Avocat mandataire sportif : le maître du jeu ? D’impact player à titulaire incontournable – Revue ACE n°155

par Tatiana VASSINE

Avocate et Mandataire Sportive

Utiliser les règles du jeu pour défendre les règles du droit, Autrice du livre « Agent sportif / Mandat Sportif – Guide juridique pratique » (Enrick B. Editions),

Administratrice du Think tank Sport et Citoyenneté en charge du droit et de l’éthique du sport

Conseiller et accompagner au mieux son client dans toutes les situations : voici la préoccupation des avocats mandataires sportifs (ci-après « AMS ») qui inter- viennent au quotidien pour défendre les intérêts des sportifs. Moins connue que l’activité d’agent sportif qui concentre l’attention des médias et du législateur (qui profite de chaque loi pour renforcer leur encadrement), l’activité d’AMS suscite l’attrait de sportif.ve.s en quête de professionnels compétents, polyvalents et garants d’une déontologie.

Issue de la loi du 28 mars 2011 qui a inséré dans la loi du 31 décembre 1971 un article 6 ter, cette activité qui fête ses 10 ans cette année. Elle attise l’intérêt de confrères et consœurs à la recherche d’une prestation toujours plus qualitative à proposer à leurs clients.

Accompagnant l’avocat dans les « nouveaux métiers » du droit et, peut-être aussi victime de son succès, elle suscite égale- ment quelques interrogations de la part d’observateurs encore peu familiarisés avec cette évolution. L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 14 octobre 2021 en est, à cet égard, la démonstration parfaite. Il s’inscrit ainsi à contre-courant du rapport Darrois et du décret 2016-882 du 29 juin 2016 pris en application de la loi du 6 aout 2015, dite « loi Macron »1, ouvrant à l’avocat la possibilité d’exercer des activités commerciales accessoires, dites « activités dérogatoires » en modifiant l’article 111 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991.

Mais loin d’affaiblir cette activité, cet arrêt, qui n’en est pas un pour l’activité d’AMS, pourrait au contraire permettre de renforcer les prérogatives de l’AMS et lui apporter la sécurité juridique nécessaire à l’exercice de cette activité.

Il nous donne en tout cas l’occasion de rappeler les trois points clés de cette activité qui mérite d’être connue et démocratisée : (i) sécuriser, (ii) fidéliser, (iii) moraliser.

●  L’AMS sécurise

Avoir un interlocuteur clé de confiance à qui confier ses intérêts, voilà le besoin des sportif.ve.s et de leur famille.

Ce besoin intervient dès le plus jeune âge du sportif, de la demande d’accompagnement de parents qui, soucieux du bon encadrement de leur enfant, font le choix de la sécurité, à celle de joueurs aguerris en vue de la signature de contrats professionnels.

L’avocat apporte une expertise juridique incontournable et permet de protéger les sportif.ve.s contre des arnaques et escroqueries attisées par des convoitises et intentions malhonnêtes.

Ce qui ne fait d’ailleurs aucun doute pour la Cour d’Appel de Paris qui fait de l’avocat le maître du jeu de son terrain favori : le droit.

Et, il est vrai que forts de 7 à 8 ans de formation juridique, et le plus souvent dotés d’une formation en droit du sport, ces hommes et femmes de loi mandataires de sportif(ve)s disposent du parfait arsenal pour accompagner leurs clients dans toutes les problématiques juridiques qui surgissent au cours d’une carrière sportive qu’il s’agisse de la gestion de leurs droits, de la création de sociétés, de la négociation ou conclusion de contrats (convention de formation, contrat de joueur, contrat de sponsoring, contrat d’agent…), etc.

Rien d’illogique dès lors à ce que les compétences qui poussent ces sportifs et sportives à se tourner vers les AMS soient leur maîtrise du droit du sport, mais aussi leur connaissance du secteur sportif, leurs qualités de négociateur et défenseur des droits, tout comme leur déontologie.

L’AMS réunit l’ensemble des atouts majeurs nécessaires à la bonne gestion d’une carrière sportive.

Ce qu’ont d’ailleurs parfaitement compris les instigateurs de la loi du 28 mars 2011 qui ont tenu à ce que l’intervention de l’AMS soit consacrée tout en bénéficiant de conditions d’intervention en grande partie alignées sur à celles de l’agent sportif.

