Commission statut professionnel de l’avocat (SPA) du CNB – Revue ACE n° 155

Par Philippe TOUZET

Avocat,

Président de la Commission Statut professionnel de l’Avocat

Le 28 décembre 2020, je publiai sur mon blog www.para- bellum.pro un article intitulé « 3208 et 60 mercis ! Et maintenant au boulot ! », afin de remercier les électeurs du barreau de Paris et les membres du conseil national des barreaux, lesquels m’avaient successivement élu comme membre du CNB, sur la liste ACE, et à la présidence de la commission du statut professionnel de l’avocat.

J’ai pris mes fonctions début janvier, et si j’avais anticipé l’important travail que cette commission nécessite, je dois avouer que je l’avais sous-estimé, en particulier l’urgence permanente dans laquelle nous devons prendre en charge des réflexions qui nous sont soumises avec des délais toujours plus contraints par les pouvoirs publics. Il ne s’est pas écoulé un mois, entre chaque assemblée générale, sans qu’un nouveau projet nous « tombe dessus » littéralement, et qu’il faille, toutes affaires cessantes, entreprendre une analyse approfondie sur des sujets qui mettent en jeu de façon parfois cruciale l’activité des membres de notre profession.

J’ai toutefois le bonheur, dans cette tâche, de présider une com- mission formidablement composée d’environ 25 membres et experts, qui travaillent avec dévouement, compétence et une remarquable disponibilité sur des sujets généralement très complexes. Je ne peux tous les nommer, mais qu’ils soient ici à nouveau remerciés ; je pense tout particulièrement au vice-président de la commission, Monsieur le Bâtonnier Vincent Maurel, et à Monsieur Olivier Ziegler, juriste attaché à la commission, qui réalise un travail exceptionnel au soutien des élus, et que je remercie d’autant plus qu’il quittera hélas bientôt cette com- mission pour prendre d’autres fonctions au Conseil national. Tout ce « savoir-faire » nécessite cependant un peu « faire- savoir », et il est grand temps, en cette rentrée 2022, de faire un point d’étape et de vous présenter les travaux entrepris par la commission SPA, qui tous, sont en cours, et tendent à réformer des pans entiers de notre statut professionnel.

  • Création d’un guide de procédure en matière de litiges professionnels

Les difficultés entre avocats sont régis par les art. 21 L.71,142 et s. et 179-1 et s. du D. 91. Dans le RIN, il n’existe aucune disposition. Certains barreaux, comme Paris, disposent de dispositions complémentaires mais la jurisprudence considère que les règlements intérieurs des barreaux n’ont pas de caractère obligatoire pour les avocats. Donc il n’existe à ce sujet aucun texte. Or, ces litiges font l’objet d’une jurisprudence abondante qui définit un régime strict qui n’est pas toujours connu des Ordres, ce qui peut engendre des difficultés pour les confrères, parties à ces litiges, et conduire à une situation disharmonieuse d’un barreau à l’autre, ainsi qu’à des annulations de sentence.

La commission travaille depuis le début de la mandature à la rédaction d’un guide à destination des Ordres, et qui pourrait dans un second temps être intégré au RIN. Les travaux à ce titre devront être menés en collaboration avec la commission Règles et Usages.

  • Création du « contrat de conciliation »

Il est de plus en plus fréquent que l’une des parties communique, dans la procédure d’arbitrage, ou dans une procédure annexe le mémoire de conciliation de son contradicteur. Les règles en matière de confidentialité de la conciliation ne sont pas claires. Elles ne sont pas écrites, ce qui pose évidemment d’importants problèmes pratiques.

Autre difficulté relative à la conciliation : la jurisprudence impose que toutes les questions qui sont ensuite posées devant le bâtonnier puis devant la cour d’appel aient fait effectivement l’objet d’une tentative de conciliation. À défaut, la demande est irrecevable, et la sentence du bâtonnier qui a traité une telle question est purement et simplement annulée par la cour d’appel. Dès lors que la conciliation est confidentielle, il est assez délicat de venir administrer la preuve qu’une question a été traitée devant le bâtonnier en conciliation.

