La revue de l’ACE n°158 – Le Paritarisme et l’ANI du 14 avril 2022

CONTRIBUTION DU SE ACE, par Guy Martinet, Président du SE ACE

Le domaine du paritarisme

Le SE ACE a eu l’occasion d’évoquer précédemment (Revue de l’ACE n° 155/janvier 2022, article intitulé «Adhérer au SE ACE !») cet objet du droit syndical parfaitement identifié mais mal connu et, il est vrai, parfois un peu nébuleux, qu’est le paritarisme.

Pour aller à l’essentiel, le paritarisme en matière syndicale désigne un système d’organisation qui repose sur la parité, non pas celle du genre ou de l’égalité entre les hommes et les femmes, mais celle qui met en scène à égalité de représentation les partenaires sociaux, c’est-à-dire les acteurs du dialogue social.

Le paritarisme concerne en effet les deux parties que sont les organisations syndicales de salariés, d’une part, et les organisations professionnelles d’employeurs (ou encore organisations patronales), d’autre part, représentatives au niveau national (multi-professionnel ou interprofessionnel) ou au niveau des branches professionnelles.

Rappelons au passage que le même objectif de parité se retrouve dans les juridictions instituées pour trancher des litiges opposant des catégories différentes et au sein desquelles siègent des juges appartenant à part égale auxdites catégories ; tel est le cas des conseils de prud’hommes, chargés du contentieux du droit du travail et dont les sections sont composées d’un collège employeurs et d’un collège salariés comprenant un nombre égal de conseillers.

On distingue usuellement deux formes de paritarisme : le paritarisme de négociation et le paritarisme de gestion :

  • l’objet du premier est la négociation entre les partenaires sociaux des conventions et accords collectifs ou de leurs avenants qui régissent les rapports entre l’ensemble des entreprises et des salariés sur le plan national ou au sein des branches ;
  • le second recouvre la présence paritaire des organisations syndicales et patronales dans l’enceinte des organes de gouvernance des différentes institutions que lesdites branches ont mises en place, en particulier, dans le domaine de la formation, du logement, de la protection sociale, de la prévoyance et de la retraite complémentaire, de l’assurance chômage.

Le concept de paritarisme est donc au cœur de la mécanique syndicale et des relations qui fondent le dialogue social.

Le contexte de l’ANI du 14 avril 2022

C’est la raison pour laquelle les partenaires sociaux ont entendu, par un premier ANI du 17 février 2012 relatif à la modernisation et au fonctionnement du paritarisme, exprimer leur volonté commune de convenir d’un fonctionnement paritaire exemplaire, fondé sur la considération que «la gestion paritaire apporte une contribution significative à la cohésion sociale et au progrès social».

Précisons que ce texte s’inscrivait plus particulièrement dans le prolongement de la loi n° 2007-130 du 31 janvier 2007 de modernisation sociale, dite loi Larcher, qui avait introduit dans le code du travail un titre préliminaire dédié au «Dialogue social» (aujourd’hui les articles L. 1 à L. 3. dudit code).

Il s’était ainsi donné pour objet de fixer les modalités de ce dialogue social :

  • en plaçant les partenaires sociaux au cœur de la conception des réformes,
  • en redéfinissant à cet effet les rapports entre le gouvernement et les partenaires sociaux,
  • en posant le principe d’une concertation préalable, organisée sur la base d’un document d’orientation, et d’une information réciproque.

Par ce nouvel ANI du 14 avril 2022, dont l’ambition est de promouvoir «un paritarisme ambitieux et adapté aux enjeux d’un monde du travail en profonde mutation», comme l’indique son titre, les partenaires sociaux se sont attachés à préciser, pour les améliorer et les compléter, les stipulations de son prédécesseur, conclu dix ans plus tôt.

Le contenu de l’ANI du 14 avril 2022

PRÉAMBULE

Cet ANI, dont le processus d’élaboration a débuté en mars 2021, a pour cadre le paritarisme au niveau national interprofessionnel. Les partenaires sociaux réaffirment tour à tour :

  • leur détermination à être les acteurs de la consolidation et du renouvellement de la «démocratie sociale», ceci supposant de la revitaliser et de mieux articuler ce qui relève de la loi et ce qui relève de l’accord collectif ;
  • leur responsabilité dans les deux champs du paritarisme que sont la négociation collective et la gestion des organismes paritaires chargés, notamment, de la protection sociale (retraites complémentaires en particulier) ou de la sécurisation des parcours professionnels (accompagnement des cadres, logement des salariés, allocations d’assurance chômage, formation professionnelle…).