Règles gouvernant l’activité d’AMS :

  • Rémunération au pourcentage de 10 % maximum
  • Obligation de transmission des contrats de mandat sportif aux fédérations sportives
  • Soumission au pouvoir disciplinaire du Bâtonnier
  • Déclaration auprès de l’Ordre auprès du Service de l’exercice professionnel (Article 6.4 du RI Barreau de Paris)

●  L’AMS fidélise

Une fois nouée, cette relation de confiance a vocation à imprégner tous les aspects de la carrière du sportif.

C’est donc tout naturellement que le sportif fait appel à son avocat mandataire lorsqu’il négocie, conclut, recherche un contrat ou est contacté en vue de la signature d’un contrat lié directement ou indirectement à son activité sportive.

Suscitant une vague d’inquiétude chez certains agents sportifs, y voyant une concurrence néfaste pour leur activité, voire même de certaines fédérations sportives, méfiantes face à l’arrivée de ces acteurs extérieurs. Repoussé dans ses pratiques traditionnelles de conseil juridique, la question de l’intermédiation (et de la possibilité pour l’avocat de la réaliser) a été l’un des principaux chevaux de bataille de ces derniers.

Si la théorie de l’accessoire puis les décrets du 26 juin 20162 apparaissent suffisants pour mettre un terme à ce vieux serpent de mer, la Cour d’appel de Paris, saisie de cette question par un syndicat d’agent et la Fédération Française de Football, a livré une analyse singulière, dénoncée par de nombreux observateurs comme étant contra legem.

Sa position est claire : « non », nous dit-elle, l’AMS ne peut pas exercer l’activité d’intermédiation. Pour quels motifs ? Au motif que, selon elle, l’activité d’intermédiation ne peut pas être accessoire. Elle est toujours une activité principale3.

S’il est vrai que l’on a pu s’interroger sur la place de l’inter- médiation en matière de mandat sportif, par cette motivation alambiquée, la Cour d’appel a manifestement réussi à créer un consensus : sa conclusion manque en droit et en fait. Elle ne rend pas compte de la multiplicité des situations dans lesquelles l’intermédiation est quasi, voire, inexistante, ni même de précédents jurisprudentiels ayant reconnu que le simple envoi de mail pouvait suffire à caractériser un travail d’intermédiation. Difficile de la voir dans ce contexte toujours principale…. Il est aussi regrettable qu’elle ne rende pas compte du long travail de négociation qui s’opère une fois la prise de contact réalisée. Enfin, elle dénature les textes suscités qui ouvrent la possibilité pour les avocats d’exercer des activités commerciales accessoires et connexes.

Sans oublier qu’elle obstrue totalement les motivations à l’origine de la loi du 28 mars 2011 qui étaient justement de permettre à l’avocat d’exercer l’activité d’agent sportif4… Pour toutes ces raisons, l’analyse de la Cour d’appel sera vrai- semblablement cassée par la Cour de Cassation qui devra se livrer à une analyse des textes, de leur esprit et se libérer de tout préjugé conservateur relatif à l’activité de l’avocat, en déconnexion parfaite avec les dernières évolutions législatives et réglementaires.

En tout état de cause, et bien que cette analyse interpelle sur le fond du droit, la prudence conduira certainement les AMS, dans l’attente de cette clarification, à prendre des précautions en matière d’intermédiation, soit en s’abstenant de la réaliser (ce qui peut être le cas si celle-ci n’existe pas, par exemple si le club contacte directement le joueur ou la joueuse), soit en recourant aux services d’agents sportifs, pratique permise en vertu des règles de l’interprofessionnalité.

Aussi regrettable qu’elle soit, cette décision ne devrait en revanche pas freiner le développement d’une activité qui a tout pour aller de l’avant.

●  L’AMS moralise

Ne l’oublions pas : l’avocat a toujours pu intervenir en qualité de mandataire de son client, même sportif. Il n’y a donc rien de révolutionnaire à ce que ce dernier apparaisse aux côtés des sportifs. Mais surtout, l’officialisation de l’intervention de l’avocat en qualité de mandataire sportif relève d’une volonté du législateur de permettre aux sportif.ve.s de bénéficier d’un professionnel de confiance.

