Le financement de procès par un tiers n’est pas qu’une affaire de gros sous ! – Revue ACE n° 155

par Valérie MORALES,

Avocat au barreau de Paris (Marvell Avocats),

Présidente de la Commission Contrats d’affaires

Le financement de procès par un tiers a le vent en poupe depuis quelques années. Bien connu du monde de l’arbitrage international, ce système s’est étendu tout naturellement au financement de procès devant les juridictions étatiques.

Le Barreau de Paris et le CNB ont bien compris l’intérêt de ce mécanisme : formidable outil pour rétablir l’égalité des parties dans l’accès à la justice, il ouvre aux avocats des perspectives, sous réserve de certains garde-fous déontologiques.

Rétablir l’égalité dans l’accès à la justice.

Nous avons tous reçu un jour dans nos cabinets un client, particulier ou chef d’entreprise, qui a dû renoncer à engager un procès parce qu’il ne pouvait ni assumer le coût de nos honoraires ni endurer les frais du procès sur plusieurs années. Pour rétablir l’égalité entre les parties dans l’accès à la justice, on pense alors à l’orienter vers une société de finance- ment de procès (SFP) ou Third Party Funding (TPF).

Comment ça marche ?

Le financeur prend à sa charge tout ou partie des coûts d’un procès, et le cas échéant, les frais de recouvrement nécessaires après l’obtention de la décision de justice ou de la sentence arbitrale.

En contrepartie, il perçoit une rémunération calculée en pourcentage des sommes allouées par la décision ou recouvrées à l’issue de l’action (entre 20 et 60 % selon les sociétés).

L’intérêt est de reporter tous les risques financiers liés à la procédure sur l’investisseur. En cas d’échec, il ne percevra aucune rémunération. En cas de succès, le financeur récupèrera un pourcentage convenu sur le gain obtenu.

Le mécanisme peut se mettre en place à tout moment du procès : avant l’engagement de l’action, pendant le procès, ou au stade du recouvrement des sommes allouées par la décision.

Les tiers financeurs sont généralement des fonds d’investissement spécialisés, des institutions financières, des banques ou des compagnies financières.

Et c’est licite en droit français ?

En France, le financement de procès par un tiers est soumis aux seules dispositions contractuelles discutées entre les parties.

S’agissant de sa qualification, le contrat proposé par le tiers financeur implique un certain nombre de prestations de nature composite, ce qui a conduit la doctrine à s’interroger sur sa qualification et sa licéité en droit français1.

Ce n’est ni un contrat d’assurances (absence d’aléa sur la survenance de l’évènement qu’est l’action en justice), ni un contrat de prêt (la partie financée n’a pas d’obligation de remboursement des sommes).

La jurisprudence semble opter pour la qualification de contrat d’entreprise, puisque la rémunération de l’investisseur peut faire l’objet d’une réfaction lorsqu’elle est jugée excessive2.

La doctrine considère qu’il s’agit d’un contrat sui generis, licite si ses clauses ne sont pas déséquilibrées ou inéquitables au sens du droit français.

Mais que fait le financeur ?

Eh bien, comme son nom l’indique, il finance les frais du procès !

Les obligations peuvent varier d’un contrat à un autre, mais la prestation de services offerte par le financeur est, avant tout, une avance de trésorerie étroitement associée à un diagnostic et à un suivi du contentieux.

Les tiers financeurs comptent, parmi leurs équipes, des juristes et des experts techniques, dont la mission est de proposer un premier filtrage des dossiers soumis par le client désireux de faire financer son contentieux.

Ils assurent, ensuite, le suivi du procès en lien avec le client et son avocat. Selon la nature des obligations proposées par

le tiers financeur, on distingue, à ce stade, les tiers « actifs » qui participent à la conduite du procès (comme le ferait un assureur), des tiers « passifs » qui se contentent de financer le procès.

Faites du TRI !

S’agissant d’un investissement, il est évident que le financeur n’investira dans une action en justice que si elle représente un espoir de rentabilité financière pour lui. On entre dans un mécanisme de « financiarisation » de l’action en justice avec nécessité d’un taux de retour sur investissement.

Le tiers financeur ne finance, en principe, que les dossiers en demande, et ceux où l’intérêt du litige dépasse un mon- tant plancher (variable, cependant, selon les sociétés de financement).

Les dossiers font l’objet d’un examen préalable rigoureux dans le cadre de due diligences tenant compte de la valeur nette de la demande, des coûts prévisibles de la procédure, de la solvabilité du défendeur, des chances de recouvrement des sommes allouées et de la durée prévisionnelle du litige.

Le taux de rentabilité de l’opération étant le critère de sélection premier, ce sont évidemment les litiges les plus rentables qui attireront les tiers financeurs (en général, un rendement minimum de 3 à 4 fois les sommes investies).

Les rémunérations prélevées peuvent aussi varier grandement

: les tiers américains se font rémunérer entre 20 et 50 % des indemnités reçues, tandis que les sociétés australiennes font état de pourcentages compris entre 30 et 60 %. Certains tiers combinent l’application d’un pourcentage au remboursement des frais par le client.

Le financeur n’étant pas soumis à l’interdiction du pacte de quota litis, il a tout à fait le droit de se faire rémunérer en pourcentage du résultat.

Des perspectives pour les avocats

Cet audit économique va évidemment de pair avec un audit juridique réalisé en collaboration avec des avocats. Car le choix des dossiers à financer implique une analyse préalable des chances de succès de l’action, de son fondement juridique, la mise en place d’une stratégie avec l’éventuel recours à des mesures d’instruction pour recueillir des pièces avant le pro- cès ou à des mesures conservatoires pour sécuriser la créance contre le débiteur.

