Zoom sur le temps et le lieu de travail : travailler plus ? travailler moins ? travailler mieux ! – Revue ACE n°155

Par Nathalie ATTIAS, Co-Présidente de la Commission droit social de l’ACE

Par Guy MARTINET, Co-Président de la Commission droit social de l’ACE

Laurence DUMURE LAMBERT, Vice-Présidente de la Commission droit social de l’ACE

Préambule

On aura compris, à la lecture de l’intitulé de l’atelier que les organisateurs du congrès 2021 ont confié à la Commission sociale, que cette dernière s’est autorisé un clin d’œil à l’une des plateformes de visioconférence qui ont marqué le quotidien des salariés et de leurs managers confinés en télétravail, afin de définir les contours de la réflexion qu’elle a voulu mener pour répondre à la question posée par le congrès : « Et maintenant ? »

L’objectif de cette réflexion :

  • observer ce qui a changé pendant la crise sanitaire et ce qui allait changer au sortir de celle-ci dans les relations de travail, notamment en ce qui concerne les éléments essentiels des conditions de travail que sont le temps et le lieu de travail.
  • examiner à cette occasion comment cette crise s’est inscrite dans un environnement qui venait d’être profondément impacté par l’émergence et l’installation du numérique dans nos vies professionnelles et privées.

Il a en effet semblé intéressant d’observer que les mutations opérées par les nouvelles technologies avaient d’ores et déjà contribué à bousculer l’organisation des entreprises, Dès lors, si les entreprises ont été contraintes de s’adapter dans l’urgence, elles ont du moins pu surmonter les conditions de travail dégradées qui ont été imposées par le confinement grâce au numérique, qui leur en a fourni les moyens et qui les accompagne aujourd’hui d’autant plus naturellement que le monde issu de la crise est aussi le résultat de la subite accélération technologique qu’elle a rendue possible.

C’est la raison pour laquelle un large focus a été consacré au télétravail, qui s’est révélé comme l’instrument qui a per- mis aux entreprises de poursuivre leurs activités pendant la crise.

Ont animé les débats, sous la modération de Nathalie Attias, co-présidente de la Commission sociale de l’ACE :

Nicole Laffue, avocat au Barreau de Marseille et professeur associé à l’université d’Aix-Marseille, qui a introduit les tra- vaux de l’atelier au travers d’une synthèse des sujets caractérisant la situation qui existe « maintenant », Guy Martinet, avocat honoraire, co-président de la Commission sociale de l’ACE, qui s’est attaché à identifier les points de convergence entre les enseignements de la crise et ceux du numérique, Samantha Marecaux, HR Manager au sein de la société de conseil stratégique et managérial en transformation Wavestone, qui est intervenue en visioconférence pour témoigner du mode de gestion des ressources humaines mis en place au sein de son entreprise,

William Cargill et Stéphanie Bertaccini de la société Deinceps, cabinet spécialisé en matière de transition ainsi que dans l’accompagnement des avocats et des professionnels du droit, qui ont illustré de leur expérience les mécanismes du télétravail, considéré moins d’un point de vue strictement juridique que comme outil de management.

Introduction générale (Nicole Laffue)

Les changements de paradigmes auxquels on assistait depuis quelque temps se sont amplifiés depuis 2020 : la crise sanitaire a bouleversé notre rapport au travail, au lieu de travail – le bureau – et au temps de travail. Le télétravail, que la crise a généralisé, a désacralisé le travail en le rapprochant de la vie du foyer : le travail est devenu moins un lieu ou une destination qu’un moyen au service de l’entreprise et un moyen pour les salariés de prendre en main les conditions de leur épanouissement.

Désacralisé mais non dévalorisé : la valeur travail prend une dimension nouvelle dès lors que, pour répondre à ce phénomène de distanciation, l’entreprise se doit plus que jamais de trouver une raison d’être inscrivant le travail dans une cause qui dépasse l’activité intrinsèque de celle-ci.

