Actualité – Vie des commissions – La fiducie… mais à quoi ça sert ? – Revue ACE n°156

Didier POULMAIRE

Président de la Commission Fiducie de l’ACE

Une nouvelle commission « Fiducie » a vu le jour au sein de l’ACE, pour nous présenter cette opération juridique et financière, nous laissons la parole à on président Didier Poulmaire.

Je ne compte plus le nombre de fois où l’on m’a posé cette question depuis que j’ai eu cette drôle d’idée de cesser mes activités de conseil pour devenir avocat fiduciaire de plein exercice…c’était il y a près de 10 ans maintenant.

Et c’est bien normal de se poser cette question, car vous en avez sans doute tous entendu parler, soit à l’occasion d’un dossier, soit en étant confronté au trust anglo-saxon ou à des mécanismes analogues en Belgique, au Luxembourg ou en Suisse. Rarement ce mot est cependant associé à une technique juridique de droit français qui pourrait avoir une utilité pour les avocats et pour les acteurs de la vie économique dans notre pays. Or, c’est bien le cas de la fiducie de droit français, celle qui fait l’objet des articles 2011 et suivants du Code civil.

Ce n’est pas si fréquent qu’une technique juridique nouvelle et un peu disruptive de la sacro-sainte « propriété » de notre Code napoléonien, soit introduite dans notre droit. Surtout lorsque cette technique est inspirée d’un concept anglo-saxon (le trust) qui faisait, avouons-le, un peu peur à notre législateur au moment de sa transposition en droit français en 2007. 

La technique est pourtant relativement simple : elle permet à toute personne (physique ou morale) possédant des droits ou des biens (le constituant de la fiducie) de les transférer à un fiduciaire (avocat, banque ou compagnie d’assurance) en vue de lui permettre d’accomplir une mission au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires. Le bénéficiaire étant le plus souvent le constituant de la fiducie lui-même, sauf dans la fiducie sûreté que nous évoquerons plus loin. Avec une interdiction stricte de se servir de la fiducie comme d’une libéralité, c’est-à-dire d’utiliser la fiducie en vue de permettre à une personne de donner un bien à une autre. 

En résumé, l’intérêt de la fiducie pour les avocats est triple :

1/ Elle permet, par sa flexibilité et son efficacité juridique, de résoudre un grand nombre de problèmes dans les domaines du droit les plus variés (je me permets de vous renvoyer ici à l’ouvrage « La fiducie pour les nuls » paru en janvier de cette année et que j’ai eu le grand plaisir de co-écrire avec notre consœur Florence Estienny);

2/ Elle permet à l’avocat de proposer à ses clients des schémas de fiducie gestion et/ou de fiducie sûreté sans pour autant exercer le rôle de fiduciaire (lequel statut empêche l’avocat de continuer à jouer le rôle de Conseil pour son client) mais en étant désigné « tiers protecteur » de la fiducie dont la gestion est confiée à un avocat fiduciaire spécialisé;

3/ Elle offre enfin à ceux des confrères qui le souhaitent, et qui mesurent bien toutes les conséquences de ce choix (comme le présent article va s’efforcer de vous le montrer) d’exercer l’activité de fiduciaire.

S’engager dans l’activité d’avocat fiduciaire reste en effet un sacerdoce. Les autorités, qui se méfiaient de ce dérivé du trust, ont strictement encadré l’activité d’un très grand nombre de protections, qui compliquent quand même un peu l’exercice de cette activité au quotidien.

Quelles sont les conditions d’accès à l’activité fiduciaire pour les avocats?

La première est une déclaration préalable qui doit être effectuée à l’Ordre dont l’avocat dépend, en joignant à sa déclaration une attestation d’assurance spéciale tant pour garantir sa responsabilité civile professionnelle de fiduciaire que pour garantir la restitution des actifs transférés en fiducie. Il faut donc mettre en place un double niveau d’assurance, comprenant cette garantie de restitution, dite « au profit de qui il appartiendra », qui s’élève à 20% de la valeur des actifs transférés en fiducie (5% s’il s’agit d’un bien immobilier). Ces valeurs doivent être appréciées à la date de leur transfert en fiducie. L’avocat fiduciaire doit par ailleurs justifier annuellement auprès de l’Ordre du maintien de ses obligations d’assurance.

Le fiduciaire reste bien entendu soumis au respect des règles propres à la déontologie des avocats, avec un accent particulier sur le devoir d’indépendance par rapport au constituant et au bénéficiaire de la fiducie. Le fiduciaire reste soumis au secret professionnel applicable aux avocats et il a l’obligation formelle de vérifier l’identité des parties contractantes avant de conclure tout contrat de fiducie. Il doit en outre, à tout moment dans ses relations avec les tiers, faire clairement apparaître qu’il agit bien es qualité de fiduciaire.

L’avocat fiduciaire doit tenir une comptabilité dédiée aux activités fiduciaires et doit avoir suivi une formation spécifique dans les matières liées à l’exécution de ses missions fiduciaires, de manière à satisfaire l’obligation de compétence qui s’applique à lui dans ce rôle.

Sur un plan plus matériel, l’avocat fiduciaire doit organiser l’activité au sein de sa structure de manière à séparer celle-ci de toutes ses activités non fiduciaires. Il faut que les fichiers informatiques de l’activité fiduciaire se trouvent sur un support autonome. Les archives doivent également être séparées de l’ensemble des autres archives du cabinet. L’avocat doit disposer d’un papier en-tête spécifique pour chacune des fiducies qu’il gère. 

Quelles sont les missions d’un fiduciaire ?