J’ai proposé à la commission de réfléchir à la création d’un « contrat de conciliation », contrat type, établi au début de la séance de conciliation, signé par les parties et par le bâtonnier ou son délégué. Ce contrat comprendrait la liste des demandes formulées par chacune des parties, de façon à constituer la preuve que ces demandes ont bien fait l’objet de la conciliation, et permettrait d’encadrer la confidentialité.

  • Renforcement et impartialité de la juridiction du bâtonnier

Au moment où les tribunaux judiciaires se refusent à consacrer plus de 15 minutes d’audience à un dossier complexe, quand il ne s’agit pas carrément du refus de toute oralité, chacun doit se rendre compte que le fait de pouvoir plaider les contentieux très difficiles résultant des conflits entre avocats à un arbitre, bâtonnier ou son délégué, bon connaisseur de la profession, à l’écoute des parties, et le plus souvent bien- veillant, est un privilège que nous devons absolument sauvegarder.

Cependant, si la juridiction du bâtonnier a des forces indiscutables, elle a également des faiblesses qui résultent notamment de l’isolement du bâtonnier ou de son délégué, et des difficultés très spécifiques qui peuvent résulter de cette justice particulière, où les différents intervenants, les parties, leurs conseils et leur juge, peuvent être amenés se croiser régulièrement dans l’exercice quotidien de leur métier.

La crainte d’un défaut d’impartialité ne concerne pas que les petits barreaux, loin de là. Elle a donné lieu, à Paris, à l’introduction dans le RIBP de l’article P 70, qui interdit à un avocat d’assister une partie dans une procédure ordinale, s’il détient ou a détenu un mandat ou une fonction ordinale continue dans les 2 années précédentes, cette interdiction s’étendant désormais aux associés des structures d’exercice des- dits élus.

Cependant, cette règle est battue en brèche par la jurisprudence de la cour d’appel de Paris, qui fait primer le principe du libre choix du conseil, et empêche la mise en œuvre concrète, en cas de contestation, de cet article P 70.

Par ailleurs, la question ne se pose pas seulement en matière d’impartialité, mais aussi et surtout en matière d’effectivité de la justice ordinale : n’est-il pas difficile de juger, en effet, lorsqu’on est juge unique, des parties que par ailleurs on côtoie dans son activité professionnelle ? Alors qu’une bonne justice nécessite un peu de distance et le secret du délibéré, cette confrontation singulière entre le bâtonnier et le confrère qui a perdu son procès ne risque-t-elle pas de conduire à des décisions un peu tièdes dans lesquelles l’arbitre aura tenté de ménager les deux parties ?

Pour réfléchir à ces difficultés, un groupe de travail (le « GT2 ») a été institué au sein de la commission. À l’issue des débats de ce groupe, un consensus s’est dégagé en faveur d’une solution de collégialité optionnelle. La collégialité, on le voit bien, permet de restaurer le secret du délibéré. Elle éloigne également l’inquiétude que pourrait nourrir une partie perdante à l’encontre de la juridiction du bâtonnier, qui, devenant tri- partite, ne pourra plus être soupçonnée de prêter une oreille plus attentive à l’une des parties.

La commission a dessiné le régime juridique de cette proposition de réforme, qui sera prochainement présentée à l’assemblée générale du CNB :

– la collégialité devra être organisée (i) si elle est demandée l’une des parties, et (ii) elle pourra être ordonnée d’office par le bâtonnier ;

– le pouvoir de nomination des assesseurs appartiendra au seul bâtonnier, qui les désignera sur une liste des asses- seurs établie chaque année par les barreaux ; il pourrait d’ailleurs s’agir de la même liste que celle des délégués du bâtonnier ;

– enfin, la rémunération des arbitres par les parties serait exclue, la rémunération par les ordres étant laissée au libre choix des ordres.

– sur la question de l’article P 70 du RIBP, la commission pro- pose de définir une règle inversée : ce serait la fonction ordinale, qui serait incompatible avec l’activité de conseil de par- ties dans une procédure d’arbitrage, tant que ledit confrère conserve cette activité d’assistance ; il ne s’agirait plus par conséquent d’empêcher un avocat de défendre un confrère (ce qui est combattu par la jurisprudence), mais de lui interdire d’exercer la fonction ordinale, qui serait alors sus- pendue ;

Enfin un consensus s’est dégagé en faveur de la rédaction d’un guide de bonnes pratiques qui pourrait aboutir à la réalisa- tion de formations au profit des ordres qui souhaiteraient les mettre en place.

