Avocat enquêteur interne : le Sherlock Holmes des avocats – Revue ACE n°155

par Maria LANCRI,

et Dominique DEDIEU,

Avocates au Barreau de Paris et Présidentes de la Commission Éthique et Compliance de l’ACE

Un nouveau métier d’avocat très inspiré des pratiques anglosaxonnes à découvrir et à adopter en se formant!

Il connait à ce jour un fort développement au regard de la multiplication et de la prolifération des normes.

L’enquête interne – Qu’est-ce-que c’est ?

Les entreprises demandent depuis longtemps à leurs avocats de les assister pour mener des enquêtes internes dans le cadre de la conduite de procédures ou bien préalablement à l’ouverture de celles-ci pour les aider à identifier les éléments d’un litige ou bien même une conduite susceptible d’une sanction administrative (notamment en matière de droit de la concurrence) ou pénale. Ces enquêtes n’étaient peut-être pas qualifiées d’enquêtes internes et en tout cas, n’avaient pas pris l’ampleur qu’elles connaissent maintenant sous l’influence des procédures américaines et de l’essor de la Compliance, notamment avec la loi Sapin II.

En résumé, l’enquête interne est celle diligentée au sein de l’entreprise pour investiguer sur des pratiques internes douteuses découvertes ou invoquées.

L’enquête interne – Pourquoi la conduire ?

L’enquête interne peut être lancée, soit à l’initiative d’une entreprise pour identifier si certaines pratiques doivent être qualifiées de comportement fautif, soit à la demande d’une autorité de contrôle.

L’intérêt de l’enquête interne est de permettre de déterminer si un comportement prétendument douteux est réellement fautif, puis alors d’identifier les rôles et éventuelles responsabilités et de décider des mesures à prendre en connaissance de cause. L’objectif de cette enquête pour l’entreprise est de tenter d’éviter une procédure ou une action des autorités, d’éventuellement parvenir à un accord transactionnel favorable dans la préoccupation majeure évidente de préserver l’image et la réputation de l’entreprise.

Certaines entreprises peuvent se montrer frileuses à l’idée du lancement d’une enquête interne pour plusieurs raisons. Conduire une telle enquête peut engendrer des coûts importants selon sa durée, le nombre de documents à étudier, le nombre de personnes à interviewer, les éventuels déplacements à l’étranger dans les filiales. L’enquête peut désorganiser l’entreprise compte-tenu des ressources internes qu’elle mobilise. L’enquête peut également mener à identifier d’autres pratiques fautives que celle pour laquelle elle a été engagée. L’enquête interne va être engagée sur la base de révélations de faits qu’il sera nécessaire de vérifier, de corroborer ou d’approfondir. Ces faits auront notamment été portés à la connaissance de l’entreprise dans le cadre d’une alerte interne, d’éléments rapportés directement aux supérieurs hiérarchiques ou aux ressources humaines, procédures, plaintes ou révélations dans la presse à l’initiative de syndicats, de salariés actuels ou anciens, de concurrents, de clients ou même de tiers, tels que des Organisations non gouvernementales (ONG). L’audit interne peut être également une source d’information dans les entreprises de grande taille.

L’enquête interne se déroulera sur une plus ou moins longue période selon la complexité des faits bien sûr, mais surtout en fonction de l’éventuelle procédure qu’elle viendra alimenter.

L’enquête interne – Qui doit l’effectuer ?

L’enquête interne pourra être engagée à la seule initiative de l’entreprise dans le cas d’une alerte interne par exemple. Si les faits ont été rapportés dans le cadre d’une alerte interne, le lanceur d’alerte devra être informé dans un délai raisonnable, généralement dans les trois mois, des actions engagées. L’enquête interne peut être menée par une équipe interne à laquelle il faudra assurer une indépendance totale pour démontrer l’objectivité des opérations menées. Une autre difficulté est qu’en l’état de la loi française, et contrairement à ce qui existe dans d’autres pays, les juristes internes qui mèneront l’enquête ne peuvent pas être avocats, et en tout état de cause, ne peuvent disposer de la confidentialité des échanges avec leur cliente, l’entreprise.