A cet effet, les partenaires sociaux ont résolu d’articuler leur accord autour de trois axes :

  1. Instauration d’un dialogue social continu, visant à conférer un cadre aux négociations interprofessionnelles reposant sur un agenda économique et social paritaire autonome ainsi que sur un corpus de bonne pratiques destinées à favoriser des conditions de loyauté et de confiance mutuelle entre les parties.
  2. Clarification de l’articulation des rôles respectifs des partenaires sociaux et des pouvoirs publics, en définissant les compétences de chacun dans leur champ respectif pour éviter que l’action des partenaires sociaux soit préemptée et garantir la transposition fidèle et l’extension des ANI.
  3. Amélioration des règles de fonctionnement, de transparence et de gestion du paritarisme, afin d’en renforcer les atouts

PREMIER AXE : INSTAURER UN DIALOGUE SOCIAL CONTINU

A – SUR LA PLACE DU DIALOGUE SOCIAL

Art. 1 Les fondements

Le dialogue social vise, en passant par la négociation collective, à la construction d’un corpus de normes sociales constituant l’intérêt général et le bien commun.

À cet effet, les partenaires sociaux – i.e. les organisations syndicales (OS) et professionnelles (OP) représentatives au plan national et interprofessionnel2 – doivent disposer de la capacité :

  • à définir eux-mêmes les thèmes de négociation,
  • à agir de manière concertée avec les pouvoirs publics, ce qui implique que l’Etat ne doit pas préempter l’intervention des partenaires sociaux et ne doit intervenir qu’après concertation.

Art. 2 Le périmètre

La négociation nationale interprofessionnelle englobe d’abord l’ensemble des sujets qui concernent toutes les entreprises et leurs salariés sur l’ensemble du territoire national dans le respect des prérogatives des branches professionnelles.

L’ANI identifie ainsi :

  • les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi, la formation professionnelle, la santé au travail, la protection sociale, les dispositifs d’aide à l’accès au logement ou de sécurisation des parcours professionnels,
  • et la possibilité d’élargir le champ aux mutations qui transforment la société et, plus généralement à tous sujets que les partenaires sociaux décident de mettre à l’ordre du jour.

Il est en outre rappelé que le dialogue social interprofessionnel territorial ne peut avoir de portée normative mais peut revêtir la forme de débats, d’expérimentations sociales ou de position commune sur les enjeux au plan local ou régional.

Art. 3 Les productions

L’ANI distingue trois catégories de production :

  • celles dont la vocation est d’avoir des effets de droit présentant un caractère normatif ;
  • celles dont la vocation est d’expliciter les positions des partenaires sociaux ;
  • celles qui portent sur des expérimentations ou des innovations sociales (qualifiées d’«impulsion»).

B – SUR LES CONDITIONS D’UN DIALOGUE ECONOMIQUE ET SOCIAL -> Autonome, dynamique et constructif

Art. 4.1 L’institution d’une espace de dialogue social -> autonome

L’objectif de cet espace est de permettre en temps réel :

  • de faire des points de situation économique et sociale, de confronter les points de vue, d’anticiper les mutations ayant un impact sur l’emploi et le travail,
  • de définir les chantiers ou négociations à ouvrir et arrêter la liste des accords/dispositifs à évaluer.

Art. 4.2 La mise en place d’un agenda économique et social autonome

Cet agenda est à élaborer :

  • par les partenaires sociaux exclusivement ;
    à l’issue d’un débat sur les sujets inscrits par chaque organisation visant à prioriser les thèmes de négociations et chantiers à conduire, tels qu’actés ensuite par un relevé de décisions ;
  • avant le 31 janvier de chaque année.

Art. 4.3 L’organisation d’un suivi de réalisation de l’agenda

Ce suivi sera assuré dans le cadre de l’espace social. Il se traduira par un bilan annuel des travaux accomplis et des textes conclus, destiné à être transmis au gouvernement et au Parlement.

Les accords signés donneront lieu à :

  • à l’établissement d’un plan de valorisation de ces accords en vue d’une meilleure appropriation par les branches professionnelles, les entreprises et les salariés ;
  • si besoin, à un processus d’interprétation de ces accords (en l’absence de dispositions spécifiques).

