tout document professionnel ou information utile, procéder sur place à toute vérification de l’exactitude des informations fournies, ou encore entendre toute personne dont le concours lui parait nécessaire. En cas de manquement avéré, l’Agence dispose d’un pouvoir de sanction et peut :
- adresser un avertissement aux représentants de la société ;
- saisir la commission des sanctions en vue d’astreindre la société à la mise en conformité (pouvoir prévu aux l’article 131-39-2 du Code pénal). Ce contrôle est également mis en place à la suite d’une condamnation pénale des personnes morales comme le disposent les articles 433-26 et 434-48 du Code Pénal ;
- saisir la commission des sanctions afin que soit infligées des sanctions pécuniaires.
Au-delà de la condamnation de la personne morale, les personnes physiques représentants d’une personne morale condamnée à se mettre en conformité à la loi encourent une peine de deux ans d’emprisonnement et de 50.000 € d’amende. De plus, personnes morales comme personnes physiques encourent au titre d’un délit pour lequel elles sont condamnées à des peines complémentaires d’affichage ou de diffusion des décisions prononcées.
Chaque contrôle donne lieu à la rédaction d’un rapport retraçant la qualité des procédures de prévention et de détection de la corruption mis en place dans la société et les éventuelles recommandations de l’Agence en vue de l’amélioration des dispositifs. Ce rapport est ensuite remis à l’autorité à l’origine de la demande de contrôle ainsi qu’aux représentants de la société contrôlée.
II. 2. Manquements au devoir de vigilance
L’article 1 de la loi du 27 mars 2017 prévoit les sanctions en cas de manquements à l’obligation de vigilance. Ces sanctions sont retranscrites au paragraphe II de l’article L. 225-102-4 du Code de commerce qui prévoit qu’une société méconnaissant les obligations lui incombant en vertu du devoir de vigilance, et notamment l’élaboration du plan, peut être enjointe de les respecter, sous astreinte, après mise en demeure.
Le projet de loi initial prévoyait la condamnation de la société à une amende civile d’un montant maximal de 10 millions d’euros mais cette disposition a été déclarée non-conforme à la Constitution par décision du Conseil constitutionnel n° 2017-750 DC du 23 mars 2017.
II. 3. La nouvelle procédure de transaction pénale
Autre innovation majeure apportée pas la loi Sapin II : la possibilité de recourir à la transaction pénale. D’inspiration nord américaine, cette transaction est reprise à l’article 22 de la loi, lequel ajoute au livre Ier du Code pénal un article 41-1-2.
Désormais, lorsque l’action publique n’a pas encore été mise en mouvement, le procureur de la République a la possibilité de proposer à une personne morale mise en cause pour des faits de corruption ou de manquement divers à la probité, de conclure une convention judiciaire d’intérêt public imposant la versement d’une amende au profit du Trésor public (fixée « de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés et limitée à 30 % du chiffre d’affaires).