  • Intelligibilité de la loi du 31 décembre 1990 et Rapport Lavenir-Scotté : réforme de la loi du 31 décembre 1990

J’avais proposé en janvier, dans le programme de la SPA, la rédaction d’un guide d’orientation de la loi du 31 décembre 1990, texte inintelligible s’il en est. Les dispositions en matière de détention du capital sont difficilement compréhensibles, même pour le praticien. Les nombreux renvois, exceptions et contradictions rendent cette matière particulièrement obscure, en particulier pour les ordres eux-mêmes dans leur activité de gestion du tableau et des structures professionnelles. Cela entraîne évidemment des risques juridiques pour les parties concernées.

Coïncidence ! Avant même que nous nous emparions du sujet, le Conseil national des barreau été saisi par la Direction Générale des Entreprises (DGE) du rapport Lavenir-Scotté et de propositions, en vue initialement d’une mise en extinction du régime des SEL, motivé notamment par les problèmes d’intelligibilité de la loi, le diagnostic de la commission se trouvant donc partagé par les pouvoirs publics. Du coup, la suppression programmée de cette loi permettait de relativiser l’importance de ses problèmes d’intelligibilité.

L’idée de la mise en extinction de ce régime dérogatoire nous a semblé d’emblée séduisante. Il est vrai que depuis 2015, avec la loi « croissance », les libéraux peuvent utiliser les SARL, les SAS et les SA, désormais dénommées « SEDC » (société d’exercice de droit commun), de sorte que le maintien des SEL n’apparaît plus absolument nécessaire. Les SEL ne sont finalement que des sociétés de droit commun sur lesquelles on a greffé une couche réglementaire spécifique aux professions libérales ; il est apparu à la commission SPA qu’il était possible de rédiger distinctement cette couche réglementaire, ce qui permettrait de simplifier considérablement la lecture des textes. La commission a proposé un système à 3 étages : (i) les règles de droit commun de droit des sociétés, figurant dans le Code civil et dans le Code de commerce ; (ii) les règles spécifiques applicables à l’activité libérale : un régime unique pour tout type de société ; (iii) les règles spécifiques à chaque profession.

Malheureusement, la DGE a du faire marche arrière, à la demande des médecins : la loi de 1990 ne sera donc pas mise en extinction, et les 2 régimes survivront. Il faudra donc simplifier la loi de 1990. Un premier texte a été communiqué au Conseil national et n’apparaît malheureusement pas beau- coup plus intelligible que son prédécesseur… Nous avons donc émis des suggestions de rédaction…

Work in progress…

  • Ouverture du capital des sociétés d’avocats à des tiers

Le même Rapport Lavenir-Scotté contenait une autre propo- sition intitulée « Renforcement du capital des sociétés » et ainsi définie :

« Poser comme seul principe d’ordre public la détention majoritaire, directement ou indirectement, des droits de vote par des personnes physiques ou morales exerçant la ou les professions de la société d’exercice.

« Fixer dans la loi une règle par défaut qui, en l’absence de dispositions règlementaires spécifiques, limiterait l’ou- verture à des tiers à 25 % du capital social et des droits de vote. »

Cette proposition s’est avérée particulièrement explosive. Elle met face à face une minorité de confrères, qui seraient un peu moins d’un tiers, surtout des jeunes, favorable à l’ouverture du capital de leur structure, afin de financer des développements qu’ils estiment nécessaires pour lutter contre les concurrents émergents, et une majorité plus conservatrice, qui considère qu’une telle réforme viendrait fragiliser le socle étique de l’avocat et en particulier le principe d’indépendance.