C – SUR LES REGLES DE LA NEGOCIATION

Art. 6 Les principes

La négociation doit respecter le principe de loyauté (article 1104 c. civ.). Elle suppose une confiance mutuelle.

Art. 7 Le processus

La négociation sera précédée d’une phase d’évaluation et de bilan aux fins d’état des lieux sur l’environnement économique et social.

À cet effet, les partenaires sociaux pourront (si besoin au travers de groupes de travail) recourir à des analyses de bonnes pratiques, à des comparaisons européennes, à des auditions, à des études d’impact.

Les accords devront prévoir des indicateurs de suivi adaptés aux objectifs poursuivis par l’accord.

Art. 8 L’organisation

Cet article énonce un certain nombre de modalités pratiques telles que, entre autres :

  • la définition paritaire d’un lieu de négociation,
  • la fixation d’une méthode,
  • la diffusion des contributions et leur partage afin
  • d’assurer une égalité d’information,
  • la détermination des délégations,
  • la tenue des séances (calendrier, horaire, etc.).

L’ANI souligne que les échanges sont soumis au principe de la confidentialité et de la non-diffusion aux médias ou aux réseaux sociaux. Sans préjudice de la liberté de parole des organisations.

DEUXIÈME AXE : CLARIFIER L’ARTICULATION DES RÔLES RESPECTIFS DES PARTENAIRES SOCIAUX ET DES POUVOIRS PUBLICS

Art. 5.1 Avant tout projet de réforme

Le gouvernement est fondé à définir les objectifs politiques.

Il lui est demandé :

  • d’expliciter ses objectifs et motivations en amont ;
  • d’engager à cet effet une concertation préalable.

C’est en revanche aux partenaires sociaux qu’il appartient de définir les voies et moyens d’atteindre les objectifs.

Ainsi, le document d’orientation que l’article L. 1 du code du travail invite le gouvernement à communiquer pour expliciter ses objectifs :

  • doit laisser toute sa place à la négociation,
  • ne doit présumer :
    • ni des options qui seront retenues dans la négociation – les partenaires sociaux étant fondés à décider d’aller au-delà du contenu de ce document -,
    • ni des délais que les partenaires se fixeront pour la mener à bien.

En cas de déclaration d’urgence sur un projet de réforme par le gouvernement, celle-ci doit être définie et explicitée ; elle ne doit pas faire obstacle à la négociation.

Art. 5.2 Après signature d’un accord

(a) La transposition législative

  • Elle doit être la plus fidèle possible aux stipulations de l’accord.

Ceci implique que les signataires puissent présenter et commenter l’accord conclu auprès des services de l’Etat et des parlementaires.

  • En cas d’écart (avec la lettre comme avec l’esprit de l’accord) :
    • un dialogue argumenté entre les signataires et les pouvoirs exécutif et législatif doit être organisé ;
    • les partenaires ont la faculté de saisir les parlementaires de projets d’amendements communs.

(b) L’extension

L’accord devra préciser s’il est destiné ou non à faire l’objet d’une extension.

Dès lors que l’extension est demandée, celle-ci est réputé acquise automatiquement à l’issue d’un délai maximum de six mois après signature.

Les signataires de l’ANI demandent que la Commission nationale de la négociation collective, de l’emploi et de la formation professionnelle (CNNCEFP) favorise un réel échange sur les orientations et la stratégie du gouvernement ainsi qu’une réelle prise en compte des avis des partenaires sociaux.

Les partenaires considèrent enfin que l’appréciation en opportunité des accords relèvent de leurs prérogatives.

TROISIÈME AXE : AMÉLIORER LES RÈGLES DE FONCTIONNEMENT, DE TRANSPARENCE ET DE GESTION DU PARITARISME

L’U2P a entendu faire inscrire la précision que «Les organisations gestionnaires des organismes paritaires de niveau national sont les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national interprofessionnel.»

Art. 9 Au regard de la raison d’être
-> mise en avant de la notion de service rendu aux bénéficiaires

La raison d’être du sens et de la mission des organismes paritaires devra être formalisée à l’occasion de la modification de l’accord constitutif des organismes paritaires.

Les organismes paritaires gèrent des dispositifs mutualisés au bénéfice des salariés et des entreprises, d’où deux conséquences :

-> les organismes paritaires ont une responsabilité en matière de service rendu et de transparence ainsi que de bonne gestion ;
-> les partenaires sociaux ont à évaluer de façon transparente la qualité, la pertinence, l’efficience du service rendu ainsi que sa conformité aux règles qui ont présidé à sa création.