L’enquête interne peut aussi voir son traitement externalisé auprès de conseils spécialisés dont les avocats. L’intérêt d’une enquête interne menée par l’avocat avant toute procédure offre aussi l’opportunité d’une réflexion sur une bonne stratégie de défense qui peut par exemple conduire à solliciter une procédure de clémence auprès de l’Autorité de la Concurrence (AdlC) ou à une autodénonciation au moment approprié devant le Parquet menant ensuite à une Convention judiciaire d’intérêt public (« CJIP »). L’enquête interne peut également être ouverte dans le cadre de l’enquête menée par une autorité afin de fournir à celle-ci des éléments complémentaires. Il s’agit là d’une

« coopération » entre l’entreprise et les autorités. Telle est l’hypothèse de l’enquête évoquée par exemple dans les lignes directrices adoptées en 2019 par l’Agence Française Anticorruption (AFA) et du Parquet National Financier (PNF).

Cette enquête interne doit être distinguée de celle menée par des avocats en leur qualité d’« experts de l’AFA ».

En effet, pour mener à bien ses missions, l’AFA est autorisée par la loi Sapin II à faire appel à des experts, parmi lesquels des avocats pour l’assister dans la conduite des contrôles de conformité des programmes de conformité ou bien dans la mise en œuvre des obligations de conformité intégrées dans les CJIP.

Dans ce cas, l’avocat n’est pas le conseil de l’entreprise contrôlée ; il n’est donc pas lié par le secret professionnel vis-à-vis de cette entreprise.

L’enquête interne – Comment l’avocat agit-il ?

C’est pour réguler la façon dont les enquêtes internes sont conduites par des avocats que l’Ordre des Avocats de Paris a publié le « Vademecum de l’avocat chargé d’une enquête interne » mis à jour le 28 mai 2020 qui constitue l’Annexe XXIV du Règlement intérieur.

Ces lignes directrices expliquent comment un avocat doit agir dans le cadre d’une enquête interne pour rester en conformité avec ses règles déontologiques. Elles prévoient principalement :

  • Le secret professionnel ne s’applique que dans la relation entre un avocat et son client.
  • L’avocat, avant de procéder à un entretien avec un employé ou un tiers, doit donc expliquer le but de la mission et le fait qu’il n’est pas obligatoire d’y participer. Il doit souligner qu’il n’est pas le conseil des personnes qu’il interroge, mais celui de la société et que, en conséquence, le secret professionnel ne s’applique pas à leur relation et que la discussion peut être rapportée à la société, le véritable client ;
  • L’avocat doit informer les personnes qu’il souhaite interroger qu’elles peuvent être assistées par leur propre avocat qui peut également assister à l’entretien ;
  • L’avocat peut accepter une mission d’enquête à condition de ne pas conseiller l’entreprise sur le même sujet ; vérifier l’existence ou non d’un conflit d’intérêts est en effet un sujet essentiel pour instaurer une relation de confiance avec le client ;
  • L’avocat qui mène une enquête peut assister son client dans une procédure qui s’en suivra, sauf dans les cas où il dirigerait la procédure contre une personne qu’il a déjà interrogée.
  • La dernière préoccupation abordée dans les lignes directrices est la nécessité de préserver l’indépendance d’un avocat. Si un avocat estime que, dans ses relations avec les autorités, son indépendance est compromise, il peut recommander à son client de désigner un autre avocat pour couvrir les autres étapes de l’affaire qu’il traite dans le cadre de l’enquête interne.

Le Conseil national des Barreaux (CNB) détaille également la méthodologie de l’enquête interne dans son guide « L’avocat français et les enquêtes internes ».

Ces deux documents confirment qu’un avocat peut aider son client à mener des enquêtes internes et que la désignation de cet avocat permettra au client de bénéficier de la protection du secret professionnel dans son ampleur comme dans toutes ses limites.

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