Le lieu de travail ou la révolution du travail à distance 

Première observation : au principe de gestion fondé sur l’exécution et le contrôle, qui était le corolaire de la présence permanente des collaborateurs sur le site de l’entreprise, se substitue un mode de management reposant sur la confiance et sur l’échange ; en obligeant ainsi l’entreprise à relâcher le carcan des règles et à mettre de l’intelligence dans les relations, la crise a ouvert la voie à une conception du travail qui libère l’initiative et développe l’esprit d’investissement professionnel.

Deuxième observation : d’un télétravail forcé on se dirige vers un télétravail négocié ; d’un télétravail à temps complet on s’achemine vers un télétravail à temps partiel.

Troisième observation : le rôle du bureau est à repenser ; il est devenu l’accessoire alors que les salariés ont découvert qu’ils pouvaient tout aussi bien travailler en nomades, à leur rythme et en choisissant des environnements de plus en plus « friendly ».

Les formes d’occupation des bureaux telles que le desk sharing ou le flex office, qui avaient commencé à gagner du terrain, ont soudainement cessé d’être regardées comme relevant de l’expérimentation pour apparaître comme le remède à la désertification des places de travail.

Bien plus : au-delà de l’avantage économique procuré par la réduction des coûts immobiliers, elles sont devenues insé- parables d’une organisation du travail collaborative, fluide, favorisant les contacts et la créativité, associant le poste de travail à un large éventail de services dont la proximité contribue au bien-être.

Il ne s’agit bien entendu pas d’idéaliser ni d’ignorer l’incidence de contraintes spécifiques, auxquelles tous ne sont pas dis- posés à s’accoutumer. Les employeurs, les salariés et leurs représentants ont un défi à relever : celui d’imaginer les solutions propres à assurer une transition progressive et réussie.

Le temps de travail ou la révolution du temps retrouvé Les pratiques d’organisation du travail s’étaient déjà significativement diversifiées avant la crise (forfaits, horaires individualisés, annualisation, modulation, augmentation du travail le dimanche et du travail de nuit).

Le développement des free-lances et des micro-entrepreneurs ainsi que des contrats courts avaient à son tour contribué à rendre le quotidien moins uniforme en y introduisant de la souplesse.

Certes l’explosion du télétravail provoquée par le confinement a pu générer de réels inconvénients qui ne doivent pas être sous-estimés et que l’ANI du 26 novembre 2020 a entendu prendre en considération (dégradation des conditions de vie, intensification du travail, isolement, perte de lien). Pour autant, elle a aussi déclenché de nouvelles aspirations en faisant naître le sentiment chez nombre de salariés qu’ils étaient capables de maîtriser leur temps entre vie professionnelle et vie privée de manière autonome, pour autant qu’on leur fasse confiance.

L’avenir est-il à une généralisation raisonnée du forfait jours ? En attendant, ne devrait-on pas remplacer la norme horaire par une prise en compte de la charge de travail ? Force est en effet de constater que les questions de malaise au travail ou de qualité de vie au travail prennent le pas sur celles liées à la durée du travail : si le travail doit être un vecteur d’épanouissement, c’est moins en encadrant sa durée que sa charge que l’objectif pourra être atteint.

Mais la suggestion bute sur une interrogation : comment cal- culer la « charge juste » ?

La difficulté tient au fait que le temps de travail est un élément objectif alors que la charge de travail comporte une part de subjectivité dépendant, tout d’abord, de la personnalité du salarié, de sa formation, de son âge, de sa génération, ensuite, de la taille de l’entreprise, de la région, du sec- teur d’activité. La capacité d’adaptation doit servir de guide, ce qui renvoie plus aux réalités du terrain et de l’entreprise qu’à l’intervention de la loi.

Celle-ci a du reste déjà fixé des bornes pour éviter que la charge de travail ne se traduise par une surcharge, au détriment du repos qui est un principe de santé/sécurité et non plus de conditions de travail (CJUE du 14 mai 2019), et sa cohorte de maux (risques psycho-sociaux, débordement sur la sphère privée, contentieux etc.).