Cette évaluation devra être menée sur la base des dispositions suivantes :

  • Faciliter l’accès au droit des bénéficiaires potentiels au travers d’une bonne information, d’un accompagnement si nécessaire, voire d’une automaticité.
  • Assurer une fonction de médiation entre bénéficiaires et organismes et publier annuellement un rapport de médiation ayant pour objectif de déterminer les travaux en vue de la simplification ou de l’adaptation des prestations.
  • Communiquer sur le service rendu et la nature des prestations, en valorisant l’apport de la gestion paritaire.

Art. 10 Au regard de la recherche d’une gestion financière équilibrée

L’ANI met à la charge des négociateurs des accords de veiller au respect des principes budgétaires par les organismes gestionnaires, en définissant :

  • les règles d’appréciation de l’équilibre financier ;
  • les modalités d’un dispositif d’alerte des partenaires sociaux en cas de risque de déséquilibre financier ;
  • les conditions de recours à la garantie de l’Etat si nécessaire.

En matière de contrôle :

-> rendre les organisations siégeant au conseil d’administration des organismes paritaires destinataires des résultats du bilan de fin de mandat ;
-> généraliser à l’ensemble des organismes paritaires la mise en place d’un comité d’audit et de gestion des risques.

En matière de financement du paritarisme :

L’ANI prolonge la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, qui a prévu de confier le financement mutualisé des OS et des OP à un fonds géré par une association paritaire de financement du dialogue social, l’AGFPN (association de gestion du fonds paritaire national), habilité à recevoir toute ressource prévue par un accord.

A cet effet, il demande aux négociateurs, lors de la prochaine négociation afférente à chacun des organismes paritaires, de confier à l’AGFPN, au plus tard le 1er janvier 2026, la gestion des dotations aux OS et aux OP prévues au sein de chaque organisme et de leur répartition.

Des discussions seront engagées entre les signataires de l’ANI et l’AGFPN afin de définir les modalités techniques lui permettant d’assumer cette mission.

Art. 11 Au regard des règles de gouvernance

L’ANI prévoit tout d’abord de généraliser le principe d’une lettre de mission de nature à clarifier les responsabilités respectives :

  • du directeur général au sein de chaque organisme paritaire, auquel il appartient de préparer les dossiers portés à la décision du conseil d’administration,
  • et de la gouvernance paritaire.

L’ANI entend ensuite encadrer les mandats d’administrateur attribués par les OS et les OP pour être représentés au sein des organismes paritaires.

En premier lieu, l’exercice d’un mandat implique :

  • une connaissance éclairée de la mission et des responsabilités s’y attachant,
  • une assiduité qu’il revient aux organisations de contrôler (au travers d’un suivi de participation fourni chaque année par les présidences des organismes paritaires pour leur permettre de statuer, le cas échéant, sur la poursuite du mandat), en veillant à appliquer le principe de suppléance.

En deuxième lieu, les organisations sont invitées :

  • à adopter une charte déontologique avant le 31 décembre 2023,
  • à mettre en place une fonction interne de conseil en déontologie.

En troisième lieu, l’ANI souligne la nécessité pour les organisations de respecter la parité femmes/ hommes (avec un écart maximal de 1 personnes entre chaque genre en cas de désignation d’un nombre impair de représentants).

Enfin l’ANI met l’accent sur la formation des administrateurs et la reconnaissance de leurs compétences :

  • formation technique, à la charge des organismes paritaires, laquelle :
    • fait l’objet d’un référentiel déterminé par les négociateurs et, le cas échéant, d’une certification partielle par bloc de compétence,
    • doit être poursuivie tout au long du mandat,
    • requiert un processus de validation de l’expérience acquise par les administrateurs (dans des conditions de reconnaissance dont l’examen est confié à un groupe de travail) ;
  • formation politique, à la charge des organisations patronale et syndicale.

NB Par application des dispositions de l’article L. 2232-3 du code du travail, un groupe de travail est chargé, notamment, de procéder à un bilan des moyens dévolus aux organisations (conditions de maintien des revenus, de remboursement des frais, etc.) afin de soutenir l’investissement des administrateurs, qu’ils soient salariés ou employeurs (conclusions et préconisations du groupe de travail à remettre aux signataires avant le 31 décembre 2022).


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