L’amélioration de la protection des lanceurs d’alerte par la loi n°2022-401 du 21 mars 2022 – Revue ACE n°157

Par Sandie LACROIX-DE SOUSA
Maître de conférences HDR, Université d’Orléans Centre de Recherche Juridique Pothier (E.A. 1212)

« Lancer l’alerte », « sonner l’alarme », des expressions qui relèvent initiale- ment du vocabulaire militaire1 mais qui, aujourd’hui, sont devenues courantes dans le vocabulaire journalistique et désormais, juridique. Edward Snowden, Julian Assange, Irène Frachon… sont, selon les cas, présentés comme des « traitres » en mal de notoriété ou comme des « justiciers » servant l’intérêt général. Dans tous les cas, ceux que l’on dénomme les « lanceurs d’alerte » ne laissent pas indifférents et deviennent – parfois malgré eux – aussi célèbres que les causes qu’ils incarnent : protection des données personnelles, lutte contre la corruption, scandales sanitaires…

En droit français, le lanceur d’alerte désigne un statut qui ouvre droit à une protection particulière et obéit à une définition précise depuis la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 dite loi Sapin 2. Son article 6 prévoyait dans son alinéa 1er que « le lanceur d’alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’une engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ».
Transposant la directive 2019/1937 du 23 octobre 2019 relative à la protection des personnes signalant des violations du droit de l’Union européenne, la loi n°2022-401 du 21 mars 2022 est venue modifier cette définition et encadrer de manière plus complète et performante le statut de lanceur d’alerte. Quelles sont les principales évolutions à retenir ?

I- Une définition élargie

Précisant la définition du lanceur d’alerte considérée jusque-là par certains comme « trop vague », l’article 1er de la loi du 21 mars 2022 indique que « le lanceur d’alerte est une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement. Lorsque les informations n’ont pas été obtenues dans le cadre des activités professionnelles (…), le lanceur d’alerte doit en avoir eu personnellement connaissance ».

Les précisions visent à mettre un terme aux critiques suscitées par l’expression « de manière désintéressée » utilisée par la loi Sapin 2. La notion de « désintéressement » est effectivement ambiguë et peut placer le lanceur d’alerte en difficulté en cas de re- cours pour obtenir des indemnités devant le Conseil de Prud’hommes. Désormais, la formulation retenue ne fait référence qu’à une « contrepartie financière directe ».

Notons également que cette nouvelle définition abandonne les critères de gravité applicables aux violations pouvant faire l’objet d’une alerte. L’exigence d’une violation « grave et manifeste » d’un engagement international, de la loi ou du règlement est ainsi supprimée. D’influence européenne, la définition nouvelle élargit également le domaine de l’alerte aux violations du droit de l’Union européenne. Elle restreint l’exigence d’une connaissance personnelle des faits aux informations qui n’ont pas été obtenues dans le cadre des activités professionnelles. Dans le cadre professionnel, peut être lanceur d’alerte celui qui rapporte des faits qu’il n’a pas personnellement constatés.

Par ailleurs, le périmètre du signalement est étendu aux tentatives de dissimulation d’une violation d’un engagement international, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement. La liste des informations exclues du régime de lanceur d’alerte est également élargie. De la sorte, est interdite la divulgation de faits, informations ou documents ayant trait au secret de la défense nationale, au secret médical, au secret des délibérations judiciaires, au secret de l’enquête, au secret de l’instruction judiciaire ou encore au secret professionnel de l’avocat.

II- Un élargissement des bénéficiaires

La loi institue au profit du lanceur d’alerte une protection contre les mesures de rétorsion qui pourraient être prises à son encontre pour avoir procédé à une alerte. La loi étend le bénéfice de cette protection à certaines personnes qui lui sont liées. La précision était très attendue car, la loi Sapin 2 était cruellement muette sur le sort des personnes aidant le lanceur d’alerte à réaliser le signalement.

L’article 2 de la loi nouvelle vient ainsi transposer, en droit français, le statut de « facilitateur » qui trouve son origine dans la directive européenne. Il s’agit de « toute personne physique ou toute personne morale à but non lucratif qui aide un lanceur d’alerte à effectuer un signalement ou une divulgation dans le respect de la loi ». Relevons ici que le législateur français va plus loin que la directive européenne selon laquelle seules les personnes physiques peuvent bénéficier de ce statut de facilitateur.

III- Un assouplissement de la procédure de signalement

La loi Sapin 2 précisait que la protection des lanceurs d’alerte était réservée aux personnes qui respectent la procédure de signalement suivante : un signalement interne auprès du supérieur hiérarchique ; en l’absence de diligences du destinataire de l’alerte dans un délai raisonnable, un signalement externe adressé à l’autorité judiciaire, à l’autorité administrative ou aux ordres professionnels ; à défaut de traitement par l’un des organismes destinataires dans un délai de trois mois, un signalement public. Néanmoins, en cas de danger grave et imminent ou de risques de dommages irréversibles, le signalement pouvait être porté directement à la connaissance à l’autorité judiciaire, à l’autorité administrative ou aux ordres professionnels ou rendu public.

