Avocat entrepreneur innovant : les activités dérogatoires de l’article 111 du décret du 29 juin 2016 – une voie royale de développement du cabinet – Revue ACE n°155

par verine AUDOUBERT

Membre élu ACE au CNB 2021-2023

Vice-Présidente de la Commission Communication Institutionnelle

et Philippe TOUZET

Membre élu ACE au CNB 2021-2023

Président de la Commission Statut professionnel de l’Avocat

Initialement limitée au strict domaine judiciaire, la profession d’avocat n’a cessé depuis les années 70 d’étendre son domaine d’activité. Après avoir englobé l’activité

d’avoué au tribunal, celle de conseil juridique, puis les avoués à la cour, ses missions se sont étendues à différents types de mandat et de missions particulières définies à l’article 6.3 du règlement intérieur national, suite, notamment, au Rapport Darrois de 2009 : missions de justice, séquestre, fiduciaire, protection des données, lobbyiste, mandataire en transactions immobilières, mandataire d’artistes et d’auteurs, mandataire sportif, mandataire d’intermédiaire en assurance, correspondant risque intelligence économique et sécurité. La loi du 6 aout 2015, dite « loi Macron », et le décret 2016- 882 du 29 juin 2016 ont créé des opportunités nouvelles pour les avocats de développement et d’innovation, en ouvrant aux avocats la possibilité d’exercer des activités commerciales accessoires, dites «activités dérogatoires», désormais prévues par l’article 111 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991, qui dispose : que : « Les incompatibilités prévues aux alinéas précédents ne font pas obstacle à la commercialisation, à titre accessoire, de biens ou de services connexes à l’exercice de la profession d’avocat si ces biens ou services sont destinés à des clients ou à d’autres membres de la profession. ».

C’est ainsi qu’est née la deuxième génération des nouveaux métiers axés sur la commercialisation de biens ou services connexes, à titre accessoire.

Ces activités sont soumises à un contrôle a posteriori des ordres et doivent être déclarées dans les trente jours suivant le début de l’activité concernée. Elles sont alors soumises au contrôle déontologique, qui est exercé, à Paris, par la commission de déontologie des « Incompatibilités » de l’ordre.

Le champ des possibles s’élargit donc. A Paris, une grosse centaine de projets ont été déclarés.

Il s’agit d’activités très variées, relevant notamment de la formation, du coaching, de l’édition juridique, de la création de sites internet, de recrutement, de la mise à disposition de locaux pour les confrères et révèlent la créativité des confrères à construire une activité connexe.

Cette disposition est aussi une voie royale pour les legal techs d’avocats.

À noter toutefois qu’un certain nombre de ces activités sont en fait purement civiles, comme la formation et le coaching, ou encore la médiation, et qu’il n’est donc pas nécessaire de formuler une demande d’autorisation pour lancer ce type d’activité, sauf, bien sûr, si l’avocat souhaite les exercer au travers d’une société commerciale, puisque l’incompatibilité posée par l’article 111 est double : elle concerne d’une part les activités commerciales stricto sensu, et d’autre part la possibilité d’être mandataire social d’une société commerciale.

L’ouverture d’une salle de yoga a été refusée à Paris mais acceptée dans un autre barreau où les séances sont proposées à des clients dans le cadre de procédure de divorce et de médiation. L’activité de traduction juridique a été acceptée, celle de guide touristique au Palais retoquée.

Et vous, que projetez-vous ?

Pour rappel, les critères à respecter sont les suivants :

  • le critère de connexité de l’activité dérogatoire
  • l’effectivité de votre activité principale
  • le critère de destination (clients et confrères)

Les excellents travaux de l’Erage réalisés sous la direction de Delphine Gallin et de Clarisse Berrebi « les Activités Commerciales Dérogatoires » Octobre 2017, vous aideront à appréhender ces critères avec pragmatisme, que la connexité soit verticale, horizontale, juridique ou économique, de même que le tout aussi excellent rapport « activités commerciales dérogatoires » présenté à l’assemblée générale des 5 et 6 octobre 2018 du CNB par Audrey Chemouli pour la commission « Statut professionnel de l’avocat et par Dominique de Ginestet pour la commission « règles et usages ».

