Dossier spécial Legal Techs – Le point sur la Legaltech et les avocats en 2022 – Revue ACE n°156

Article réalisé à plusieurs mains par la Rédaction du Village de la Justice – Village-justice.com

Alors que les legaltech se développent à la vitesse grand V depuis 10 ans, certains  avocats ont décidé de se lancer à leur tour dans l’aventure. Revêtant la plupart du temps la casquette de « startupers », ils souhaitent ainsi reprendre possession du marché, s’installent dans leur rôle d’entrepreneur, et bousculent l’image classique de l’avocat.  Et ça c’est très positif !

Mais en 2022 les choses semblent se stabiliser, des éléments du marché juridique se sont consolidés, des leçons ont été tirées grâce à l’expérience de tous… Il est temps de prendre un  peu de recul pour penser « long terme ».

Où en est la Legaltech en France ?

Malgré la crise 2020-2021, la Legaltech a augmenté son potentiel, comme on peut le voir avec les belles levées de fonds de Leeway en 2021 (gestion de contrats pour les Directions juridiques) de 4,2 million d’euros, de Data Legal Drive (2 millions d’euros pour son logiciel de mise en conformité au RGPD) ou encore de Legal Pilot (1,6 millions d’euros pour sa solution d’automatisation en octobre 2021), upLaw (1 million d’euros pour la gestion de l’actionnariat), Adequacy (1,2 million d’euros sur le segment du RGPD), Della.ia (2,5 millions de dollars pour la revue de contrats, début 2022)… 

Si les « anciennes » legaltechs sont de plus en plus nombreuses à trouver des capitaux pour organiser leur croissance ou sont rachetées, les acteurs traditionnels du droit sont aussi très actifs en innovations.
Ces acteurs dits « historiques » du droit (les éditeurs juridiques essentiellement) ont une « surface financière » plus importante, ce qui permet de mettre en perspective l’ampleur des levées de fonds : le chiffre d’affaires en produits électroniques des éditeurs juridiques en France était probablement au-delà de 500 millions € en 2019, même si cela ne présage pas de leur capacité d’investissement.

Evolution importante fin 2021, les acteurs internationaux se tournent désormais clairement vers la France qui n’est plus un « marché protégé », avec l’arrivée d’acteurs internationaux majeurs (One Trust et Bryter par exemple) qui s’est formalisée au Village de la Legaltech 2021 (principal salon des technologies du Droit, chaque année au  Palais des congrès en novembre)

Ajoutons l’arrivée des acteurs publics de la Justice qui proposent à leur tour des services numériques innovants, et le grand nombre de Legaltech internes ou externes lancées par les cabinets d’avocats, et l’on confirmera que le monde de la Legaltech n’est plus du tout celui présenté il y a encore trois ou quatre ans… 

A titre d’illustration, voici une répartition des Legaltech présentes en France, graphe issu de l’Observatoire de la Legaltech du Village de la justice :

RSE, Parité, Données personnelles, utilité… Où en sont les legaltech ?

Quelles sont aujourd’hui les attentes vis-à-vis de la Legaltech ? L’utilité et l’innovation, ou plutôt l’utilité dans l’innovation. L’utilité de l’offre, l’utilité par l’aide à l’innovation, l’utilité pour faire face à la crise (du Covid par exemple) et aux nouvelles organisations des entreprises et cabinets, et pour répondre au besoin de digital, de mobilité, d’aide au maintien de l’activité, etc.

Mais c’est aussi plus vaste que cela, plus sociétal : on demande à toutes les entreprises qui offrent leurs services, et particulièrement les plus jeunes qui ont une certaine responsabilité de « bien naître », d’être utiles à la société, d’être transparentes, « lisibles » pour que l’on puisse évaluer si l’on partage leurs valeurs.

N’oublions pas, « l’entreprise propose, les clients disposent » et ces derniers sont libres d’évaluer si l’offre de Legaltech par exemple qui leur est proposée va entrer dans leur propre démarche de ressources humaines, de communication, d’éthique, de mission d’entreprise…

Faire un choix de logiciel aujourd’hui est aussi un acte engagé : choisirons-nous un outil de visioconférence européen, garantissant la confidentialité et le respect RGPD, ou bien est-ce moins important que d’autres critères ? Choisirons-nous un prestataire qui partage notre vision de la diversité et ne nous mettra pas en porte-à-faux sur ce sujet ? Comment porter un message RSE crédible pour son cabinet ou son service juridique, si on oublie ce critère dans nos choix d’acheteur appelé à être responsable ? Comment expliquer aux jeunes professionnels qu’il y a un double langage ?

