Procédure civile, à n’en plus finir… – Revue ACE n° 155

par Emmanuel RASKIN, Avocat au Barreau de PARIS,

Associé co-gérant SELARL SEFJ, Président National de l’ACE,

Expert près le Conseil National des Barreaux,

Ancien membre du Conseil National des Barreaux et ancien expert près le CCBE, (Conseil des Barreaux Européens)

Trop de mois ce sont écoulés depuis le dernier décret de procédure civile (décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020), énième décret d’application de la réforme de la loi de programmation de la justice (Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice), pour que le justiciable, à peine remis de ses émotions, ne trouve à relire…

Voici un tout nouveau décret publié cet automne : décret n° 2021-1322 du 11 octobre 2021 relatif à la procédure d’in- jonction de payer, aux décisions en matière de contestation des honoraires d’avocat et modifiant « diverses » dispositions de la procédure civile.

https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000044194093

Plutôt que de glauser et de faire un exposé critique, je préfère vous relater une synthèse de ce texte afin de vous per- mettre de vous y sensibiliser très rapidement car les dispositions relatives à son application, nous y sommes habitués, laissent très peu de temps…

Telles en sont les principales dispositions.

Article 1 : Assignation à date, suppression du double délai de placement annuel :

Retenons une modification de l’article 754 du code de procédure civile (CPC) concernant l’assignation à date et de l’article 1108 CPC applicable aux procédures de divorce judiciaire : le texte prévoit la suppression du délai de deux mois, maximum, pour remettre au greffe la copie de l’assignation en cas de prise de date électronique ;

Cet article harmonise les délais de placement de l’assignation à date, quel que soit le mode de communication de la date de l’audience ;

Désormais, sous réserve que la date de l’audience soit communiquée plus de quinze jours à l’avance, la remise doit être effectuée au moins quinze jours avant cette date. Attention si la date est communiquée avant 16 jours… Nous rappelons avoir demandé un seul délai et plus précisément l’application de l’autre délai (deux mois et non ce délai à rebours de 15 jours). Nous avons été entendus à moitié…

Cette disposition entre en vigueur le 14 octobre 2021.

Article 2 : Le dépôt du dossier de plaidoiries :

Le texte opère une modification de l’article 799 du CPC et pré- voit la possibilité pour les parties, via leurs avocats, en procédure écrite et hors la procédure sans audience, de demander à pouvoir déposer leurs dossiers lorsque l’affaire ne requiert pas de plaidoiries.

Insertion d’un alinéa 3 : Le président ou le juge de la mise en état, s’il a reçu délégation à cet effet, peut également, à la demande des avocats, et après accord, le cas échéant, du ministère public, autoriser le dépôt des dossiers au greffe de la chambre à une date qu’il fixe, quand il lui apparaît que l’affaire ne requiert pas de plaidoiries. Prévue à l’article 779 du CPC, cette possibilité avait été supprimée par le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile.

Elle est donc désormais réintégrée.

Article 3 :

  • Sur la conciliation :

Le texte ajoute un alinéa à l’article 820 du CPC pour indiquer expressément que la demande en justice peut être formée aux fins de tentative préalable de conciliation, hors les cas dans lesquels le premier alinéa de l’article 750-1 s’applique, c’est-à-dire les cas dans lesquels l’obligation de tenter un mode alternatif de règlement des différends est un préalable obligatoire à la saisine du juge.

En effet, certaines juridictions s’interrogeaient sur l’utilité du maintien de cette procédure et avaient tendance à considérer qu’elle n’avait plus de raison d’être en jugeant irrecevables les demandes formées dans le but de respecter l’article 750-1. Clarté, clarté…

  • Sur la représentation obligatoire par avocat devant le tribunal de commerce :

Ajout d’un alinéa à l’article 853 du CPC pour affirmer que l’alinéa 1er ne déroge pas à l’alinéa 7 de l’article 2 de la loi n° 2007-1787 du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit : « L’Etat, les régions, les départements, les communes et leurs établissements publics peuvent toujours se faire assister ou représenter par un fonctionnaire ou un agent de leur administration ».