La loi du 21 mars 2022 reprend les canaux de signalement de la loi Sapin 2 (signalement interne, signalement externe ou divulgation publique) mais elle supprime la hiérarchie en trois temps. Le lanceur d’alerte peut dorénavant choisir entre un signalement interne, c’est à dire opter pour un signalement au sein même de l’entreprise, et un signalement externe dirigé à l’attention de l’autorité compétente, du défenseur des droits, à la justice ou encore à un organe européen. L’alerte publique, quant à elle, ne peut désormais être mise en œuvre que dans certains cas : en absence de traitement à la suite d’un signalement externe dans un certain délai ; en cas de risque de représailles ou si le signalement n’a aucune chance d’aboutir ; ou en cas de « danger grave et imminent » ou pour les informations obtenues dans un cadre professionnel en cas de « danger imminent ou manifeste pour l’intérêt général ».

À l’analyse, ces nouvelles règles visant à assouplir la procédure de signalement retient pour l’alerte publique des critères particulièrement étendus. Plutôt qu’une protection, il est donc possible d’y voir pour les justiciables un risque d’insécurité juridique. Il est en effet difficile de définir clairement ce qu’est « un danger imminent ou manifeste pour l’intérêt général » ou encore de déterminer les situations à l’occasion desquelles le signalement « n’a aucune chance d’aboutir ».

IV- Des mesures de protection renforcées

Il convient déjà de souligner ici que les éléments de nature à identifier le lanceur d’alerte ne peuvent être divulgués qu’avec le consentement de celui-ci. Toutefois, ils peuvent être communiqués à l’autorité judiciaire, dans le cas où les personnes chargées du recueil ou du traitement des signalements sont tenues de dénoncer les faits à celle-ci.

Au cœur du dispositif de protection, l’article 6 de la loi du 21 mars 2022 prévoit ensuite des causes d’exonération de la responsabilité civile. Les auteurs de signalement ne sont pas civilement responsables des dommages causés du fait de leur signalement ou de leur divulgation publique dès lors qu’ils ont des motifs raisonnables de croire qu’ils étaient nécessaires à la sauvegarde des intérêts en cause. Ils bénéficient également d’une irresponsabilité pénale telle que consacrée à l’article 122-9 du Code pénal, y compris en cas de soustraction, détournement ou recel de documents contenant les informations dont ils ont eu connaissance de manière licite et qui ont fait l’objet du signalement. Les complices de ces faits sont également couverts par cette immunité.

Enfin, une attention particulière est apportée aux mesures de représailles pouvant fragiliser le lanceur d’alerte. La loi insère dans le Code du travail un nouvel article L. 1121-2 qui reprend et élargit les mesures de représailles qui ne peuvent être prises à l’encontre des lanceurs d’alerte prévues par l’article L. 1132-3- 3 ainsi que le champ des mesures discriminatoires interdites : « aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ni faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, d’horaires de travail, d’évaluation de la performance, de mutation ou de renouvellement de contrat, ni de toute autre mesure mentionnée au II de l’article 10-1 de la loi Sapin 2, pour avoir signalé ou divulgué des informations dans les conditions prévues aux articles 6 et 8 de la même loi ».

Des mesures de soutien financier sont également consacrés par le texte. C’est ainsi qu’une provision pour frais de justice peut être accordée au lanceur d’alerte qui conteste une mesure de représailles ou une procédure « baillon » à son encontre. Est effecti- vement désignée comme procédure « baillon » celle ayant pour finalité d’intimider et de contraindre au silence le lanceur d’alerte. De même, une provision peut être accordée lorsque la situation financière du lanceur d’alerte s’est largement dégradée. Des mesures de soutien psychologique et financier sont enfin prévues par les autorités externes, lesquelles peuvent être saisies directement ou via le Défenseur des droits.

En somme et pour reprendre le champ lexical mili- taire, c’est une armée de dispositifs qui sont précisés par la loi du 21 mars 2021 pour améliorer la protection des lanceurs d’alerte. Orienter les lanceurs d’alerte vers les autorités compétentes, recevoir les signalements, veiller au respect de leurs droits et de leurs libertés, le Défenseur des droits et plus précisément, son nouvel adjoint chargé formellement de l’accompagnement des lanceurs d’alerte voit ses missions se développer. En pratique, seuls les prochains décrets d’application et les budgets accordés à ces organes de protection permettront de vérifier que les garanties d’indépendance et d’impartialité de la procédure sont efficacement assurées.

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