Si l’on se concentre sur le Droit, il y a de nombreux sujets de responsabilité. La diversité, l’accessibilité du droit, la sécurité des données, l’éthique de l’Intelligence artificielle…

Les avocats qui proposent une technologie à leurs clients, quelle qu’elle soit, doivent donc se poser la question de leurs « bonnes pratiques », à la fois en interne, mais aussi pour les proposer à leurs clients qui sont de plus en plus demandeurs par principe ou dans leurs appels d’offres.

Voici quelques exemples de bonnes pratiques RSE à intégrer dans vos achats de Legaltech comme dans vos projets (issus d’une enquête du Village de la Justice, avril 2022), sans ordre ou classement particulier :

  • Sécuriser les données personnelles, vraiment ! Par sécurité et par respect des contacts que vous collectez.
  • S’assurer d’un parfait respect du RGPD ;
  • Intégrer la parité et la diversité dans les ressources humaines sur tous les projets ;
  • Penser à l’impact environnemental et l’empreinte carbone des technologies ;
  • Prendre en compte les nouveaux modes de travail des personnes qui participent aux projets et… de celles qui utilisent les  technologies ;
  • Faciliter ou favoriser le respect des normes légales et réglementaires dans les solutions choisies.
  • Etc.

Avocat et créateur de legaltech, c’est possible.

Créer une legaltech, oui pourquoi pas, mais comment ? En effet, si certains professionnels se lancent dans l’aventure (on pourra pour trouver des  exemples consulter l’Observatoire permanent de la Legaltech du Village de la Justice, 226 Legaltech de tous types y étaient référencées mi avril 2022), la démarche n’est pas toujours aisée ! Gestion d’une seconde activité, confrontation à des compétences que l’on ne maitrise pas ou peu, risque financier, sans compter la dimension technologique du projet… Les sujets sont nombreux.

Il est important d’abord de se poser la question de savoir si une nouvelle offre a du sens : n’en existe-t-il pas une déjà qui « fait la même chose » ? Créer un nouveau service prendra des mois, puis des années pour être stabilisée. Et a un risque d’échouer supérieur à 50%. Soyez-en conscient…

Ensuite il faudra se préparer à apprendre. La Legaltech Legal Pilot (plateforme de modélisation et d’automatisation des documents juridiques) a d’abord été développée pour les besoins d’un cabinet pour ensuite devenir une startup à part entière… Mais a demandé un vrai parcours d’apprentissage (le métier d’avocat n’a rien à voir avec celui de startuper), la mobilisation importante de temps des avocats qui ont donc abandonné une part de leur métier d’origine, des recrutements, la recherche de fonds… Un autre métier donc.

Citons pour illustration les propos de Maître Xavier Berjot, qui a lancé le site Modelesdecontratsdetravail.com (interview complet à lire sur Le Village de la Justice) :

« Le métier d’avocat est extrêmement prenant et laisse peu de temps libre. Développer parallèlement une Legaltech est donc compliqué et il faut accepter de travailler presque tous les jours de l’année. Ma Legaltech est cependant un projet collectif autour duquel une dizaine de personnes travaillent : avocats, graphistes, ingénieurs, développeurs PHP / JavaScript / WordPress, etc.

Créer une Legaltech n’est pas un exercice facile. Il faut savoir dégager du temps, mobiliser des fonds et des compétences. 
Il est également crucial de trouver sa place sur le marché du droit qui est très concurrentiel. 

J’aurais deux conseils à prodiguer à mes confrères en matière de création d’outil Legaltech : 
1. Définissez votre modèle économique et réalisez (ou faites réaliser) une véritable étude de marché ; 
2. Sachez vous entourer de spécialistes, surtout dans le domaine informatique que nous ne maîtrisons pas nécessairement. »

En conclusion ? La technologie appliquée au Droit est un sujet passionnant… Mais qui demande une acculturation. Merci à l’ACE pour ce numéro spécial qui participe à cela.

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