Ainsi :

  • l’article L. 1222-10 du code du travail prescrit à l’em- ployeur d’organiser chaque année un entretien sur les conditions de travail et la charge de travail des salariés en télétravail ;
  • l’article L. 3121-64 du même code, relatif aux conventions de forfait en heures ou en jours, dispose que l’accord autorisant la conclusion de telles conventions doit prévoir les modalités selon lesquelles la charge de travail du salarié est évaluée par l’employeur et donne lieu entre les parties à une communication périodique ;
  • et on ajoutera le point 4.1 (7e alinéa) de l’ANI du 26 novembre 2020, qui énonce que la définition d’objectifs clairs permet de se concentrer sur la résolution des dysfonctionnement éventuels et d’évaluer plus facilement la bonne répartition de la charge du travail.

Il demeure que face à l’intrusion du temps de travail dans le temps de la vie privée et à l’heure du tout connecté, un mode d’emploi est à trouver pour réguler la charge de travail et son contrôle, de même qu’une réflexion est à mener sur l’évolution d’un lien de subordination qui tend à s’alléger.

Ceci suppose un équilibre entre, d’une part, l’apprentissage de la liberté de structurer son temps travail et la mise en pratique du droit à la déconnexion (le fait, par exemple, de devoir/pouvoir traiter ses emails le soir si l’après-midi a été consacrée à des activités sportives ou artistiques est-il une contrainte ou un avantage ?), d’autre part, une appréciation judicieuse par l’employeur du risque de desserrer le frein de ses exigences quand la mesure du temps à distance devient floue.

Partie 1 – Le bilan : l’impact de la crise sanitaire après celui du numérique

(Guy Martinet)

Comment la crise sanitaire a estompé les repères liés au temps et au lieu de travail

La crise sanitaire a exigé des entreprises qu’elles répondent à deux objectifs contradictoires dans un contexte de confinement et de restriction des libertés : protéger la santé des salariés (donc éviter les déplacements et les contacts) et en même temps assurer la continuité de l’activité (donc protéger l’emploi).

Or les dispositifs qui ont été mis en place par les pouvoirs publics pour aider les employeurs en ce sens ont eu pour effet d’entraîner une sorte de dilution du rapport entre temps consacré au travail et temps rémunéré, qu’il s’agisse :

  • du recours massif au travail partiel, qui a instillé l’idée qu’une rémunération est possible – sous forme d’indemnisation – nonobstant l’absence de prestation de travail pendant le temps normalement dédié au travail,
  • du recours aux arrêts de travail spécifiques, qui a instauré– fût-ce à titre exceptionnel –, le bénéfice d’une indemnisation sans contrepartie de travail du simple fait de l’obligation de rester à domicile pendant le temps de travail,
  • de l’incidence des dérogations au régime des congés payés, des jour de repos et du repos hebdomadaire, qui ont concouru à troubler la conception du temps de repos et sa combinaison avec le temps de travail.

De même, en obligeant les employeurs à réaménager leurs locaux ou à délocaliser le travail pour l’organiser à distance, c’est une autre composante des conditions de travail, à savoir l’attachement du poste de travail au lieu de travail, que la crise a bousculée.

Comment les avancées technologiques du numérique ont tracé la voie

Si la nouvelle donne issue de la crise a ainsi distendu ces notions essentielles que sont le temps de travail et sa rémunération ainsi que le lieu de travail, force est d’observer que

le terrain avait été largement préparé par la survenance du numérique dans les relations de travail.

Tout tient à l’information, dont le numérique assure désormais la circulation sans interruption et sans limite géographique, et à l’accès à cette information que les outils informatiques offrent à tout moment et en tous lieux.

Or ce sont les mêmes outils qui sont utilisés à titre privé ou pour les besoins professionnels.