On peut distinguer deux types de mission fiduciaire : celles qui portent sur la gestion des actifs transférés au fiduciaire (on parle de fiducie gestion) et celles qui permettent à un prêteur d’argent (le bénéficiaire de la fiducie) d’obtenir de son emprunteur (le constituant de la fiducie) le plus haut niveau de garantie par le transfert en fiducie du ou des actifs garantissant le complet remboursement de l’emprunt par le constituant/emprunteur (on parle alors de fiducie sûreté). La fiducie sûreté est présentée par la doctrine comme « la reine des sûretés ».

L’originalité de la fiducie est sans aucun doute l’existence de ce « patrimoine fiduciaire » auquel la signature du contrat de fiducie donne automatiquement naissance. Ce concept est puissant car il n’a pas d’équivalent dans notre droit. La doctrine a longtemps débattu de la nature juridique réelle de ce patrimoine, dont la qualification de « patrimoine d’affectation » semble être la plus pertinente. Les actifs transférés en fiducie sortent en effet du patrimoine du constituant pour aller se loger dans celui de la fiducie, telle que gérée par le fiduciaire qui en devient le propriétaire temporaire, le temps d’exercer sa mission fiduciaire. Ce patrimoine fiduciaire ne se confond cependant pas avec celui du fiduciaire puisque les actifs qu’il contient ont vocation à être restitués, de plein droit, au constituant à la fin du contrat de fiducie. 

Bien que la fiducie ne dispose pas de la personnalité morale, elle se rapproche par de nombreux aspects d’une véritable entreprise, avec son autonomie patrimoniale, son compte bancaire dédié et l’établissement par un expert-comptable de sa comptabilité.

Sur le plan administratif, le contrat de fiducie doit être impérativement enregistré au Trésor Public dans les 30 jours de sa signature, faute de quoi il est nul et non avenu. Chaque fiducie se voit attribuée un numéro de SIRET et un numéro d’identification en matière de TVA. S’agissant de l’imposition du résultat fiduciaire, le principe retenu par le législateur a été celui de la transparence fiscale, le résultat de la fiducie étant imposé entre les mains du constituant comme si elle n’existait pas. 

La fiducie se caractérise par sa très grande flexibilité. Il est possible de mixer des missions de gestion et de sûreté. De transférer en fiducie tout type de droits et/ou tout type de biens, présents ou futurs à la condition qu’ils soient déterminables. Chose rare, on peut mixer dans un même patrimoine fiduciaire des biens mobiliers et immobiliers, et les donner ainsi en garantie à un prêteur (ce que l’hypothèque ne permet pas). On peut également « recharger » la fiducie, en offrant au constituant la possibilité de réutiliser à titre de garantie le même patrimoine fiduciaire pour procéder à de nouveaux emprunts, en fonction bien entendu de la valeur des actifs logés dans ce dernier et en accord avec les premiers bénéficiaires de la fiducie. 

Le transfert de propriété en fiducie est effectué par la signature d’un simple contrat dont l’article 2018 du code civil nous dit finalement peu de choses. Il faut en effet que ce contrat contienne a minima (i) le descriptif des biens droits ou sûretés transférés, (ii) la durée du transfert qui ne peut excéder 99 ans, (iii) l’identité des parties (constituant, fiduciaire et bénéficiaire), (iv) la mission du fiduciaire et l’étendue de ses pouvoirs d’administration et de disposition. Le contrat devra également prévoir les modalités de reporting du fiduciaire au(x) constituant(s)/bénéficiaire(s), voire au(x) tiers protecteur(s) que le constituant peut désigner soit au moment de la signature du contrat, soit ultérieurement.

La fiducie est donc un champ d’exploration très large pour l’imagination fertile des avocats, en rappelant que la fiducie peut concerner tous les domaines du droit. Si certaines sociétés de gestion ont pris une avance réelle en matière de fiducie sûreté, les avocats vont, à n’en pas douter, s’approprier cette technique dans les prochaines années et faciliter l’émergence de schémas fiduciaires innovants. Nous sommes au début de l’ère fiduciaire à laquelle je crois profondément et pour l’avènement de laquelle je travaille avec mon équipe au quotidien. 

La création de la Commission Fiducie au sein de l’ACE est une superbe opportunité de procéder à une évangélisation de cette technique juridique par la pratique. C’est aussi le meilleur moyen de rendre la fiducie la plus opérationnelle possible pour tous les Confrères intéressés. La fiducie doit être vue comme un outil privilégié de l’intelligence collective et de l’inter-professionnalité, parce qu’elle permet de réunir des spécialistes du droit dans des domaines très variés (du droit de la famille au droit des sociétés, en passant par la propriété intellectuelle, les procédures collectives, le droit financier, le droit de l’environnement, le droit de l’art, du cinéma ou du sport, ou encore le droit public), mais également des notaires, des experts-comptables, des banquiers, des administrateurs judiciaires, etc.

La Commission Fiducie de l’ACE se veut un lieu de rencontre, d’échanges et de partage de cette pratique et de ses enjeux. Vos pratiques et expertises respectives sont autant de champs d’exploration possibles autour de fiducies futures. Tout avocat peut être désigné tiers protecteur par son client dans une fiducie, permettant ainsi de contractualiser/pérenniser le rôle de celui-ci auprès de ses clients, mais également de générer une nouvelle source de rémunération à cette occasion. Les avocats (et pas uniquement ceux qui envisageraient d’exercer l’activité de fiduciaire) ont à mon sens tout intérêt à bien mesurer le potentiel de cette technique innovante, de trouver toutes les applications qui apporteront un service et une valeur ajoutée à leurs clients. C’est le sens de ma démarche et la raison d’être de cette Commission Fiducie.

Au plaisir de vous y retrouver.

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