La DGE a incité le CNB à prendre position sur la question de l’ouverture du capital des sociétés d’avocats. En outre, la commission européenne a publié le 9 juillet 2021 ses recommandations de réformes en matière de réglementation de sept services professionnels, y compris les avocats. Elle invite les États membres à évaluer les exigences notamment en matière de forme juridique et d’actionnariat en tenant compte en particulier du besoin d’innovation et de déploiement de solutions numériques et de modèles commerciaux émergents1. La profession est donc « saisie » du sujet par les régulateurs. Dans ce contexte, la commission SPA s’en est emparée en tenant compte des travaux réalisés sous les anciennes mandatures :

-le rapport sur le « Financement et développement des cabinets d’avocats », présenté par les commissions Prospective et SPA et voté en assemblée générale du CNB le 17 novembre 2017 ;

-le rapport sur l’« Interprofessionnalité d’exercice dans les sociétés », présenté par la commission SPA et voté en assemblée générale du 13 novembre 2020.

Pour travailler sur un sujet aussi délicat, j’ai souhaité donner les mêmes possibilités d’expression à toutes les sensibilités, et le travail a été réparti en plusieurs axes. En outre, la commission a également travaillé avec la commission Règles et Usages, présidée par Laurence Junod-Fanget, sur les questions déontologiques soulevées par l’ouverture du capital aux tiers.

Neuf axes de travail ont été partagés entre les membres et les experts de la commission :

– les arguments « pour » : financement, jeune barreau, concurrence des legaltechs

– les arguments « contre » : principe d’indépendance, opportunité

– analyse du risque de se voir imposer cette ouverture par la CJUE, comme cela est arrivé en matière de démarchage

– ouvrir le capital mais à quels tiers ? la question des cercles concentriques

– ouvrir le capital mais à quelles conditions techniques ?

– SELCA est-elle une LA solution pour avancer tout en pré- servant l’indépendance des exerçants ?

– la question du contrôle des Ordres, en particulier sur les pactes et sur l’évolution du partenariat dans le temps entre les exerçants et les investisseurs ;
– les impacts en matière de déontologie
– les questions de gouvernance des structures en cas d’ouverture de capital.

Après avoir organisé le travail, consacré de nombreux débats entre membres et experts mais également entre les seuls membres, la commission a procédé à deux votes successifs pour permettre aux membres de faire valoir leur position. Les positions prises par chacun des membres n’ayant pas évolué entre les deux votes malgré les très nombreux échanges et analyses intermédiaires, on doit considérer que malheureusement, les membres de la commission ne sont pas parvenus à un consensus sur ce sujet.

Dans les deux votes, une majorité s’est dégagée en faveur de l’ouverture du capital, mais il faut noter que la composition de la commission n’est pas proportionnelle à celle de l’assemblée générale.

  • Le cas particulier de la société en commandite par actions (SELCA) :

Une solution technique s’est toutefois dégagée comme pouvant permettre, peut-être, un consensus. C’est une structure oubliée mais portée depuis des années par un expert éminent de la commission, Me Jack Demaison : il s’agit de la SELCA, la SEL en commandite par action, qui permet de séparer de manière étanche l’exercice professionnel du finance- ment de l’activité.

Deux types d’associés cohabitent en effet au sein de la SELCA : les commandités qui sont les professionnels en exercice et les commanditaires qui sont ceux qui financent l’activité. Les commanditaires élisent un conseil de surveillance qui assure le contrôle de gestion de la société. Au lieu d’appliquer les règles des SA, il est proposé de prendre en modèle la SAS, ce qui permettrait aux associés commanditaires de fixer comme ils l’entendent, la forme ainsi que les règles de quorum et de majorité de leur décision collective.

Les commandités ont tout pouvoir pour agir au nom de la société sous le contrôle de la gérance et du conseil de surveillance. Toute modification statutaire nécessite l’unanimité des commandités, ce qui est un gage d’indépendance. Il est proposé de modifier la règle de responsabilité indéfinie et solidaire des commandités pour la limiter aux apports.

En permettant de séparer de la manière la plus nette possible les associés exerçant la profession des investisseurs, elle pourrait constituer le plus petit dénominateur commun entre partisans et opposants à l’ouverture du capital aux tiers.

Ces sujets seront présentés à l’assemblée générale du 15 octobre.

A suivre donc.

  • Projet de « sécurisation » des rémunérations des associés de SEL

Tout début septembre, le conseil national été saisi d’une note de la Direction de la Législation Fiscale (DLF) qui propose dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022, un projet dit de « sécurisation du régime d’imposition des associés de sociétés d’exercice libéral », qui aura pour effet de pérenniser des règles prétoriennes contra legem et quelque peu discriminatoires à l’égard des libéraux.