Il en a résulté une porosité entre le temps consacré respectivement aux loisirs et au travail ainsi qu’un brouillage des frontières entre lieu de travail et sphère privée :

  • d’un côté, les salariés peuvent désormais rester connectés en dehors des heures de travail et emporter leur bureau à domicile (c’est tout l’enjeu du droit à la déconnexion que la loi n° 2016-1088 dite loi Travail du 8 août 2016 a intro- duit dans le code du travail – article L. 2242-17, 7° – pour en faire l’un des thèmes de la négociation obligatoire en entre- prise) ;
  • de l’autre, et à l’inverse, on voit la société elle-même s’inviter dans l’entreprise : utilisation des réseaux sociaux par les DRH pour les besoins de leur recrutement ou par les directions marketing à des fins de promotion, intégration de la « gamification » (c’est-à-dire les techniques de jeu) dans le travail par le truchement de jeux-concours, de système de primes etc.

A l’entreprise taylorienne, enfermée dans une double unité de temps et de lieu autour de l’opposition binaire temps-lieu de travail v. temps libre hors du lieu de travail et où le travail est exécuté dans un cadre hiérarchisé de prescription et de contrôle, s’est substitué un mode de travail qui repose sur la dispersion des salariés, l’indifférenciation des lieux de travail, l’abolition des références temporelles et où le travail est effectué davantage en équipe, de manière plus participative, responsable et décloisonnée.

Avec l’outil numérique et les nouvelles relations qu’il a induites, les salariés sont incités à mettre leur créativité et leur temps à l’œuvre pour atteindre les objectifs ou réaliser les missions qui leur sont confiées ; ils sont devenus moins débiteurs d’une obligation de moyen que de résultat (Ch. Radé, NTIC et nouvelles formes de subordination, Droit social n° 1, janvier 2002, p. 26 sq.).

En bousculant les cadres et les codes, le processus qui a été engagé par les avancées technologiques dues au numérique a créé les conditions d’une transition qui aura donc servi à traverser la pandémie en palliant les dérégulations causées par celle-ci.

En fait, ce processus, la crise sanitaire l’a non seulement prolongé, elle l’a rendu irréversible.

Ce qui débouche aujourd’hui sur un certain nombre de questions.

Comment se présente l’avenir

  • La notion de temps de travail effectif, telle qu’elle est défi- nie par l’article L. 3121-1 du code du travail comme correspondant au « temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles », a-t-elle encore un sens : comment l’appliquer au temps pendant lequel le salarié n’est plus « à la disposition de l’employeur » et peut au contraire « vaquer librement à ses occupations » mais se trouve tout de même occupé, fût-ce de manière ponctuelle, par des tâches liées à son travail ?
  • N’assiste-t-on pas à un affaiblissement du lien de subordination, pris en ses deux composantes ?

On sait que le lien de subordination est l’élément qui caractérise le contrat de travail.

Dans son célèbre arrêt Société générale (Cass. Soc. 13 novembre 1996, n° 94-13.187), la Cour de cassation a défini ce lien (qui est de nature juridique et non économique depuis l’arrêt Bardou, Cass. Civ. 6 juillet 1931, DP 1931,1 131) en établissant une hiérarchie entre deux critères :

  • ont été mises en avant les modalités d’exécution de l’activité subordonnée – en partant de l’autorité que confère à l’employeur le pouvoir de direction (donner des ordres et des directives) et de contrôle, associé à un pouvoir de sanction –,
  • a été relégué au second plan le critère du travail au sein d’un service organisé – que la jurisprudence avait précédemment retenu comme caractéristique du lien de subordination mais qui est désormais réduit au rôle d’indice – (le service organisé étant défini comme l’espace où sont des salariés liés par un contrat de travail les travailleurs qui s’y rendent en se conformant à un horaire et des instructions dans leur domaine d’intervention ainsi qu’en utilisant le matériel ou le personnel mis à leur disposition).