  • Réforme de la procédure d’injonction de payer :

La copie certifiée conforme de l’ordonnance portant injonction de payer est revêtue dès l’origine de la formule exécutoire.

En cas d’acceptation de la requête par le juge, le greffe remet immédiatement au requérant une copie certifiée conforme de la requête et de l’ordonnance revêtue de la formule exécutoire, qu’il lui appartiendra de signifier au débiteur, et lui restitue les documents produits.

Les documents justificatifs produits à l’appui de la requête sont signifiés au débiteur avec la copie certifiée conforme de la requête et de l’ordonnance revêtue de la formule exécutoire.

L’acte de signification indique de manière très apparente le délai dans lequel l’opposition doit être formée, le tribunal devant lequel elle doit être portée ainsi que les modalités selon lesquelles ce recours peut être exercé ;

A l’expiration du délai d’opposition et en l’absence d’opposition du débiteur, le débiteur ne pourra plus exercer aucun recours et le créancier pourra mettre en œuvre des mesures d’exécution forcée, pas avant.

Le délai d’opposition est suspensif d’exécution. L’opposition formée dans ce délai est également suspensive. L’ordonnance ne constitue ainsi un titre exécutoire et ne produit les effets d’un tel titre ou d’une décision de justice qu’à l’expiration du délai d’opposition. En l’absence d’opposition, l’ordonnance produit alors tous les effets d’un jugement contradictoire. Elle n’est pas susceptible d’appel même si elle accorde des délais de paiement.

Cette réforme implique une seule signification de l’ordonnance portant injonction de payer — au lieu de deux actuellement. Elle est motivée par un allègement du travail des greffes.

Cet article 3 entrera en vigueur à une date fixée par arrêté du Garde des sceaux, ministre de la justice, et au plus tard le 1er mars 2022.

Article 4 : Sur la procédure participative aux fins de mise en état :

  • Fin de la purge automatique des vices de procédures et FNR :

Le décret modifie l’article 1546-1 CPC et supprime le caractère automatique de la purge des vices de procédure et fins de non-recevoir qui étaient attachés à la conclusion d’une convention de procédure participative aux fins de mise en état (CCPME) :

Ajout de l’alinéa suivant : Les parties ont, à tout moment, la possibilité de renoncer expressément à se prévaloir de toute fin de non-recevoir, de toute exception de procédure et des dispositions de l’article 47 du présent code, à l’exception de celles qui surviennent ou sont révélées postérieurement à la signature de la convention de procédure participative.

En pratique, ce mécanisme introduit pour rationaliser la procédure, était décrit comme un obstacle au recours à la CCPME.

•  Valeur du rapport d’expertise :

Le rapport du technicien, auquel les parties peuvent recourir en application de l’article 1546-3 4° du code de procédure civile, a expressément valeur de rapport d’expertise judiciaire (nouvel article 1554 CPC), ce dont on ne peut que se féliciter.

Cette disposition revient ainsi sur la jurisprudence de la Cour de cassation (Civ 2e, 13 septembre 2018, n° 17-20.099) selon laquelle le juge ne peut pas se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties, peu important qu’elle l’ait été en présence de l’en- semble de celles-ci.

Cette disposition entrera en vigueur le 1er novembre.

Le CNB publiera une guide de la Procédure participative aux fins de mise en état, qui sera mis à jour dans les prochains jours.

Article 5 : Annexe du code de procédure civile relative à son application dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle :

Modification du Chapitre II relatif aux dispositions particulières au tribunal judiciaire pour mise en cohérence du renvoi à l’article 56 du CPC.

Article 6 : Les décisions rendues par le bâtonnier en matière de fixation des honoraires :

  • Article. 175-1. (Nouveau) :

Alinéa 1 : La décision du bâtonnier peut, même en cas de recours, être rendue exécutoire dans la limite d’un montant de 1 500 euros, ou, lorsqu’il est plus important, dans la limite des honoraires dont le montant n’est pas contesté par les parties. Ce montant doit être expressément mentionné dans la décision. Les articles 514-3 à 514-6 du code de procédure civile s’appliquent en cas de recours devant le premier président de la cour d’appel.