Depuis 2013, la jurisprudence du conseil d’État (CE 16 oct. 2013 n° 339822) a en effet fragilisé la situation des professionnels

libéraux exerçant en société par actions, au point que les praticiens hésitent à conseiller l’utilisation de ce type de structure. Cette jurisprudence a été suivie d’une autre décision du Conseil d’État du 8 décembre 2017 (CE 8° et 3° ch. 8 déc. 2017 n° 409429), laquelle a consacré le principe suivant lequel le régime fiscal de la « rémunération d’exercice » des associés professionnels libéraux exerçant en société par actions est celui des bénéfices non commerciaux. Cette décision faisait suite à un autre arrêt de la même cour du 16 octobre 2013.

Cette jurisprudence contredit la doctrine administrative résultant des réponses ministérielles Cousin (BOI-RSA-GER-10-10- 20 § 140) et Lamour (non reprise au BOFIP) et interroge très fortement au plan pratique : faudra-t-il désormais que chaque associé exerçant au sein d’une SELAS ou d’une SELA- FA établisse chaque mois une note d’honoraires, déclare la TVA y afférente, ouvre un compte professionnel, tienne une comptabilité recettes dépenses, s’inscrive à une association agréée, et enfin établisse une déclaration 2035 au titre des revenus perçus via la société ?

Si en définitive la plupart des fiscalistes s’accordent pour considérer que la facturation et la TVA ne seront pas nécessaires, les autres sujétions administratives entraînées par cette qualification semblent bien devoir être maintenues, sauf à ce que le texte à intervenir en prévoit expressément la dispense.

Quelles sont les règles applicables ?

Il n’y a pas en cette matière de texte fiscal clair. Mais l’article L311-3, 11° et 23° du code de la sécurité sociale prévoit expressément que les rémunérations des mandataires sociaux de société par actions, SA, SAS, SELAS et ce SELAFA sont soumises au régime général de la sécurité sociale. Pas de BNC dans les textes donc : le dirigeant de société par actions est un mandataire social salarié, indépendamment de toute subordination.

Ce sujet a un effet bien entendu majeur en matière de charges sociales, mais également en matière de traitement social des dividendes, puisque depuis 2009, les dividendes sont assujettis au régime TNS, dès lors que le dirigeant est lui-même assujetti à ce même régime, ce qui signifie que cette opération n’a d’intérêt que pour ceux qui sont assujettis au régime des traitements et salaires.

Les décisions précitées du conseil d’État apparaissent donc comme contra legem. À notre sens, le fait que ces textes soient issus du Code de la sécurité sociale et que le conseil d’État statue en matière fiscale ne change rien.

Cette jurisprudence a pour effet de distinguer deux rémunérations du dirigeant de société par actions : la rémunération du mandat social, qui seule serait gouvernée par l’article L311- 3 CSS précité, et une rémunération dite « technique », qui, « à défaut de subordination », échapperait à ce texte et devrait être qualifiée de BNC.

Le problème, selon nous, est double. D’une part, le texte précité du code de la sécurité sociale ne distingue en aucun cas entre la rémunération du mandat social et celle des « fonctions techniques » ; d’autre part, cette distinction ne concerne que les libéraux. Or s’il est vrai qu’un avocat, ou un directeur de laboratoire, comme dans l’espèce de 2017, passe la majorité de son temps à exercer son métier, plutôt que de diriger la structure au plan administratif, cela est tout aussi vrai des dirigeants de PME de droit commun ! Or, personne ne s’interroge sur la nature de la « rémunération technique » du président de la SAS exploitant une boucherie charcuterie ou une agence de communication…

Y a-t-il de ce point de vue une discrimination à l’égard des libéraux ? Discrimination certes involontaire puisqu’elle résulte à l’origine du comportement d’un directeur de laboratoire, et que l’arrêt de 2017 du conseil d’État a été rendu dans l’intérêt de ce dernier puisque la requalification en BNC de ses rémunérations lui permet au final de déduire ses cotisations Madelin. Toujours est-il, que la DLF souhaite désormais légiférer, dans le sens de la jurisprudence du conseil d’État. Il s’agirait donc de graver dans la loi la double nature de la rémunération, traitements et salaires d’une part, BNC d’autre part, avec comme pivot, l’existence ou non d’une subordination.