Or, dans l’environnement qui vient d’être décrit et où le télétravail est appelé à durer, ce lien de subordination est-il encore adéquat alors qu’il tend à brider la relation de travail – alors que celle-ci peut tout aussi bien et de plus en plus s’exercer avec une certaine indépendance – et que celle-ci ne s’inscrit plus nécessairement dans le périmètre d’un service organisé ?

  • Pourquoi ne pas repenser la répartition du travail ? Sans céder au pessimisme de ceux qui pronostiquent la disparition du travail – et précisément pour prévenir le glisse- ment vers une société qui serait engendrée par la dévalorisation du travail – ni même aux sirènes de ceux qui se prennent de nouveau à rêver à une semaine de quatre jours, le moment n’est-il pas venu d’imaginer une vaste réorganisation des conditions de réalisation des tâches ou de la mission dans la semai- ne ou sur une période plus longue – par exemple en étendant la liste des catégories professionnelles ayant vocation à appliquer le mécanisme du forfait annuel – ?
  • Dans la suite logique d’une telle reconfiguration, le droit à la déconnexion ne devrait-il pas être réaménagé ?

Non pas, bien entendu, pour alléger une pratique qui doit demeurer encadrée mais pour tenter une approche moins dogmatique, susceptible d’offrir aux salariés qui le souhaitent, sur- tout quand ils travaillent à distance, la faculté de gérer leur temps de travail – dès lors qu’ils respectent les plages de travail collectif – et de se connecter à leur guise.

Témoignage (Samantha Marecaux)

Wavestone a littéralement surfé sur la vague de l’innovation, mêlant promotion des potentialités individuelles et construction d’un travail d’équipe.

De façon naturelle, les nouvelles technologies et l’ouverture qu’elles offrent sur des perspectives de créativité collective ont été largement mises à contribution.

  • En premier lieu, il a été admis que les collaborateurs pouvaient télétravailler à partir du lieu de leur choix, sans que soit imposée une présence minimale dans les locaux.

Le souci de contribuer à la réduction de l’emprunte carbone n’est pas non plus étranger à cette démarche.

Pour autant, l’entreprise est consciente qu’il existe une difficulté à faire (re)venir les collaborateurs au bureau. Aussi, elle organise des moments de convivialité hebdomadaires, conçus afin de susciter l’envie de renouer avec la communauté de travail, prolongés le cas échéant, dans le même esprit mais de manière plus traditionnelle, par des fins de journée improvisées au « bar d’en face ».

  • En deuxième lieu, les collaborateurs sont invités à repenser leur espace de travail, qui peut être localisé au bureau, à domicile mais aussi en tout autre lieu à leur convenance.
  • En troisième lieu, des formes inédites de travail ont été mises en place.

Ainsi le principe a été posé qu’il était loisible pour chaque manager de développer son propre système de « practice » ; conformément aux mécanismes de la disruption, le droit à l’erreur est valorisé comme une source d’expérience.

En outre, l’intégration est encouragée au travers d’un processus de responsabilisation qui, à l’intérieur d’un cadre global, rend chaque collaborateur acteur de son mode de fonctionnement. Des séances d’une demi-journée sont régulièrement dédiées à cet exercice sans ordre du jour et sans prérequis.

Partie 2 – Les enjeux du télétravail : management de confiance et d’engagement (William Cargill et Stéphanie Bertacchini)

En parler pour en comprendre les implications parait incontournable.

Ce dispositif est effectivement devenu avec la crise sanitaire le lot commun de la plupart des salariés dont le métier autorisait un travail distanciel (ils n’étaient que 30 % avant la pandémie) en même temps qu’un sujet de nature sociétale (près de 90 % des télétravailleurs souhaitent continuer en raison de la souplesse qu’ils y trouvent, voire de l’efficacité qu’ils en tirent… même si beaucoup soulignent aussi le sentiment de devoir travailler plus ou regrettent la détérioration des relations sociales.