A l’origine de la création de l’AMS créé par la loi du 28 mars 2011, se trouve un besoin et un objectif de moralisation du secteur sportif.

Pour s’en convaincre, il suffira de se reporter aux débats parlementaires :

« la sécurité juridique des conventions sera renforcée par l’intervention d’un avocat. La déontologie de l’avocat sera de nature à protéger les sportifs contre certaines dérives déjà constatées » (Rapport du 10 juin 2010 de Monsieur Yves Nico- lin p.55) ;

« La loi du 9 juin 2010 a été votée parce que la profession d’agent sportif était effectivement pratiquée par des gens parfois sans foi ni loi, qui n’avait aucune déontologie et qui n’était soumis à aucune instance de discipline professionnelle… convenez que la profession d’avocat a une déontologie particulièrement développée et ancienne… » (Sénat, séance du 8 décembre 2010, page 11 993).

La Ministre des Sports, interrogée en 2020 sur l’insatisfaction de la part des agents sportifs « classiques » face à la loi du 28 mars 2011 et remettant en cause l’intervention de l’avocat en matière sportive, en aura d’ailleurs profité pour dresser un bilan positif de l’ouverture de cette activité aux avocats.

Se félicitant de la réforme de 2011, la ministre indique qu’elle a pu contribuer « à l’intervention de nouveaux acteurs spécialisés sur ce segment d’activité et participe à l’objectif de moralisation du sport poursuivi par le législateur »5.

L’AMS, avocat augmenté (et formé) présente donc toutes les garanties pour devenir un acteur incontournable du secteur, de quoi satisfaire et rassurer les pouvoirs publics mais aussi ses clients et, plus largement, un secteur dont les valeurs prônées sont en totale concordance avec la déontologie de l’avocat.

Il est à noter que le CNB durant ce mandat s’est donné pour objectif de rédiger un guide pratique de l’AMS. A suivre.

  1. Décret du 29 juin 2016 ayant modifié le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat
  2. Article 111 du décret 26 juin 2016 « La profession d’avocat est incompatible : a) Avec toutes les activités de caractère commercial, qu’elles soient exercées directement ou par personne interposée ; Les incompatibilités prévues aux alinéas précédents ne font pas obstacle à la commercialisation, à titre accessoire, de biens ou de services connexes à l’exercice de la profession d’avocat si ces biens ou services sont destinés à des clients ou à d’autres membres de la profession. »
  3. Extrait de la décision de la CA Paris du 14 octobre 2021 : « Il découle de ces dispositions que l’activité commerciale exercée par un avocat ne peut qu’être une activité accessoire à son activité principale de conseil, d’assistance, et de représentation. Or, la mise en relation des joueurs et des clubs constitue une mission principale, indispensable et préalable à la conclusion des contrats, qui ne peut pas être considérée comme une activité accessoire à la négociation des contrats, lesquels interviennent nécessairement après le recrutement des joueurs. »
  4. Voir la note de Philippe TOUZET – Dalloz : « Le rapport du 10 juin 2010 de Monsieur Yves Nicolin, au nom de la commission des lois, expose ainsi les motifs de l’amendement : « le I du présent article tend à préciser dans la loi du 31 décembre 1971 précité les conditions dans lesquelles les avocats auront la possibilité d’exercer l’activité d’agent sportif… »… et plus loin : « le présent article propose de compléter l’article 10 de la même loi afin de préciser les modalités dans lesquelles l’avocat sera rémunéré pour son activité d’agent sportif. » (rapport du 10 juin 2010 de Monsieur Nicolin n° 2621 p. 56). Le rapport de Monsieur Béteille, au Sénat, évoquait également que « le dispositif… vise… à permettre aux avocats d’exercer l’activité d’agent sportif sans avoir à obtenir une licence d’agent sportif… » (rapport du 24 novembre 2010 de Monsieur Béteille n° 131 p. 38). Au cours des débats, Monsieur Michel Mercier, alors Garde des Sceaux, indiquait que : « le texte tel qu’il ressort des travaux de la commission aboutit à un système équilibré qui laisse au sportif la possibilité de choix entre l’avocat mandataire et l’agent sportif. ».
  5. écrite N° 26379 de Mme Sarah El Haïry publiée au JO le 04/02/2020 page 762 et Réponse publiée au JO le 19/05/2020 page 3553.

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