Veille de jurisprudences encadrant le métier d’avocat – Revue ACE n°157

Les avocats sont habilités à réaliser des prestations de conseil en ressources humaines (CE 26 avril 2022 N°453192)

Les avocats sont en droit de réaliser des prestations de conseil en ressources humaines pour les TPE-PME co-financées par l’Etat, c’est ce qu’a jugé le Conseil d’Etat le 26 avril 2022 à la suite d’un re- cours pour excès de pouvoir entamé par le Conseil national des barreaux à l’encontre du rejet de son recours gracieux portant sur l’instruction n° DGEFP/ MADEC/2020/90 du 4 juin 2020 relative à la prestation « conseil en ressource humaine » pour les Très Petites Entreprises (TPE) et les Petites et Moyennes Entreprises (PME).

Dans cette instruction, la Ministre du travail défi- nit les modalités d’encadrement de la prestation de conseil en ressources humaines pour les TPE-PME par le biais d’un prestataire co-financé par l’Etat. Cette instruction prévoit un contrôle de la qualité du prestataire par la DREETS et énumère une liste exhaustive de corps de métier qui ne peuvent pas être prestataire et cette liste exclut notamment « les cabinets d’avocat ». Le Conseil national des barreaux va donc réaliser un recours gracieux auprès de la Ministre du travail (qui va le rejeter le 13 août 2020) puis va saisir le juge administratif par le biais d’un recours pour excès de pouvoir.

Le Conseil d’Etat fait droit à ce recours en énonçant que « le Conseil national des barreaux est fondé à demander l’annulation des mots : « et les cabinets d’avocats » (Considérant 6) de l’instruction litigieuse. La haute juridiction avance comme argument le fait que plusieurs de ces thématiques comportent une dimension juridique et que les connaissances sur l’environnement institutionnel et l’expertise en matière de droit du travail sont des critères de contrôle de la qualité des prestataires et surtout que de nombreux cabinets d’avocats sont expérimentés en matière de conseil et de gestion des ressources humaines en entreprise (considérant 5).

Sur le secret professionnel de l’avocat

Cour de cassation, Chambre criminelle, Arrêt no 393 du 20 avril 2022, Pourvoi no 20-87.248
En l’espèce, En 2019 plusieurs JLD (Paris/Créteil/ bordeaux) ont été saisi par requête du rapporteur général de l’autorité de la concurrence afin de procéder à des visites pour obtenir des preuves de pratiques anticoncurrentielles à l’encontre de plusieurs sociétés. Les JLD vont émettre des ordonnances qui vont conduire à des visites domiciliaires et des opérations de saisies documentaires et vont donner lieu à des procès-verbaux par l’autorité de la concurrence.

Les sociétés vont contester ces ordonnances en formant des recours ou elles demandent l’annulation des opérations de visite et de saisie ainsi que la restitution de certains documents (couvert par le secret professionnel), devant le premier président de la Cour d’Appel de Paris qui va les débouter. Ces dernières vont donc former un pourvoi en cassation.

Le premier président de la cour d’appel de Paris rejette leurs demandes au motif que « les correspondances entre un avocat et son client n’étaient protégées par le secret professionnel, en matière d’atteinte à l’ordre public économique, qu’à la condition d’avoir été émises ou adressées par un avocat indépendant de l’entreprise et pour l’exercice des droits de la défense « en rapport avec l’objet même de l’enquête déterminée d’après les indices d’infraction au droit de la concurrence » et que les courriers identifiés par une société ne correspondait pas à un échange entre avocat et client concernant sa défense dans l’enquête.

La Cour de cassation va rejeter successivement les moyens des sociétés :
– Pour une société : elle énonce que les agents de l’autorité de la concurrence peuvent rechercher des preuves de pratiques anticoncurrentielles dans tous les documents et que c’est à la société de dé- signer les documents secrets professionnel qu’elle entend opposer et que les dossiers opposés comme « secret professionnel » ne faisait pas référence à des échanges avec un avocat.

– Pour une autre société : la société n’a pas prouvé que les documents entrent dans la protection du secret de l’échange avocat-client en lien avec l’enquête

– Pour une troisième société : la plupart des documents saisis ne concernent pas la matière du droit de la concurrence ou ne se rapportent pas à l’exercice des droits de la défense relativement à l’objet de l’enquête

La cour va quand même énoncer que « c’est à tort que le premier président retient que seuls sont insaisissables les documents qui relèvent de l’exercice des droits de la défense dans un dossier de concurrence, alors que c’est dans toutes les procédures où un avocat assure la défense de son client qu’est protégé le secret des correspondances échangées entre eux et qui y sont liées. » cependant elle ajoute que ce n’est pas un motif de censure de l’ordonnance.