Cela étant, plutôt que de revenir sur les règles de droit qui entourent le télétravail ou sur les aspects matériels qui s’y attachent, il semble intéressant de porter un regard décalé et de prendre de la hauteur, un peu comme on regarderait un labyrinthe du ciel.

La méthode : sortir de la posture de technicien du droit et se placer du point de vue de l’employeur ainsi que de ses collaborateurs pour en tirer des enseignements inédits :

➯ Il n’y a pas de réponse type car l’expérience n’est pas la même d’une entreprise ou d’un salarié à l’autre ; en parti- culier, la prise en compte du prisme personnel justifie d’associer l’ensemble des salariés concernés à la mise en place du régime.

➯ Le télétravail a, de façon incontestable, pris un essor particulier au cours d’un épisode de crise et, de surcroît, il a été en partie subi du fait de sa soudaineté, comme on subit une panne, obligeant à improviser ; cependant une crise n’est pas une panne : il ne s’agit donc pas de réparer mais de se livrer à une approche propre à l’après-crise.

➯ L’erreur serait dès lors d’aller trop vite, au risque d’entériner ce qui s’est passé durant la crise ou de revenir à la période d’avant la crise et de minimiser les enjeux (pour l’entreprise, pour les salariés et aussi pour la société), alors que l’approche qui vient d’être mentionnée vise à se projeter en mode post-crise.

C’est ainsi que deux pistes se dégagent.

En premier lieu, un télétravail réussi est un télétravail responsable qui met en avant la confiance.

Ce qui est en cause à ce stade, c’est le rapport au contrôle. Non pas le contrôle vétilleux dont le code du travail, l’ANI du 26 novembre 2020 sur le télétravail, la CNIL ou la jurisprudence s’emploient à canaliser les excès.

Mais le contrôle en ce qu’il constitue un élément structurant du rapport de travail.

Celui-ci dépend ainsi de la culture de l’entreprise mais aussi du mode de fonctionnement du manager (selon une échelle qui va du manager coercitif ou autoritaire, puis au manager affectif ou démocratique, enfin au manager metteur en scène ou coach).

Il importe en outre de le combiner avec d’autres lignes de conduite qui relèvent autant du style du management et de l’analyse qu’il appartient à chaque employeur d’engager à cet égard, que de la prise en considération des attentes comme des personnalités et caractéristiques comportementales des collaborateurs (capacité à s’impliquer, à s’adapter, à s’organiser).

En second lieu, un télétravail réussi est également un télétravail équilibré qui veille à cultiver l’engagement :

➯ L’engagement autour de l’appartenance à la structure et à un collectif (l’appartenance étant l’un des cinq besoins iden- tifiés par le psychologue Maslow et repris dans une pyrami- de hiérarchisant les besoins qui déterminent la motivation humaine) afin de maintenir une unité et une dynamique.

➯ L’engagement par l’utilisation de leviers : sens, reconnaissance, dimension apprenante, parcours, ambiance, cohérence entre les actions et les valeurs de l’entreprise ; ainsi que par l’acquisition des bénéfices que l’entreprise (en termes de rayonnement, d’harmonie interne, de progression) et les salariés (envie de se dépasser, satisfaction, fierté) peu- vent respectivement en tirer.

➯ L’engagement au travers de la qualité des aménagements entourant le télétravail : adéquation de la répartition entre le travail en présentiel et le travail à distance – comme préconisé par le paragraphe 3.2 de l’ANI du 26 novembre 2021 – ; recherche du bien-être et de la qualité de vie au travail – sur site comme à domicile – ; acceptation de l’usage de « tiers-lieux » ; renforcement du lien grâce au partage d’une vision commune, à la valorisation des notions de proximité et de communauté, à la création de nouveaux rituels ; déploiement des mesures destinées à satisfaire à l’obligation de sécurité…

Tant il est vrai que « c’est la société qui fait évoluer le droit et non le contraire » (Eric Dupond-Moretti).

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