Pour une part des honoraires (jusqu’à 1 500 euros ou jus- qu’à l’accord des parties s’il porte sur un montant supérieur), les décisions du bâtonnier peuvent toujours être rendues exécutoires nonobstant l’exercice d’un recours ou pendant le délai de recours.

La décision du bâtonnier est rendue exécutoire par ordonnance du président du tribunal judiciaire à la requête, soit de l’avocat, soit de la partie, nonobstant l’existence d’un recours ou le non-écoulement du délai de recours (voir infra 178 CPC nouveau).

Le plein droit n’existe pas et n’est pas consacré. Carence textuelle ou volonté de confirmer le refus d’une telle consécration ?

Alinéa 2 : Pour les honoraires excédant le montant fixé en application du premier alinéa, le bâtonnier peut, à la demande d’une des parties, décider, s’il l’estime nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire, que tout ou partie de sa décision pourra être rendue exécutoire même en cas de recours. Il peut assortir sa décision de garanties dans les conditions et selon les modalités prévues aux articles 517 et 518 à 523 du code de procédure civile. Les articles 517-1 à 517-4 du même code s’appliquent en cas de recours formé devant le premier président de la cour d’appel.

Au-delà des sommes visées par l’alinéa 1, le bâtonnier peut décider que ses ordonnances de taxe pourront être rendues exécutoires, dans les mêmes conditions.

Dans ce cadre, il peut décider aussi :

D’assortir sa décision de garanties ;

De permettre au premier président d’arrêter l’exécution forcée ou de l’aménager.

Alinéa 3 : Les dispositions des alinéas précédents ne sont pas applicables à la part des honoraires fixés en exécution d’une convention établie sur le fondement du cinquième alinéa de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971 susvisée.

Les honoraires de résultat sont exclus.

  • Article 177 du CPC modifié :

L’avocat et la partie sont convoqués, au moins huit jours à l’avance, par le directeur de services de greffe judiciaire, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

Le premier président les entend contradictoirement. Il peut, à tout moment, renvoyer l’affaire à la cour, qui procède dans les mêmes formes.

Le premier président peut ordonner la radiation du rôle de l’affaire dans les conditions fixées aux premier, septième et huitième alinéas de l’article 524 du code de procédure civile. (Nouveau)

L’ordonnance ou l’arrêt est notifié par le greffier en chef par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

  • Article 178 CPC (Nouveau) :

Lorsque la décision prise par le bâtonnier n’a pas été déférée au premier président de la cour d’appel ou lorsqu’il a été fait application des dispositions de l’article 175-1 (nouveau) elle peut être rendue exécutoire par ordonnance du président du tribunal judiciaire à la requête, soit de l’avocat, soit de la partie.

Ces dispositions sont applicables aux réclamations intro- duites à compter du 1er novembre 2021.

Article 7 : Adhésion de la France à la convention de Lugano concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale pour son application dans certains territoires d’outre-mer :

Modification de l’article 1578 du SCPC : le président de la chambre des notaires est compétent pour recevoir les requêtes aux fins de certification, de reconnaissance ou de constatation de la force exécutoire des actes authentiques notariés étrangers.

*

L’application dans le temps de ces nouvelles dispositions est régie par l’article 8 du décret qui dispose que son entrée en vigueur est, en principe, le 1er novembre 2021. Il est applicable aux instances en cours à cette date.

Des exceptions sont toutefois prévues :

L’article 1er entre en vigueur au lendemain de la publication du présent décret, donc le 14 octobre 2021 (assignation, date, délai de placement).

L’article 3 entre en vigueur à une date fixée par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, et au plus tard le 1er mars 2022 (notamment procédures en injonction de payer).

L’article 6 est applicable aux réclamations introduites à compter de la date d’entrée en vigueur du présent décret, donc à compter du 1er novembre 2021 (procédure en matière de fixation des honoraires de l’avocat).

Le 2° de l’article 7 est applicable à compter de la date de l’entrée en vigueur de la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, faite à Lugano le 30 octobre 2007 dans les territoires visés par la loi du 26 septembre 2019 susvisée.

Bon courage…

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