Conclusion : en matière d’atteinte à l’ordre public économique, pour que le secret professionnel soit opposable à l’autorité de la concurrence, il faut :

– Des documents adressés/émis par un avocat indépendant,

– Pour l’exercice des droits de la défense,

– En rapport avec l’objet de l’enquête

Cour de cassation, Chambre criminelle, Arrêt no 50 du 18 janvier 2022, Pourvoi no 21-83.728 (inédit)

En l’espèce, une salariée porte plainte car son employeur a reçu un courrier désobligeant envoyé de- puis sa messagerie alors qu’elle soutient que ce n’est pas elle. Après enquête, les policiers suspectent une avocate qui aurait envoyé les mails par son téléphone portable. Le juge d’instruction demande son placement en GAV et pendant la fouille de sécurité, les inspecteurs trouvent le portable de l’avocate. Puis 2 jours plus tard, sur demande des enquêteurs, l’avocate a dû déposer son ordinateur portable 2 jours plus tard (il avait une utilité professionnelle). Cependant, ni le téléphone, ni l’ordinateur n’ont été placés sous scellés. Le téléphone a ensuite fait l’objet d’une perquisition par le juge d’instruction, en présence du bâtonnier de l’ordre des avocats, puis les deux appareils ont été restitués.

L’avocate dépose une requête en nullité des pièces de procédure. Le litige s’élève devant la Cour de cassation une première fois (Crim., 2 septembre 2020, no 19-87.356) qui renvoi l’affaire à la chambre d’instruction de la Cour d’Appel de Paris qui déboute l’avocate au motif que la procédure est respectée. Cette dernière forme donc un deuxième pourvoi en cassation.

L’argumentaire de l’avocate porte sur le fait que le téléphone et l’ordinateur n’ont pas directement été placés sous scellés et donc qu’il y avait une violation directe du secret professionnel et que, de plus, les enquêteurs avaient exploité le téléphone dès sa saisie hors présence du bâtonnier ou de son délégué. La Cour de cassation va d’abord énoncer un moyen de principe très pragmatique qui dit que « Il se déduit de ces textes que si les formes prévues pour les perquisitions dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile ne peuvent recevoir application pour la fouille des effets personnels, assimilable à une perquisition, d’un avocat, effectuée par un officier de police judiciaire agissant sur commission rogatoire, celui-ci doit, en cas de saisie subséquente d’objets, documents ou données informatiques, afin que soit assuré le respect du secret professionnel, en garantir la connaissance et la consultation exclusives par le magistrat instructeur et le bâtonnier ou son délégué. En conséquence, l’omission de placer les biens sous scellés dès leur saisie ne préserve pas le secret professionnel de l’avocat et fait nécessairement grief aux intérêts de celui-ci. »

Puis elle va casser l’arrêt de la chambre d’instruction de la cour d’appel car cette dernière s’est contredite en disant en même temps qu’un procès-verbal faisait état de l’exploitation en cours du téléphone et qu’aucune investigation sur cet appareil n’avait eu lieu puis elle va renvoyer de nouveau l’affaire. Conclusion : si les enquêteurs réquisitionnent des objets personnels d’un avocat en lien avec le travail, il faut directement les mettre sous scellés car sinon il y a une atteinte nécessaire au secret professionnel.

QPC. La saisie spéciale de sommes d’argent sur le compte bancaire d’un avocat n’est pas inconstitutionnelle

C’est ce qu’a jugé le Conseil Constitutionnel dans sa décision n°2022-1002 QPC du 8 juillet 2022 qui visait l’article 706-154 du code de procédure pénale issu de sa rédaction résultant de la loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013 « relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière ».

Le Conseil Constitutionnel a donc été saisi, par le biais d’une QPC, pour savoir si cet article était conforme à la constitution. En effet, La société requérante estimait qu’afin de contester une saisie sur son compte bancaire, l’avocat serait contraint de divulguer des informations relevant du secret professionnel et donc que cet article méconnaitrait les droits de la défense et le droit au respect de la vie privée. Le Conseil va donc fixer la délimitation de cette QPC en estimant qu’elle porte sur les mots « qui peuvent la déférer à la chambre de l’instruction » (4) et va, finalement, estimer que Les mots « qui peuvent la déférer à la chambre de l’instruction » figurant à la première phrase du deuxième alinéa de l’article 706- 154 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, sont conformes à la Constitution.

Pour ce faire, le Conseil Constitutionnel va d’abord préciser que les dispositions prévues par ce texte ont pour seul objet de prévoir un recours contre la saisie d’une somme d’argent dont l’exécution n’implique en elle-même ni recherche de preuves, ni investigations, ni divulgation d’informations se rapportant à cette somme (8). Puis il rajoute que la saisie est justifiée par l’existence d’indices laissant présumer une infraction et que sa contestation n’oblige pas l’avocat à révéler des informations relevant du secret professionnel (9) et il souligne également que si, le cas échéant, l’avocat est obligé, pour exercer ses droits de la défense, de révéler des informations couvertes par le secret pour contester la saisie d’une somme « il peut le faire sous la condition que ces révélations lui soient imposées par les strictes exigences de sa propre défense devant une juridiction » (10). En vertu de ces constatations, le Conseil juge que les dispositions contestées ne méconnaissent pas les droits de la défense (11) et que ces dispositions ne méconnaissent pas non plus le droit au respect de la vie privée (12).