Ce critère est choisi par la DLF puisque c’est celui utilisé par le conseil d’État. Il est toutefois assez déroutant que la nature des rémunérations des professionnels libéraux soit définie par la notion de subordination, alors que le principe d’indépendance est la colonne vertébrale de nos professions, dont les membres ne connaissent pas la situation de subordination ! Il s’agit d’une alternative qui n’a qu’une seule branche ? L’idée de la DLF consiste cependant à permettre aux professionnels de choisir entre les deux régimes TS et BNC. Elle propose donc la création d’un article 93 quinquies dans le code général des impôts, lequel aurait pour objet d’accorder une option aux « associés de société d’exercice libéral à forme anonyme, par actions simplifiées, à responsabilité limitée ou en commandite par actions » leur permettant d’opter pour le régi- me des traitements et salaires, même en l’absence de subordination.

Les discussions sont en cours avec les représentants des autres professions concernées. Nous demandons plutôt l’extension du régime de l’article 62 du code général des impôts, car il faut rappeler et que le régime des traitements et salaires exclue la déductibilité des cotisations Madelin, alors que ces régimes complémentaires ne sont pas un luxe pour les libéraux dont le régime obligatoire est particulièrement peu généreux en matière de prestations, notamment pendant les 90 premiers jours d’arrêt.

A cette occasion, nous demandons également la création législative de la notion d’Associé Professionnel Exerçant (APE), qui permettra de donner un véritable statut à l’associé exerçant, cette notion résultant indirectement de la lecture de la loi du 31 décembre 1990 et de la loi du 6 août 2015, et est donc tout à fait spécifique à l’activité libérale.

  • Les « honoraires de présentation » ou « l’apport d’affaires »

Voilà encore un sujet politiquement délicat, dont s’est saisie la commission SPA, avec la volonté de relancer et d’objectiver la réflexion, comme cela a été fait, notamment, sur la question de l’ouverture du capital aux tiers.

Il s’est agi d’abord de faire l’inventaire des travaux antérieurs à notre mandature et particulièrement de ceux résultant des États généraux de la profession d’avocats (juin 2019), qui ont montré que la proposition de la levée l’inter- diction de la rémunération de l’apport d’affaires était vue favorablement entre avocats et de manière défavorable à l’égard des tiers.

Trois rapports successifs ont été établis pendant la précédente mandature, sans qu’un consensus se dégage. La question de l’apport d’affaires entraîne des réactions épidermiques qui semblent bien excessives au regard de ce dont il s’agit réellement.

C’est pourquoi la commission SPA a mis à son ordre du jour cette question sous le nom d’« honoraires de présentation », et non pas d’apports d’affaires.

Pourquoi proposer ce changement sémantique ?

D’une part, le terme » apport d’affaires » apparaît très mercantile, alors qu’il est pratiqué au quotidien et de façon parfaitement licite dans toutes les structures d’exercice, dans les- quels les avocats ont le droit de rémunérer, au travers de leurs accords de rémunération, les apports de dossiers entre associés. D’autre part, il a toujours été considéré comme licite de pouvoir présenter une clientèle à son successeur, et d’être rémunéré pour cette présentation.

Le changement sémantique est donc essentiel pour donner à la notion son réel enjeu sans la revêtir d’une connotation morale négative, qui ne s’impose finalement qu’au sujet de l’expression elle-même « apport d’affaires », alors qu’elle recouvre une réalité beaucoup plus convenable, qui consiste pour un avocat à adresser à un autre avocat un dossier dans lequel il se sent moins compétent, et qu’il ne veut pas prendre lui-même.

Cela étant, la notion est double. Il peut s’agir d’une part de rémunérer la présentation d’un dossier entre avocats, et d’autre part de rémunérer la présentation d’un dossier entre un avocat et un tiers non avocat. Il ne faut pas oublier non plus la situation fréquente de la présentation d’un dossier par un collaborateur libéral.