Enfin, nous noterons l’ intérêt indéniable de cette solution qui dépendamment de la structuration choisie de cette activité commerciale connexe (en business unit ou en filiale commerciale) et de sa gouvernance, donnera la possibilité de travailler dans une nouvelle forme d’interprofessionnalité, puisque la société commerciale pratiquant l’activité accessoire est une société de droit commun dont la composition du capital n’est pas réglementée. On pourra donc y trouver tous types d’associés, et pas seulement des professionnels réglementés.

Précision utile ?

Au regard de l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 14 octobre 2021 qui agite le milieu du sport (vous retrouverez une analyse complémentaire de cette décision dans le paragraphe réservé au mandataire sportif dans ce dossier spécial ; lire également le commentaire de Philippe Touzet « Coup d’arrêt sur le mandat sportif et les activités dérogatoires de l’article 111 du décret » paru au Dalloz Actualités du 8 novembre 2021), une question peut se poser :

Les activités accessoires doivent-elles être postérieures à l’activité juridique principale ?

La Cour d’appel, dans cette décision, en appliquant la notion d’accessoire, y ajoute en effet une condition nouvelle, selon laquelle la prestation accessoire ne pourrait intervenir qu’en aval d’une « mission principale indispensable et préalable à la conclusion des contrats, … lesquels interviennent nécessairement après le recrutement des joueurs. Ainsi l’avocat… ne peut exercer l’activité de mise en rapport des joueurs et des clubs… ni donc intervenir dans la phase d’élaboration des contrats avant que les sportifs et les clubs aient été préalablement mis en relation par un agent sportif. »

Ce débat rappellera au lecteur la jurisprudence autrefois rendue, en matière d’activité juridique exercée par les experts-comptables (cf. notamment Cass. Crim. 11 avril 2002 n° 00-86519 – Cass. Civ, 1ère, 4 février 2003 n° 177 FS-PB), laquelle avait considéré que la prestation juridique ne pouvait être fournie qu’en aval de la prestation comptable. Mais cette solution ne semble pas transposable. En effet, l’autorisation donnée à la profession d’avocat d’exercer une activité accessoire et connexe « à l’exercice de la profession » est beaucoup plus large que celle don- née aux experts-comptables par l’article 59 de la loi du 31 décembre 1971, de rédiger des actes « lorsque ces actes constituent l’accessoire direct de la prestation fournie. ».

Un pourvoi en cassation a été formé par l’ordre de Paris, auquel s’est joint l’ACE et les arguments, en vue de la cassation, sont nombreux. Par ailleurs, la commission Statut professionnel de l’avocat du CNB, qui est en rapport constant avec la Direction Générale des Entreprises de Bercy (DGE) dans le cadre du projet de loi « Indépendants », a demandé au gouverne- ment de clarifier les dispositions de l’article 111.

Cette rédaction doit donc être considérée comme provisoire. Par conséquent et selon nous, un avocat qui rédige de façon habituelle des actes de cession de fonds de commerce peut parfaitement créer une activité dérogatoire de mise en relation des parties en matière de cession de fonds, de même qu’un cabinet, spécialisé en fusions et acquisitions, peut avoir une activité accessoire de banque d’affaires, sans que soit exigé, dans l’un et l’autre cas, que l’opération d’intermédiation soit, dans une espèce donnée, postérieure à une opération juridique fournie au même client.

Il faut, et il faut seulement, que le cabinet exerce à titre principal une activité juridique ayant un lien de connexité avec l’activité accessoire. C’est donc un accessoire « à titre universel », au regard de l’exercice de la profession, qui s’oppose, dans la jurisprudence appliquant l’article 59 aux experts- comptables, à un accessoire « à titre particulier », lié à un dossier spécifique. Dans ce raisonnement, le critère chrono- logique, c’est-à-dire celui l’antériorité des prestations juridiques, n’a pas sa place.

C’est d’ailleurs le sens du rapport précité du Conseil National des Barreaux sur les activités dérogatoires pour lequel l’exercice effectif de la profession est le critère pertinent pour apprécier si l’avocat conduit ses activités dérogatoires de manière accessoire.

Un guide pratique augmenté est en cours de rédaction par le CNB. Nous devons par conséquent rester résolument optimistes, innovants et agiles !

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