La collaboration avec le financeur constitue dès lors un marché intéressant pour les avocats spécialistes de contentieux

puisqu’ils sont nécessairement sollicités dans la phase d’audit préalable.

Quant à l’avocat choisi par le client pour gérer le dossier, il aura l’assurance d’être rémunéré pour ses prestations.

Et la déontologie alors ?

L’introduction d’un tiers dans les rapports entre l’avocat et son client est potentiellement source de difficultés déontologiques pour l’avocat. Car il faut bien comprendre que le client financé est la seule partie à l’instance et que le financeur restera un tiers au procès même s’il paie les honoraires de l’avocat. Le rôle du financeur dans le paiement des honoraires et son mode de rémunération calculé en pourcentage des sommes obtenues impliquent évidemment un risque fort d’intervention dans la conduite du procès.

D’où la question de savoir : qui est le client de l’avocat : est- ce la partie financée et elle seule ? est-ce le financeur ? Ou les deux à la fois ?

De cette question, découlent celles de savoir à qui l’avocat doit rendre des comptes, qui peut lui donner des instructions sur la conduite du procès voire même si l’existence de ce contrat de financement par un tiers doit être révélé.

Que disent le Barreau de Paris et le CNB ?

Nos instances se sont intéressées à ce sujet récemment après avoir constaté l’absence de toute règlementation contraignante en France – à l’exception de certains guides pratiques et codes éthiques élaborés dans un cadre institutionnel, donc non contraignant3.

Le CNB a adopté une résolution sur le Third Party Funding lors de sa session des 20 et 21 novembre 2015, appelant à l’installation en France de fonds dédiés au financement de procès. Il a rappelé le principe d’indépendance de l’avocat à l’égard du fonds et proposé une convention-type de financement de ces procédures.

Le Conseil de l’Ordre de Paris a adopté une résolution consacrée au financement de l’arbitrage par les tiers, lors de sa séance du 21 février 2017 et formulé quatre recommandations pratiques4.

Les quatre recommandations faites à l’avocat de la partie financée.

La première règle est que l’avocat a pour seul client, la partie financée, même s’il est payé par le tiers financeur. L’avocat reste donc tenu de ses obligations d’assistance, de représentation, de conseil et de loyauté à l’égard de la partie financée, qui demeure son seul client.

Le Conseil de l’Ordre a rappelé que l’article 1342-1 du Code civil permet le règlement des honoraires par un tiers et que cela ne confère pas pour autant au financeur la qualité de client de l’avocat.

A cet égard, il faut relever que le Bâtonnier de Paris s’est déclaré incompétent pour connaître des difficultés de recouvrement d’honoraires d’un confrère envers un tiers financeur5, ce qui risque de placer l’avocat dans une situation de déni de justice, puisque le Bâtonnier a compétence exclusive pour connaître de tout litige sur les honoraires des avocats. Le Conseil de l’Ordre recommande donc de préciser la compétence du Bâtonnier pour toute difficulté concernant les frais et honoraires en présence d’un tiers financeur, soit dans le RIN soit dans le contrat de financement.

Deuxième recommandation : le secret professionnel et la confidentialité. L’avocat étant tenu au secret professionnel à l’égard de son client, il ne peut pas révéler au tiers financeur des informations reçues du client sous peine de sanctions pénales et disciplinaires. Il n’a pas le droit de le tenir informé du suivi du procès : la divulgation de ces informations ne peut donc émaner que du client lui-même.

Troisième recommandation, et elle est spécifique à l’arbitrage : la révélation de l’existence d’un financement par un tiers. L’avocat représentant une partie financée doit inciter son client à révéler aux arbitres l’existence et le nom du financeur. Cette règle sera nécessaire pour éviter tout conflit d’indépendance entre les arbitres et l’une des parties à l’arbitrage, et derrière celle-ci, la partie qui finance. L’absence d’une telle révélation se conçoit pour éviter de faire courir à la sentence un risque d’annulation en cas de découverte tardive de liens entre un financeur et un arbitre.

Enfin, quatrième recommandation : les financeurs sont demandeurs de la garantie que la CARPA leur offre pour le paiement de leur rémunération contractuelle. L’avocat est donc invité à recommander à son client de prévoir la gestion du contrat de financement, la distribution des frais et honoraires et le recouvrement des condamnations via la CARPA.

Et maintenant, le Parlement Européen. Après un rapport du 15 juin 2021, le Parlement Européen a prévu de discuter en novembre 2021, d’un projet de directive sur le financement des procès par un tiers. Actualité brûlante.

Affaire à suivre très vite, donc…

  1. Très peu de décisions ont été rendues en France sur la question : Versailles, 1er juin 2006, RG n° 05/01 038 ; Cass. civ. 1, 23 novembre 2011, n˚ 10-16.770, FS-P+B+I.
  2. Cass. civ. 1, 23 novembre 2011 précité.
  3. ICC France : « Guide pratique sur le financement de l’arbitrage par les tiers », 2014 ; Rapport de la Commission ad hoc « Financement de procès par les tiers », du Club des juristes, publié en juin 2014 : https://www.leclubdesjuristes.com/les-commissions/commission-ad-hoc-financement-de-proces-par-un- tiers/
  4. https://www.avocatparis.org/system/files/publications/resolution_financement_de_larbitrage_par_les_tiers.pdf
  5. Décision du Bâtonnier du 10 mai 2016.

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