L’honoraire de présentation entre avocats pose-t-il réellement difficultés ? La Cour de cassation semble considérer cet action comme non prohibée. (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 18 février 2015, 14-10.460, Publié au bulletin – Légifrance (legifrance.gouv.fr)

« […] l’article 11-3 du RIN, qui prohibe toute rémunération d’apports d’affaires, ne concerne que les relations entre l’avocat et son client ; qu’il relève qu’aucun élément du dossier ne confirme l’allégation du conseil de l’ordre selon laquelle l’article 12 du contrat de collaboration stipule une rémunération d’apports d’affaires et en déduit que la rémunération complémentaire allouée à Mme Y… sous forme d’un pourcentage des honoraires perçus par le cabinet pour les dossiers apportés et traités par celle-ci ne contrevient pas aux dispositions du RIN du barreau […] ». La Cour estime que l’apport d’affaires n’est pas caractérisé en l’espèce.

Aussi, Messieurs Bortoluzzi, Piau et Wickers considèrent-ils, sur le fondement de cet arrêt, que l’interdiction de la rémunération de l’apport d’affaires ne concerne que le cas où un avocat est recommandé à un client par un tiers.

« Il s’agit ici d’interdire toute rémunération par l’avocat d’une personne qui n’a pas la qualité d’avocat, que ce soit directe- ment ou indirectement tel que le versement de commission. Cette interdiction ne concerne que les relations entre l’avocat et son client et ne s’applique pas aux relations entres avocats »2

Selon cette interprétation de la règle, la rémunération de l’apport d’affaires entre avocats serait d’ores et déjà autorisée. Par exemple, l’avocat en droit de la famille sollicité par son client sur une question en droit de la propriété intellectuelle pourrait percevoir une rémunération en contrepartie de la recommandation faite à son client.

Toutefois, la portée de cet arrêt est discutée, la décision ayant été rendue dans une affaire particulière, le refus de l’ouverture d’un bureau secondaire par un Ordre en raison de la rémunération de l’apport d’affaires du collaborateur libéral.

Afin de lever toute ambiguïté, il convient de poursuivre la réflexion en faveur du maintien ou au contraire de la levée de cette interdiction.

À l’égard des tiers, ne faut-il pas distinguer, comment matière de pluri professionnalité, les autres professions réglementées des tiers non réglementés ? Le minimum serait que les tiers admis à exercer au sein d’une SPE puissent également bénéficier d’honoraires de présentation.

Le rapport Perben nous invite à y travailler. Il faut donc que la réflexion se poursuive, d’autant plus qu’en pratique, il ne fait aucun doute que de nombreux confrères pratiquent effectivement la rémunération des honoraires de présentation. C’est l’argument du mal nécessaire : il vaut mieux réglementer qu’interdire puisqu’à défaut, les opérations se déroulent tout de même, mais sans garde-fous.

En guise de conclusion…

Tous les sujets évoqués ci-dessus, certains très techniques, d’autres très politiques, ont nécessité un important travail de la part de l’ensemble des membres et des experts de la com- mission. Qu’ils en soient à nouveau ici remerciés. Mais la liste ci-dessus n’épuise pas l’ordre du jour de la commission et d’autres sujets ont été traités, qui ne seront abordés ici que pour mémoire : la réforme de l’article 700, l’avocat en entre- prise, l’Interprofessionnalité avec des tiers non réglementés, sujet cher à ma prédécesseuse Audrey Chemouli, la déontologie des activités commerciales dérogatoires … et bien entendu, les avis techniques demandés par les ordres qui ont été soigneusement traités.

C’est une bien belle mission que réalise la commission SPA et cet article me donne l’occasion de remercier à nouveau l’ACE, sa présidente (lors de l’élection) Delphine Gallin, son actuel- président Emmanuel Raskin, et la présidente de l’ACE Paris, Nathalie Attias de m’avoir accueilli sur la liste ACE 2020.

  1. COM_2021_385_F1_COMMUNICATION_FROM_COMMISSION_TO_INST_EN_V6_P1_1246597 (1).PDF, p. 20
  2. BORTOLUZZI (S.), PIAU (D.), WICKERS (T.), ADER (H.) et DAMIEN (A.), Les règles de la profession d’avocats, Dalloz, coll. Dalloz Action, 15e éd., 2018-2019, n° 711.51, p. 1607.

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