Sur le secret des correspondances

Cour de cassation, Deuxième Chambre civile, Arrêt no 10110 du 3 février 2022, Pourvoi no 19-25.906 inédit)

Sur la communication de fichiers ordonnée par mesure d’instruction, certains fichiers bénéficient d’une double protection.

« Que par ailleurs trois fichiers correspondent à des échanges entre les avocats chargés du projet concer- nant les flux financiers et la rédaction de la docu- mentation juridique et sont frappés en conséquence de la double protection liée au secret des affaires et au secret des correspondances »

Sur les honoraires

La précision du rôle du juge de l’honoraire en présence d’une clause de dessaisissement au sein d’une convention d’honoraire de résultat d’avocat (Cassation 2eme civile, 16 juin 2022 N°2°-21.473).

La cour vient, par le biais de cet arrêt, d’étoffer sa ju- risprudence en matière de clause de dessaisissement prévoyant des honoraires de résultat en précisant « que si l’avocat ne peut réclamer un honoraire de résultat que lorsqu’il a été mis fin à l’instance par un acte ou une décision juridictionnelle irrévocable, une convention d’honoraires peut prévoir les moda- lités de sa rémunération en cas de dessaisissement avant l’obtention d’une telle décision. Il appartient alors au juge de l’honoraire de rechercher si l’avocat a contribué au résultat obtenu et de réduire cet honoraire s’il présente un caractère exagéré au regard du résultat obtenu ou du service rendu. » Le juge de l’honoraire devra donc réaliser une appréciation, in concreto, de la situation afin de savoir si le montant de l’honoraire n’est pas exagéré par rapport aux moyens mis en œuvre par l’avocat. Dans les faits, cela n’a pas été le cas.

En l’espèce, Un client et un avocat ont conclu une convention d’honoraire prévoyant un honoraire de résultat notamment en cas de dessaisissement. L’avocat était chargé de représenter les intérêts en justice du client afin de solliciter une indemnisation d’un préjudice corporel suite à une faute médicale cependant il est débouté en première instance. Le client va donc confier le dossier à un autre avocat et ce dernier va interjeter appel et emporter la conviction des juges en faisant condamner le défendeur au versement d’une indemnisation pour la réparation du préjudice corporel.

L’avocat écarté du dossier va d’abord saisir le bâton- nier de son ordre d’une demande de fixation d’ho- noraires puis le premier président de la cour d’ap- pel de Toulouse qui va rendre une ordonnance le 2 septembre 2020 obligeant le client à payer 70 815,33 euros TTC à l’avocat. Le client va former un pourvoi en cassation car ce dernier conteste l’effectivité de la contribution de l’avocat sur le résultat obtenu par son confrère.

En effet, le client relève que l’avocat avait des réserves sur les chances de succès du procès et que le tribunal a tranché sur l’absence de faute en vertu de sa faible argumentation alors que le deuxième avocat avait allégué un nouveau moyen que va suivre la Cour d’Appel et qui va conduire, cette dernière, à infirmer le jugement.

La Cour de cassation va donc dans le septième moyen (celui cité au-dessus) affiner sa jurisprudence en précisant que le juge doit se livrer à un examen de la situation pour savoir si l’avocat a eu (ou non) une influence déterminante sur le résultat du procès puis va casser l’ordonnance du premier président de la Cour d’Appel de Toulouse car ce dernier n’avait pas recherché si le premier avocat avait contribué au résultat obtenu.

Il faut remarquer que la haute chambre souligne bien que « l’honoraire de résultat convenu entre les parties à hauteur de 10 % HT des sommes effectivement perçues, réduit de moitié, ne présente pas de caractère exagéré au regard du service rendu. »(Moyen 10).

Nullité d’un contrat prévoyant la rémunération d’un expert-comptable d’après le résultat financier obtenu par le client

Solution : La Cour de cassation a Cassé un arrêt de la Cour d’Appel de Paris qui avait confirmé la validité d’un contrat de louage-ouvrage d’un expert-comptable avec une société et qui avait comme point litigieux le fait que la rémunération de l’expert-comptable portait uniquement sur des honoraires de résultat.

PT 4. « Les honoraires de l’expert-comptable doivent constituer la juste rémunération du travail fourni comme du service rendu et ne peuvent en aucun cas être calculés d’après les résultats financiers obtenus par les clients »

PT 5 « Il en résulte qu’un contrat conclu entre un expert-comptable et son client, en ce qu’il fixe les honoraires dus en fonction de tels résultats, est illicite et, partant, nul, de sorte que le montant des honoraires dus à l’expert-comptable doit être déterminé en fonction du travail fourni et du service rendu » 

Observations : Cette décision qui sanctionne un manquement déontologique de la profession d’expert-comptable possède une portée beaucoup plus profonde. Force est de constater que par le biais de cet arrêt, la Cour de cassation va consolider sa jurisprudence antérieurement façonnée qui touche de manière substantielle au droit des contrats en Général.

Plus d’articles